BFMTV, France Inter, CNews... Depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin, Manon Aubry multiplie les interventions médiatiques. La trentenaire, qui a mené la liste de La France insoumise (LFI) aux élections européennes, n'a pas eu le temps de savourer sa réélection à Strasbourg. Face à la menace de l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite, à l'issue des élections législatives anticipées, le 7 juillet, l'ancienne responsable du plaidoyer « Justice fiscale et inégalités » à Oxfam France a dû se remettre en campagne, sur le champ. Et cette fois-ci, sous la bannière du Nouveau Front populaire (NFP), l'alliance électorale conclue par les principaux partis de gauche (La France insoumise, le Parti socialiste, Europe-Ecologie-Les Verts et le Parti communiste).
Ce mercredi 19 juin, face à Laurence Ferrari, sur CNews, elle tente de rassurer les téléspectateurs sur la grande réforme fiscale qui figure au programme du NFP. Et notamment le big bang, en matière d'impôt sur le revenu, qui doit créer « un choc de redistribution ». « Tous ceux qui gagnent moins de 4.000 euros (net, ndlr) par mois, c'est-à-dire 92% des Français, ne vont pas payer autant d'impôts, ils vont payer moins d'impôts ! », promet-elle.
Un barème à 14 tranches
Pour faire contribuer davantage les ménages aisés, la gauche prévoit, en arrivant à Matignon, « d'accroître la progressivité de l'impôt sur le revenu à 14 tranches ». Une mesure qui n'a rien d'une surprise. Elle figurait déjà au programme de la Nouvelle union populaire écologique et sociales (Nupes), la coalition électorale formée par la gauche à l'aube des élections législatives de 2022.
Si le barème de l'impôt sur le revenu, que souhaite mettre en place le Nouveau Front populaire, ne figure pas explicitement dans le programme rédigé, à la hâte, en quelques jours après la dissolution, un amendement déposé par des députés LFI en projet de loi de finances pour 2022 en dévoile les grandes lignes.
Le barème y progresse de 5 points en 5 points (1%, 5%, 10%, 15%, etc.) jusqu'à atteindre le taux stratosphérique de 90% pour les revenus au-dessus de 411.683 euros par an. À partir de ce seuil, la gauche « prend tout » pour pasticher la formule de l'ancien Secrétaire général du Parti communiste, Georges Marchais.
« L'impôt sur le revenu est déjà hyperconcentré, note Alexandre Maitrot de la Motte, professeur de droit public à l'université Paris-Est Créteil, appliquer un tel barème renforcerait encore la concentration sur les ménages du haut du spectre. » Car les statistiques de Bercy sont connues : 10% des foyers fiscaux acquittent 70% de l'impôt sur le revenu. Et moins de la moitié des ménages (45%) sont redevables de cet impôt, dont on fêtera les 110 ans, le 15 juillet prochain.
Retour en 1983
Vouloir instaurer un barème à 14 tranches n'est en rien une « trouvaille » fiscale du Nouveau Front populaire. Cette idée marque, surtout, la volonté de la gauche de revenir quarante ans en arrière. Car c'est dans la loi de finances pour 1983 que le gouvernement du Premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, ajoute une 14e tranche à un barème de l'impôt sur le revenu qui en compte déjà 13 depuis 1979. La gauche mitterrandienne fait alors le choix d'alourdir l'imposition des ménages les plus aisés. « En 1986, la 14e et dernière tranche présentait un taux marginal de 65% pour les revenus supérieurs à 241.740 francs (soit environ 48.000 euros en 2014) », précise une note de l'Institut des politiques publiques (IPP).
Certes, le taux marginal d'imposition (TMI) est, à l'époque, bien plus élevé que dans le barème aujourd'hui en vigueur - dernière tranche à 45% à partir de 177.106 euros de revenus -, « mais à cette période, la contribution sociale généralisée (CSG) n'existe pas encore, et un abattement de 20% s'applique à la plupart des revenus », nuance Alexandre Maitrot de la Motte.
Impôt sur les grandes fortunes
Un an avant de remanier le barème de l'impôt sur le revenu, le président de la République, François Mitterrand, met en œuvre une autre de ses promesses de campagne. Le socialiste institue, à compter du 1er janvier 1982, un impôt annuel sur les grandes fortunes (IGF) « lorsque la valeur des biens est supérieure à 3 millions de francs (1.157.000 euros en 2023, ndlr) ».
« A cette période, on considère que les ménages qui possèdent du capital ont davantage de facultés contributives que les autres, reprend l'universitaire. Et l'impôt sur les grandes fortunes a été conçu comme un impôt complémentaire à l'IR, plutôt qu'un impôt autonome. »
Son émanation récente, l'impôt sur la fortune (ISF), rétabli par Michel Rocard en 1992, sera transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI), à compter du 1er janvier 2018, par le président Macron. Une réforme que le Nouveau Front populaire compte bien annuler. Ainsi, la gauche prévoit de recréer un « impôt de solidarité sur la fortune, renforcé avec un volet climatique », et qui rapporterait « 15 milliards d'euros » par an.
Concurrence internationale
Selon Victor Fouquet, ce programme d'alourdissement de la fiscalité, qui s'inspire des expériences passées, n'est pas sans risques pour l'économie de l'Hexagone. « C'est tout le problème du raisonnement sur la fiscalité sous l'angle exclusif de la redistribution, pointe le docteur en droit, spécialisé en fiscalité. On ne voit plus les effets désincitatifs extrêmement puissants, à épargner comme à travailler, pour les contribuables. »
Sans compter le problème de la concurrence fiscale internationale. « On a déjà un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés du monde (43,2% en 2023, ndlr), rappelle François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes et président de l'association Fipeco. Si on va trop loin, cela va inciter les jeunes diplômés à s'expatrier, et pas seulement les milliardaires ! »
Le caillou du Conseil constitutionnel
Reste un gros caillou sur le chemin de la réforme pour le Nouveau Front populaire : le Conseil constitutionnel. Car, en vertu du principe d'égalité devant l'impôt, l'institution estime, dans sa jurisprudence, que « cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». On se souvient, à cet égard, de la censure par les Sages de la rue de Montpensier, de la taxe à 75%, portée par le président Hollande, et qui devait s'appliquer à la fraction des revenus supérieurs à un million d'euros.
« La mesure de modification du barème de l'impôt sur le revenu, telle qu'elle est proposée par le Nouveau Front populaire, apparaît douteuse quant à sa constitutionnalité », tranche Alexandre Maitrot de la Motte.
D'autant que la gauche prévoit aussi de « rendre la CSG progressive », de « supprimer la flat tax » instaurée par Emmanuel Macron en 2018 pour imposer les revenus du capital comme ceux du travail, et des « niches fiscales, injustes et polluantes ». Des mesures qui, mises bout à bout, alourdiraient sans doute trop la fiscalité des ménages aisés pour le Conseil constitutionnel.