Début avril à l'Assemblée nationale, les députés Les Républicains ont demandé officiellement la création d'une commission d'enquête « visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des Français ». Demande jugée recevable par le Palais Bourbon. Une manière pour ce groupe d'opposition d'accentuer la pression sur le gouvernement qui doit gérer, ce printemps, les conséquences d'un déficit plus élevé que prévu en 2023. Désigné président de la commission d'enquête parlementaire, le député LR des Hauts-de-Seine, Philippe Juvin, juge la France « addicte » à la dépense publique. Et pour ce médecin de profession, il n'y a qu'une seule solution : l'Hexagone doit réduire drastiquement son endettement.
LA TRIBUNE : Ce mercredi 22 mai, la commission d'enquête parlementaire débute ses auditions. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
PHILIPPE JUVIN : Je souhaite mener les travaux avec un peu de recul, et surtout pas comme un juge d'instruction. J'ai la volonté de comprendre pourquoi la dette est devenue un outil « normal » pour financer les politiques publiques de notre pays. Et sans que cela ne gêne outre mesure les administrations publiques, les décideurs politiques, et les instances de contrôle, comme la Commission européenne.
Quels sont les objectifs poursuivis par la commission d'enquête ?
Nous avons deux objectifs principaux : le premier est d'analyser comment la dette publique a progressé depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir en 2017. La question de la crise du Covid va être centrale à examiner. Le second objectif est de constater les effets de l'endettement sur le pouvoir d'achat de nos compatriotes.
On a pu voir récemment dans la commission d'enquête sur la TNT que le président Quentin Bataillon (Renaissance) et le rapporteur Aurélien Saintoul (LFI) n'étaient pas franchement sur la même longueur d'onde. Quels sont vos rapports avec le député Mathieu Lefèvre (Renaissance) qui sera rapporteur au sein de la commission ?
Je ne connais pas Mathieu Lefèvre, mais je ne doute pas que les choses se passeront bien. C'est un homme de qualité qui a lui aussi envie de comprendre les raisons profondes de la hausse de la dette française. Par ailleurs, Les Républicains ont choisi de ne pas occuper le poste de rapporteur de cette commission. Nous n'écrirons donc pas le rapport qui sera remis au plus tard le 6 novembre. Ce qui prouve bien que nous n'avions pas envie d'un rapport à charge a priori, même si certains nous suspectent du contraire.
Quelles sont les personnes qui seront auditionnées ?
Nous allons auditionner des personnalités du monde académique et universitaire, mais aussi des think tanks, comme l'Institut Montaigne ou l'Institut économique Molinari. Nous devrions aussi recevoir des agences de notation et des investisseurs qui placent leur argent en France. Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, et le ministre chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, seront également entendus. Sans oublier les administrations publiques, Bercy, l'Agence France Trésor, qui participent à la mise en œuvre de la décision politique. Et enfin, les corps de contrôle, à l'instar de la Cour des comptes et des représentants de la Commission européenne.
Envisagez-vous de vous rendre à Bercy pour obtenir des documents confidentiels, comme votre collègue sénateur (LR) Jean-François Husson qui s'est déplacé au ministère des Finances récemment ?
Rien n'est exclu. Le rapporteur pourra faire des contrôles sur pièces. Nous pourrons également demander aux administrations de nous fournir des documents. On se donnera tous les moyens qui nous semblent nécessaires.
Malgré une dette à plus de 3.000 milliards d'euros, les économistes s'accordent à dire que la France jouit toujours de la confiance des investisseurs et qu'elle n'a pas de problème à lever des fonds sur les marchés financiers. Pourquoi le sujet de la dette vous alarme-t-il tant ?
Mon intime conviction est que la dette appauvrit notre pays en nous privant de marges de manœuvre. J'ai peur que l'on voit un jour les décisions politiques dictées par les marchés financiers. Le hasard fait que j'étais à Athènes quand la vente du port du Pirée à une entreprise chinoise a été annoncée par le gouvernement grec en 2016. Cela m'a frappé. J'en ai retenu une leçon : quand vous êtes trop endetté, vous n'êtes plus souverain.
De fait, comment faire pour réduire notre dette ? Par où commencer dans un contexte budgétaire tendu ?
Dans le spectre de la commission d'enquête, il n'y a pas la recherche de solutions. Cela peut paraître curieux, mais c'est ainsi. Une chose est sûre : aux Républicains, nous ne voulons pas augmenter les prélèvements obligatoires. À mon sens, on dépense trop et mal. Quand j'étais candidat à la primaire de la droite à l'automne 2016, je portais l'idée d'une dépense publique plus efficace. Je n'étais pas favorable à une baisse drastique du nombre de fonctionnaires par exemple, mais à une réallocation des ressources au sein du système. Ce n'est qu'une fois la dépense publique mieux utilisée qu'on se rendra compte que l'on peut dépenser moins.
Mais comment concilier les investissements d'avenir (transition écologique, réindustrialisation, etc.) qui vont nécessiter des milliards d'euros avec la réduction de notre endettement ?
Sans réduction de notre dette, nous n'aurons pas les moyens de réaliser les investissements en matière de réindustrialisation ou de lutte contre le réchauffement climatique. Il faut le dire aux Français. Et je m'inquiète que la dette ne soit pas un sujet pris avec gravité par l'opinion. Il y a une addiction de l'Hexagone à la dépense publique à laquelle on doit mettre fin. Même si cela s'annonce difficile.