LA TRIBUNE- Les agences Moody's et Fitch s'apprêtent à rendre leur verdict sur la note de la France ce vendredi soir. À quoi faut-il s'attendre ?
AURORE LALUCQ - On va voir ce que cela va donner. Il ne faut pas que les politiques publiques soient gouvernées par les agences de notation. Je reste prudente sur les notes attribuées aux Etats et à certains produits financiers. Les agences de notation ont fait de grandes erreurs. Standard & Poor's avait adressé un triple A à Lehman Brothers quelques jours avant sa faillite en 2008. Et même s'il y a une dégradation de la note, il n'y a pas de panique à avoir. La signature de la France reste très forte.
Quels sont les principaux risques pour la France ?
La France n'a aucun problème pour emprunter sur les marchés financiers. Bien au contraire, elle a plus de demandeurs que d'autres pays lorsqu'elle émet de dette. Il y a un problème du côté de la gestion des comptes publics. C'est une vraie alerte. Bruno Le Maire ne cesse de répéter que les comptes publics sont excessivement importants et à la fin, le gouvernement est en échec total alors que les autres pays européens ont amélioré l'état de leurs finances publiques.
Comment expliquez-vous le dérapage des finances publiques ?
Il y a deux pistes d'explication. Une grande partie des aides publiques vont aux entreprises sans vraiment de conditionnalités. Le gouvernement a décidé de tailler dans les impôts depuis 7 ans. Au bout d'un moment, cette politique fiscale se paie. À force de supprimer ou de baisser les impôts, l'État se retrouve sans argent. Il va falloir commencer à regarder les recettes comme l'a évoqué le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici. Le ministre de l'Economie a commencé à augmenter les impôts sur l'électricité mais c'est un impôt injuste.
Sur le volet recettes, à quoi pensez-vous au niveau européen et au niveau national?
Il faut une taxation pérenne et correcte sur les superprofits. La France a transposé le prélèvement mis sur la table par la Commission européenne, mais de manière insuffisante. Ce prélèvement aurait dû permettre des recettes estimées entre 1,6 milliard et 10 milliards d'euros. La France n'a réussi à récolter que 200 millions d'euros.
Je suis favorable également à une taxation sur le patrimoine des supers riches. Il faut avancer sur un impôt sur les dividendes. De nombreux pays en Europe ont des problèmes sur la taxation de ces derniers. Aujourd'hui, les dividendes sont moins taxés que le travail. Il est anormal qu'ils explosent à un moment où il faut financer la transition écologique.
Le Premier ministre Gabriel Attal a remis sur la table l'option de la taxation des rachats d'actions. Emmanuel Macron l'avait déjà évoqué en 2023 en pleine réforme des retraites. D'après certaines estimations, le rendement de cette taxe serait assez faible. Ne s'agit-il pas d'une mesure symbolique ?
Il faut tout de même mettre en place cette fiscalité, car aujourd'hui le capital est moins taxé que le travail. Il faut que le taux de taxation des classes moyennes soit moins élevé que celui des supers riches. Les PME doivent moins payer que les multinationales. Il y a un déséquilibre important. Au niveau européen, une taxation du patrimoine des milliardaires permettrait de récupérer entre 50 et 200 milliards d'euros par an. L'impôt est la base du contrat social. C'est ce qui fait notre démocratie.
D'un point de vue économique, le fait d'avoir de l'argent public pour financer des investissements permettra de relancer l'économie française et de la réorienter vers la transition écologique et la Défense. L'Europe est actuellement dans une course de vitesse face aux Chinois et aux Américains. Actuellement, 60% des chaînes de valeur des technologies vertes appartiennent à la Chine. Les États-Unis ont fait plusieurs plans de relance avec des mesures protectionnistes. Si l'Europe veut être compétitive et faire la transition écologique, les États doivent pouvoir investir avec de l'argent public utilisé à bon escient. Dans le contexte très difficile de la guerre, la solidarité doit revenir en Europe.
[Aurore Lalucq et porte-parole du candidat Raphaël Glucksmann lors d'un meeting à Toulouse au mois de mars. Crédits : Reuters]
Les détracteurs d'une taxe sur les milliardaires pourraient vous dire que cela faciliterait l'exil fiscal. Que leur répondez-vous ?
Cela fait 40 ans que ces arguments sont mis en avant. Ils justifient le fait que les plus riches ne paient plus rien. Il est possible de renforcer les exit tax au niveau national et européen. Avec l'économiste Joseph Stiglitz et plusieurs élus, nous avons lancé un appel pour mettre en place un accord international sur la taxation des plus riches. Ce sujet est en train de progresser au G20. Mais cela ne veut pas dire que les débats ne doivent pas avancer au niveau européen ou au niveau national. Seule l'Espagne possède une taxation sur la fortune en Europe aujourd'hui.
L'ancien directeur de la fiscalité à l'OCDE et architecte de la taxation mondiale sur les multinationales, Pascal Saint-Amans affirme qu'il serait difficile de mettre en place un impôt sur la fortune au niveau mondial, car beaucoup de pays sur la planète ne possèdent pas ce type d'instrument contrairement à l'impôt sur les sociétés.
Nous proposons avec l'économiste Gabriel Zucman de taxer d'abord les milliardaires, car c'est plus simple techniquement. Quant aux millionnaires, l'application d'une telle taxe est plus compliquée techniquement. Avec la taxe sur les multinationales, on a reconstruit de la fiscalité en Europe là où il n'y en n'avait plus comme en Irlande par exemple. J'ai d'ailleurs été chargé de l'implémentation de cette taxe au niveau européen.
Il faut faire la même chose pour les milliardaires. Lorsqu'il y a une volonté politique, la technique suit toujours derrière, même en Europe. Sur les sujets de fiscalité, il faut normalement l'unanimité en Europe. Mais elle a réussi à mettre en place la taxation des superprofits ou la taxation minimale des multinationales.
Propos recueillis par Grégoire Normand