Festival d'Avignon : la sérénité bien tempérée de Tiago Rodrigues

Pour la 78e édition du Festival d’Avignon qu’il dirige depuis deux ans, l’artiste portugais fait la part belle aux créations en langue espagnole et dirige la Comédie-Française dans une pièce qu’il a composée.
Tiago Rodrigues en 2023 dans la cour du quartier général du Festival d’Avignon.
Tiago Rodrigues en 2023 dans la cour du quartier général du Festival d’Avignon. (Crédits : © LTD / Olivier Monge/MYOP)

Artiste et directeur d'institutions : Tiago Rodrigues, 47 ans, se tient sur la ligne de ses prédécesseurs, de Jean Vilar, fondateur en 1947, à Olivier Py, à qui le Portugais a succédé en 2022. Ce n'est pas l'unique profil des patrons du Festival d'Avignon : Paul Puaux, Bernard Faivre d'Arcier, Alain Crombecque, Hortense Archambault et Vincent Baudriller ne prétendaient pas à une quelconque légitimité artistique. Mais construire une programmation, inviter tel ou telle et dans un lieu plutôt qu'un autre est affaire de sensibilité profonde, de créativité. « Cet été, lors de la 78 e édition, indique Tiago Rodrigues, nous proposons un hommage à Alain Crombecque, qui mettait son énergie au service des artistes, les accompagnait, au Festival d'Automne comme à Avignon qu'il dirigea de 1985 à 1992. Je ne l'ai pas connu, mais il demeure un modèle, et les témoignages réunis par Antoine de Baecque éclaireront nos choix. »

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Tiago Rodrigues fréquentait Avignon avant d'être nommé à la tête de la plus grande manifestation du spectacle vivant, et on le connaissait bien en France. D'abord parce qu'il s'était embarqué, à 20 ans, avec le groupe belge Tg Stan : un stage qui le fit vraiment naître à lui-même, jeune homme doutant qui s'était longtemps ennuyé à l'école, puis des spectacles partagés dont certains vinrent au Théâtre de la Bastille. « Plus tard, à l'invitation de Jean-Marie Hordé, j'y ai présenté By Heart, alors même que je venais d'être nommé, à Lisbonne, directeur artistique du Théâtre national Dona Maria II, que l'on compare à la Comédie-Française. » Moment d'une délicatesse et d'une force bouleversantes, ode à sa grand-mère qui, devenant aveugle, voulut apprendre par cœur un texte, cette célébration de la lecture et des Sonnets de Shakespeare, avec une participation subtile du public, condense toutes les qualités de Tiago Rodrigues.

C'est par cette forme brève qu'il avait choisi l'an dernier de saluer les spectateurs, depuis la cour d'honneur du palais des Papes, là où, en 2021, il avait présenté La Cerisaie de Tchekhov avec des comédiens de langue française, parmi lesquels Isabelle Huppert, au moment même où sa nomination à la tête du festival était officialisée : un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. « Pour cette deuxième édition, nous disposons d'un budget stable par rapport à 2023. Nous nous appuyons, pour échapper à ce qui serait une stagnation, sur des recettes de billetterie en hausse de 20 %, une augmentation du mécénat de 8 %. La participation de la société civile est essentielle.

« J'essaie de regarder notre monde avec les lunettes d'Euripide »

Au-delà du soutien de l'État et des collectivités territoriales, nous discutons beaucoup avec les mécènes. » Tiago Rodrigues en a tiré des conclusions d'efficacité : « En cette année particulière qui fait que le festival commence plus tôt, dès le 29 juin, pour trois semaines, nous proposons des séries plus longues qu'habituellement, notamment dans les salles de grande jauge : six fois Dämon d'Angélica Liddell, cinq fois Elizabeth Costello de Krzysztof Warlikowski, dans la cour d'honneur. À Boulbon, avec la Comédie-Française, nous donnerons quinze représentations d'Hécube, pas Hécube. » On peut ajouter : dix fois la compagnie Baro d'evel avec Qui som ? dans la cour du lycée Saint-Joseph, huit fois Absalon, Absalon ! par Séverine Chavrier, d'après Faulkner, ou encore six après-midi pour Forever de Boris Charmatz à la Fabrica.

« Boris Charmatz tient une place très particulière dans cette édition, souligne Tiago Rodrigues. Il est "l'artiste complice". Il est le directeur artistique du Tanztheater Wuppertal, fondé par Pina Bausch. Il sera à la Fabrica pour une "immersion dans Café Müller", mais aussi dans un lieu particulier, le stade de Bagatelle, sur l'île de la Barthelasse. » Autre fil important de cette 78e édition, la langue espagnole. « Je tiens à cette présence d'une "langue invitée". Après l'anglais, nous avons réuni des artistes venus d'Espagne, à commencer par Angélica Liddell, évidemment, mais elle est souvent présente à Avignon, La Ribot ou Baro d'evel, connus en France mais pour la première fois au festival. Beaucoup d'artistes viennent d'Espagne, et surtout d'Amérique latine : Argentine, Uruguay, Pérou, Chili. » N'oublions pas Quichotte par Gwenaël Morin !

Tiago Rodrigues

Tiago Rodrigues en 2023 dans la cour du quartier général du Festival d'Avignon. « Hécube, pas Hécube » en répétition à la Comédie Française.(© LTD / Olivier Monge/MYOP)

Et Hécube, pas Hécube, alors ? « Éric Ruf m'avait approché avant que je ne sois nommé à Avignon. J'avais tout de suite pensé à Elsa Lepoivre. L'idée d'Hécube s'est imposée plus tard. Cette reine, épouse de Priam, devenue esclave après la chute de Troie, va venger sauvagement la mort des siens. Dans ce monde grec, même elle, la vaincue, a le droit de demander justice. Dans Hécube, pas Hécube, j'imagine une comédienne qui joue Hécube. On va du réel douloureux à la tragédie. J'essaie de regarder notre monde avec les lunettes d'Euripide. Hécube date de 424 avant notre ère, et déjà Euripide se souciait des droits humains. » Première le 30 juin, carrière de Boulbon, lieu idéal.

Le meilleur d'Avignon

« Dämon - El funeral de Bergman »

Depuis La casa de la fuerza, spectacle présenté à Avignon en 2010 et qui manifestait douleur, rage, asservissement avec une puissance bouleversante, Angélica Liddell est
souvent revenue chez les papes. Elle affronte pour la première fois la cour d'honneur, avec un texte inspiré d'Ingmar Bergman, qui avait imaginé le scénario de son enterrement. Avec le Dramaten de Suède et sa compagnie.

Cour d'honneur, du 29 juin au 5 juillet à 22 heures. Durée : 2 heures.

« Quichotte »

Après son merveilleux Shakespeare de l'année dernière, Gwenaël Morin nous o re une plongée malicieuse chez Cervantès. Dans le rôle-titre de l'aventureux hidalgo, Jeanne Balibar. Marie-Noëlle est Rossinante, Thierry Dupont, Sancho, et le metteur en scène, en âne bien bâté, porte le fardeau de cette création appétissante.

Jardin de la rue de Mons, du 1er au 20 juillet à 22 heures. Durée : 2 heures.

« La Vie secrète des vieux »

De grands et parfois longs spectacles, et des formes plus légères. Mohamed El Khatib propose, à la Chartreuse, une plongée brève et tendre dans un monde qui n'a pas souvent de visibilité. Huit anciens pensent à leurs amours passées et affirment leurs rêves du présent. Après les supporters de Lens dans Stadium en 2017, l'artiste singulier donne la parole à qui ne l'a pas souvent.

Chartreuse de Villeneuve, du 4 au 19 juillet à 18 heures. Durée : 1 h 10.

« Los días afuera »

Le large programme en langue espagnole offre une création nouvelle de Lola Arias, artiste d'Argentine. Un spectacle très particulier, donné dans un décor qui évoque les
faubourgs de Buenos Aires, qui mêle théâtre, musique, danse et met en lumière des femmes cisgenres et des personnes transgenres qui, après la prison, se réinsèrent.

Opéra Grand Avignon, du 4 au 10 juillet à 18 heures. Durée : 1 h 45.

« Elizabeth Costello »

On retrouve le Polonais Krzysztof Warlikowski, avec l'héroïne fascinante qu'est Elizabeth Costello. Femme de tête, romancière à succès surgie dans l'esprit de l'écrivain né en Afrique du Sud J.M. Coetzee, souvent présente dans les spectacles du metteur en scène. Écologiste combattante, elle défend la nature et les animaux, inlassablement.

Cour d'honneur, du 16 au 21 juillet à 22 heures. Durée : 4 heures.

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