Abbé Pierre : une institution face au scandale

Les accusations d’agressions sexuelles visant le prêtre catholique ont été révélées par la fondation qui porte son nom et par Emmaüs. Une démarche inédite.
L'Abbé Pierre.
L'Abbé Pierre. (Crédits : © LTD / Pascal Baril/ABACAPRESS.COM)

Pour arriver jusqu'au centre Emmaüs d'Esteville, le village normand où est enterré l'abbé Pierre, il faut traverser une exposition en plein air retraçant les combats de l'icône
de la solidarité en France. Au milieu des arbres, des photos de sans-abri, des citations du résistant imprimées sur de grandes toiles, des œuvres de street art. Au bout du sentier, la porte vitrée du centre est restée fermée depuis mercredi. Sur une feuille A4 scotchée, on peut lire: « En solidarité avec les victimes de violences sexistes et sexuelles et suite aux récentes révélations médiatiques, l'équipe du centre Abbé Pierre­Emmaüs a décidé de fermer symboliquement le lieu de mémoire jusqu'à nouvel ordre. »

Une porte close comme un symbole du séisme qui secoue l'institution depuis la publication du rapport relatant les témoignages de sept femmes. Un séisme dont ni la fondation Abbé Pierre, ni Emmaüs International, ni Emmaüs France n'ont tenté de minimiser les secousses. Bien au contraire. En ouvrant une ligne téléphonique et une adresse e-mail, les trois organisations incitent même d'autres potentielles victimes à se faire connaître. Hier, une infirmière a raconté au micro de France Inter avoir été victime d'attouchements de la part du fondateur d'Emmaüs quelques années avant sa mort, elle serait ainsi la huitième victime.

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Un choc immense

La première à avoir parlé l'a fait il y a plus d'un an. En juin 2023, une femme d'une cinquantaine d'années demande à voir la religieuse et théologienne Véronique Margron. Présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), elle est une figure du catholicisme reconnue pour sa lutte contre les violences et les crimes sexuels commis par des hommes d'Église. « Je l'ai reçue plusieurs heures, chez moi, dans mon bureau. J'ai senti chez elle beaucoup de souffrance, de l'angoisse, de la honte, de la culpabilité. Elle avait du mal à trouver les mots pour raconter les agressions sexuelles que l'abbé Pierre lui avait fait subir. Et en même temps, quel courage! C'est un investissement personnel qu'on n'imagine pas. »

À l'époque des faits, la victime lui dit avoir déjà alerté Emmaüs, qui aurait tenté d'étouffer l'affaire. Cela ne sera pas le cas en 2024. À la suite de l'entretien, Véronique
Margron contacte le président d'Emmaüs France et lui raconte l'histoire de cette femme. Les présidents d'Emmaüs France, Emmaüs International et de la Fondation Abbé Pierre rencontrent la victime fin septembre. Le choc est immense. Comment celui que beaucoup considèrent comme un père spirituel, un guide, voire même comme un « dieu » selon l'une des victimes, aurait-il pu être capable de faire cela?

Si l'abbé Pierre avait confessé avoir trahi le vœu de chasteté, l'absence de consentement, la violence et l'emprise n'avaient jamais été imaginées. « Passé le choc de cette révélation, nous avons pris le temps de nous concerter entre associations, explique Adrien Chaboche, délégué général d'Emmaüs International. Nous avons décidé, en décembre 2023, de faire procéder à une analyse de la situation par une structure experte afin de savoir s'il s'agissait d'un cas isolé ou non, pour pouvoir décider des suites. »

Les trois organisations mettent les moyens: le cabinet de conseil Egaé, codirigé par la militante féministe Caroline De Haas, est choisi pour mener l'enquête et rédiger le rapport. En parallèle, deux agences de communication parisiennes, 2017 et The Arcane, sont sollicitées pour préparer les révélations. « Nous ne nous sommes pas posé la question en termes économiques, continue Adrien Chaboche. Notre priorité a toujours été la vérité des faits et les victimes. »

Très vite, un objectif est affiché: il faut que l'institution soit à l'origine de la révélation
des faits. Personne n'a oublié le traumatisme vécu dans la communauté de l'Arche après les révélations concernant son fondateur, Jean Vanier. Selon un rapport de 2023, cette figure du monde associatif catholique a abusé sexuellement de 25 femmes. Dès 2016, une femme avait parlé, la communauté l'avait fait taire. Dans ce genre d'affaires, il est inédit que des organisations révèlent elles-mêmes des faits qui vont engendrer des crises.

Selon la version officielle, il s'agit d'être en phase avec les valeurs défendues: protéger les plus faibles et se mettre du côté des victimes. D'autres diront qu'il vaut mieux connaître la grenade qu'on dégoupille pour mieux en maîtriser l'explosion. Toujours est-il que rien ne doit fuiter. En tout, une dizaine de personnes seulement sont au courant du rapport qu'Egaé prépare dans le plus grand secret. Les auditions de victimes se succèdent, elles seront sept dans la publication du cabinet envoyée début juillet à Emmaüs et à la Fondation Abbé Pierre. Au début de cette semaine, les webinaires se sont multipliés pour prévenir salariés et bénévoles de la bombe qui allait sortir et qui écornerait inévitablement l'image du fondateur et de l'institution à laquelle ils appartiennent.

Soutenir les victimes avant tout

« L'émotion a été vive, à la mesure de la place de l'abbé Pierre au sein de notre mouvement, explique Tarek Daher, le délégué général d'Emmaüs France. Il y a eu des larmes, des pauses ont été demandées après les annonces, en interne toutes nos équipes ont accusé le coup. Bénévoles et salariés sont animés par des valeurs et des convictions très profondes - la solidarité, l'entraide, l'attention active portée aux plus démunis. Ces valeurs et ces convictions étaient très incarnées par l'abbé Pierre. Ce n'est pas la mort de ces valeurs et de ces convictions, mais c'est le deuil d'une certaine idée de l'abbé Pierre qui commence. »

Quelques heures avant la publication, Alain Grouès, le neveu de l'abbé Pierre, a
aussi été mis au courant. « L'émotion et le choc étaient immenses, mais ses pensées se sont immédiatement portées sur les victimes et sur leur douleur, reprend Tarek Daher. Il a exprimé son soutien plein et entier vis-à-­vis de notre démarche. » Selon sœur Véronique Margron, cette parole libérée et les décisions prises par les organisations pour faire face au problème sont les « conséquences heureuses » du rapport Sauvé et de la création de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase). « Les victimes ont compris qu'elles n'étaient pas seules, et les associations ou institutions savent qu'il faut faire appel à des organismes indépendants. » Cette commission avait vu le jour en 2019 à la suite, notamment, des révélations d'agressions sexuelles commises par le père Preynat sur de jeunes scouts. L'archevêque de Lyon de l'époque, Philippe Barbarin, avait déclaré: « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits. » C'était en 2016. Une éternité.

Commentaires 3
à écrit le 21/07/2024 à 15:33
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Y a-t-il eu une enquête sur Jésus Christ? Et le jour où ce sera l'examen des Saintes....

à écrit le 21/07/2024 à 10:07
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Bon ok mais il est mort faut passer a autrz chose

à écrit le 21/07/2024 à 8:02
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on ne vous entend pas lorsque vos confreres sont incriminer pour les memes cause la votre action consiste a detruire les memes accusations idem pour ceux de vos confrere qui consomme des stupefiants mais la aussi vous etes en premieres ligne pour...

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