Emmanuel Macron veut continuer de promouvoir le site France. Réunis ce lundi 13 mai au château de Versailles, 180 patrons français et étrangers ont profité de ce cadre prestigieux pour annoncer une avalanche d'investissements sur le territoire. Au total, près de 15 milliards d'euros et 56 projets ont été annoncés par l'entourage du chef de l'Etat. Il s'agit d'un « record » depuis 2018, a claironné l'Elysée lors d'une réunion avec des journalistes.
À quelques semaines des élections européennes, l'exécutif compte profiter de cette séquence pour retrouver de l'élan dans les sondages face au Rassemblement National (RN). Profitant d'une croissance du PIB au premier trimestre plus forte qu'espérée (+0,2%), Emmanuel Macron veut absolument tourner l'épisode houleux des déficits publics du printemps. Le chef de l'Etat avait réuni une grande partie de l'exécutif au château du Roi Soleil pour recevoir les patrons en grande pompe. Mais derrière cette opération séduction, la réindustrialisation vantée par la Macronie est-elle vraiment en marche ?
122 projets depuis 2018 pour 31 milliards d'euros
Les différentes vagues d'investissements annoncées lors des sept éditions de Choose France sont loin d'être négligeables. L'Elysée a recensé 122 projets d'investissements pour une enveloppe globale de 31 milliards d'euros depuis 2018. Plus de 700 grands dirigeants sont venus à Versailles ou à Paris pour cet événement secoué par les années de pandémie.
L'entourage du président de la République n'a pas hésité à mettre en avant la première place de la France en matière d'attractivité en Europe selon un baromètre établi chaque année par le cabinet EY, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni. « Cette réindustrialisation a généré 20.545 emplois, avec une augmentation des projets de décarbonation et de robotisation, mais aussi plus d'investissements dans la mobilité électrique, l'IA et la santé ». Le numérique devrait profiter de l'investissement de 4 milliards d'euros annoncé par le géant Microsoft. Parmi les autres grandes annonces, figurent également Amazon avec 1,2 milliard d'euros et 3.000 emplois à la clé.
L'Elysée vante la réindustrialisation à tout va....
L'Elysée n'a pas hésité à insister sur la réindustrialisation de la France pour cet événement en grande pompe. « Depuis 2017, le président de la République a mené une politique volontariste, qui s'incarne notamment par une politique fiscale attractive, des investissements dans l'innovation avec France 2030, des simplifications réglementaires et une stratégie claire en termes de production d'énergie décarbonée et de transition
écologique, pour lancer une reconquête industrielle partout dans nos territoires », ont vanté les conseillers d'Emmanuel Macron.
Il faut néanmoins rappeler qu'en 2018, «l'objectif affiché n'était pas de réindustrialiser », souligne François Geerolf, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « L'idée était de faire venir les multinationales dans le secteur des technologies », poursuit le chercheur. À l'époque, le chef de l'Etat prônait à tout va « la startup nation », déjà vantée sous le mandat de François Hollande lorsqu'il était aux manettes de Bercy. Mais Choose France « a été réinterprété à l'aune de la pandémie ». En effet, la crise sanitaire avait jeté une lumière crue sur la dépendance de la France en matière de masques sanitaires, de médicaments de base et d'aspirateurs pour les patients en réanimation. Depuis cette crise planétaire, le chef de l'Etat a changé de discours sur l'impérieuse nécessité de réindustrialiser l'Hexagone et l'Europe.
...mais la production industrielle en volume est inférieure de 5% à son niveau pré-pandémie
En dépit de cette pluie d'investissements record annoncés par Emmanuel Macron, la situation de l'industrie est loin d'être favorable. « La production manufacturière et la production industrielle en volume en France est toujours inférieure de 5% à la période pré-Covid 2019 », explique François Geerolf, s'appuyant sur les chiffres de l'Insee du mois de mars dernier. En part de produit intérieur brut (PIB), l'industrie a perdu du terrain sous le premier mandat d'Emmanuel Macron. Le poids du Made in France dans l'économie tricolore est passé de 13,8% en 2017 à 13,3% en 2022 selon de récents chiffres de l'institut de statistiques. Concernant les perspectives, l'expert Olivier Lluansi doit remettre dans quelques jours un rapport au gouvernement sur l'industrie en 2035.
Mais là encore, l'ancien conseiller industrie de François Hollande est sceptique sur la capacité de la France à faire grimper la part de l'industrie manufacturière dans le PIB de 10% à 15%. En ce moment, « c'est surtout la France qui se réindustrialise mais c'est aussi la France qui a un problème de désindustrialisation », affirme François Geerolf. «Entre 1995 et 2023, la croissance de la valeur ajoutée brute de l'industrie en France a été inférieure à celle de la plupart des autres pays européens. C'est pour cela que la part de l'industrie dans la valeur ajoutée totale a tellement diminué en France », indique Eric Dor, directeur des études à l'IESEG School of Management, une école de commerce. De son côté, le sondeur Jérôme Fourquet déplore même « l'abandon de la production » en France dans une tribune acerbe récemment publiée sur Le Figaro.
La France a arrêté de détruire des emplois dans l'industrie...
Sur le front de l'emploi, le gouvernement a mis en avant « les 126.000 emplois » crées depuis 2017 dans l'industrie. « On peut dire que la réindustrialisation se voit un peu dans l'emploi », note François Geerolf, mais « il faut rappeler que la France a perdu 2,5 millions d'emplois depuis les années 70 ».
Une partie de ces emplois autrefois comptabilisés dans l'industrie sont dorénavant pris en compte dans le secteur des services. Beaucoup de chefs d'industrie ont en effet externalisé une partie des fonctions administratives, comptables ou marketing dans des sociétés spécialisées dans le tertiaire. Mais même en tenant compte de ce phénomène, l'emploi industriel est très loin d'avoir retrouvé son niveau des années 70. « L'emploi dans les services et la construction ont augmenté bien plus vite que dans l'industrie », rappelle l'enseignant à l'université de Californie. Ce qui signifie que la part de l'emploi industriel dans l'emploi total n'a pas non plus grimpé en flèche en dépit des récentes créations d'emplois.
....mais la productivité est en berne
L'autre phénomène qui inquiète beaucoup les économistes est la chute de la productivité dans l'économie française, et en particulier dans l'industrie. L'emploi dans l'industrie a continué d'augmenter ces dernières années alors que la production industrielle n'a toujours pas retrouvé son niveau d'avant crise sanitaire. En d'autres termes, il faut plus d'emplois pour produire moins. Ce qui a provoqué mécaniquement un recul de la productivité dans l'industrie. La productivité « baisse très fortement », s'alarme l'économiste.
Dans une récente note, les économistes de la Banque de France ont expliqué que cette chute de la richesse produite par emploi pouvait s'expliquer par l'embauche massif d'apprentis et par les difficultés de recrutement. Face aux pénuries de main-d'œuvre, les industriels ont pu embaucher des travailleurs moins qualifiés et moins formés. Résultat, la valeur ajoutée par emploi a décroché dans de nombreux secteurs. Les gains de productivité dans les usines pourraient rebondir avec les moindres aides à l'embauche d'apprentis et la robotisation. Reste à savoir si la moisson d'investissements va contribuer à redonner du souffle à la productivité tricolore en berne.