Prix du livre La Tribune : garanti sans fiction

Mercredi soir s’est tenue à Paris la cérémonie de dévoilement du prix du livre La Tribune – qui fêtait son deuxième anniversaire. Deux ouvrages couronnés : le dernier essai de Raphaël LLorca et le premier roman de Claire Vesin.
Raphaël Llorca, auteur du Roman national des marques.
Raphaël Llorca, auteur du Roman national des marques. (Crédits : © LTD / PASCAL ITO)

Blues blanches

Le roman de Claire Vesin, qui nous entraîne au cœur de l'hôpital public de banlieue, vaut tous les rapports d'experts.

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Lorsqu'on attaque la lecture d'une fiction dans l'univers hospitalier, on s'attend au sang, aux drames, à des « NFS, chimie, iono » hurlés par de sexy et héroïques médecins, aux brancards qui s'entrechoquent et aux internes qui se percutent en salle de repos. Calmons-nous : Blanches n'est pas la version papier d'une série télé. Claire Vesin ne cède pas aux clichés et à l'émotion facile dans ces salles d'attente, concentrés de la société où chaque jour la vie et la mort sont en balance. Et pourtant, c'est tout aussi captivant. Médecin de profession, elle détaille avec finesse la fragilité du système de santé et du personnel hospitalier. Ce qui aurait pu être un documentaire se mue en pur roman grâce à l'épaisseur de ses personnages.

Le temps du stage d'une interne bien née, la fragile Aimée, on découvre Jean-Claude, le vieux et brillant chirurgien torturé par ses démons, Laetitia, la trop jeune infirmière en première ligne à l'accueil des urgences, ou Fabrice, le solide médecin du Samu qui perd son assurance et son sex-appeal lorsqu'il retire l'uniforme. Et puis il y a ce bâtiment. Le centre hospitalier de Villedeuil, banlieue imaginaire à 4 kilomètres de Paris. Il fut au début du XXe siècle un majestueux ensemble de pavillons de briques avec sa fontaine et son allée de tilleuls. La pression démographique des banlieues l'a affublé dans les années 1970 de tours recouvertes de carrelage blanc aux noms symbolisant la modernité, comme « Cosmos », où se déroule l'action. Aujourd'hui tout tombe en décrépitude. Même la guirlande lumineuse de bienvenue, installée pour les fêtes, n'affiche plus qu'une lettre sur trois. À peine posée et déjà défectueuse.

Fientes de pigeon

Dans un service en sous-effectif chronique, les urgentistes se retrouvent face à des « gens peu suivis médicalement, [qui] ont des pathologies qui n'existent plus en France et ne parlent pas la langue... ». Et l'équipe tient, déplace les brancards pour éviter les fientes des pigeons qui ont élu domicile dans les couloirs, se serre les coudes autour d'une pause clope sur la terrasse, jusqu'à l'erreur qui va remettre en question la vocation.

À la « course sans fin pour diminuer la pile de dossiers en attente », la primo-romancière oppose une écriture posée de laquelle se dégagent douceur et mélancolie. Et, sans jamais forcer le trait, elle réussit à faire de cette fiction sur l'hôpital un roman social qui interroge notre humanité. (Anne-Laure Walter)

© LTD / PASCAL ITO

Marque repère

Dans cet essai passionnant, Raphaël LLorca met en garde contre la privatisation du roman national par les entreprises.

Après avoir lu le dernier livre de Raphaël LLorca, vous regarderez différemment les spots publicitaires. Ces derniers ne font pas que vendre un produit ou soigner une image, ils portent aussi un discours politique. C'est ce que nous apprend, mêlant subtilement sociologie, sémiologie et théorie de la communication, ce Roman national des marques. Non contentes d'avoir modelé les identités individuelles, les marques s'emploient désormais à raconter le roman national, « cette sorte de macro-récit, traditionnellement élaboré par le pouvoir politique et transmis par l'École, qui a pour objectif de raconter le pays de façon romancée - son identité, ses valeurs, ce qui nous tient ensemble ce en quoi on croit, etc. ». Récit que les politiques n'arrivent plus à faire vivre. Études à l'appui, l'auteur explique que ce sont les écrivains qui y réussissent le mieux... et encore. Les marques, elles, sont redoutables d'efficacité pour toucher des publics plus jeunes. Elles savent parler des banlieues - à l'instar de la publicité de la société de VTC Heetch - ou expliquer l'inflation et vanter la solidarité des Français - le docker d'Intermarché. Sans parler de la FDJ, qui transforme son slogan « faire gagner les Français » en un « et voir la France gagner », et des marques de luxe qui dessinent une France Emily in Paris, loin de celle de Renault.

Roman privatisé

Même des marques internationales narrent la France avec plus de brio que des élus. Nike, sponsor de l'équipe de France de football, qui dans ses campagnes rattache les joueurs à leur ville de naissance et met en avant les terrains au pied des barres d'immeubles. La France devient le sujet.

LLorca nous met en garde : il ne faut pas laisser ce roman être ainsi privatisé. Les politiques doivent se le réapproprier, quitte à emprunter aux marques habileté et imagination. Ces dernières ne peuvent ignorer leur responsabilité : « À l'avenir, il paraît inconcevable que les futures campagnes publicitaires de Renault, Burger King et autres SNCF ne s'accompagnent pas d'une batterie de tests sur le caractère politique de leur réception : quelle image donnent-elles de la société française, de ses tensions, de ses représentants, de ses aspirations ? » Incontournable, l'ouvrage de Raphaël LLorca somme le monde politique de répondre au « besoin de France » d'une société en manque de récits, de souffle et d'espoir. A.M

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