Drag Race France : liberté, égalité, talons compensés !

Hymne à la tolérance, le concours de drag-queens de France 2 s’est imposé comme un phénomène cathodique et culturel. Plongée dans les coulisses d’un programme qui cartonne pour la 3e saison.
Karl Sanchez, plus connu sous le nom de scène Nicky Doll.
Karl Sanchez, plus connu sous le nom de scène Nicky Doll. (Crédits : © LTD / JEAN RANOBRAC ; SÉBASTIEN LEBAN POUR LA TRIBUNE DIMANCHE ; ANNE CLAIRE HÉRAUD ; CORENTIN FOHLEN POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Les 250 billets se sont vendus en seulement quelques minutes sur Internet. « Comme pour un concert de Beyoncé », se marre Clément, l'un des organisateurs de cette soirée placée sous le signe de Drag Race France. Bienvenue au Césure, une friche culturelle nichée sur le site de l'ancien campus Censier de la Sorbonne-Nouvelle, au cœur du 5e arrondissement de Paris. Ici, tous les vendredis soir, les fans du concours de drag-queens de France Télévisions ont rendez-vous pour une viewing party comme il en existe des centaines aux quatre coins de la France, y compris dans des villes moyennes.

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Au menu des festivités : la projection sur un écran géant du dernier épisode de la saison 3. Avec en bonus des performances live de candidates du programme et un DJ Set. Massés dans cette salle épurée qui accueille la journée une boutique Emmaüs, les spectateurs n'en perdent pas une miette, un verre à la main. Applaudissements, encouragements, ou encore reprise en chœur du gimmick de l'émission (« Lé-gen-daire »), le public vit la compétition à l'unisson, à la manière de supporters de football. Comme dans les bars des rues adjacentes qui di usent au même moment un match de l'Euro. Les jurons en moins. « C'est un très beau moment de partage collectif, savoure Albin, la trentaine. C'est beaucoup plus sympa que de regarder l'épisode tout seul sur son canapé comme je le faisais au début. Pour moi qui suis gay, c'est aussi une manière de passer une soirée dans un lieu sécurisant, où je sais que je ne serai pas jugé parce que j'ai du vernis à ongles. » À quelques rangées de lui, Inès abonde : « C'est important d'être réunis tous ensemble, car cette émission prône des valeurs d'égalité, de tolérance et de bienveillance », explique celle qui se définit comme une « alliée » - comprendre une hétérosexuelle soutenant activement les combats de la communauté LGBT+. Au milieu de ce public très éclectique, on retrouve également Rita, une petite fille de CM2, venue avec sa belle-mère. « Au début, quand j'en parlais à mes copines, elles trouvaient ça un peu bizarre, une émission télé avec des drag-queens, car elles sont plus branchées Reine des neiges. Mais grâce à moi, certaines s'y sont mises ! »

Des sujets de société

Lancé en 2022, Drag Race France est devenu en trois saisons un véritable phénomène. Diffusée le vendredi à 19 heures sur la plateforme France.tv et à 22 h 55 sur France 2, cette adaptation de la franchise américaine à succès RuPaul's Drag Race affole les compteurs dans l'Hexagone (lire ci-dessous). Un pari qui était pourtant loin d'être gagné d'avance, comme l'explique son producteur Nicolas Missoffe, d'Endemol France : « Après avoir acheté les droits à la société de RuPaul [la drag-queen à l'origine du concours], on a galéré pendant trois ans pour trouver un diffuseur, rembobine-t-il. Les chaînes craignaient que ça soit trop "niche". Le seul groupe qui a accepté est France Télévisions. » Pour se distinguer de la version américaine, la production et le groupe public ont choisi dès le départ de recentrer le programme sur des sujets de société. « Derrière les paillettes, le rire et l'exubérance, il y a souvent des parcours de vie cabossés, explique le producteur. On a voulu les mettre en avant pour faire bouger les lignes et changer les mentalités. En 2024, des homosexuels se font encore casser la gueule à la sortie des boîtes de nuit. »

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Lors de la "viewing party" au Césure, à Paris. (© LTD / AXELLE DE RUSSÉ POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Dans l'atelier de l'émission, entre deux défis maquillage, danse ou chansons, les participantes se livrent à de poignantes confidences. Comme lorsque Mami Watta (saison 2), originaire de Côte d'Ivoire, raconte la thérapie de conversion que sa famille lui a imposée. Ou quand Lolita Banana (saison 1) se livre sans fard sur sa vie au quotidien avec le VIH et délivre un puissant message contre la sérophobie. « Lors de ces séquences, il y a toujours un silence de mort dans la salle, explique Olivier, fidèle des viewing parties depuis la première heure. Lorsque la queen a fini de témoigner, il arrive que le public se lève et l'ovationne comme pour lui donner du courage à travers l'écran. Ça me fout à chaque fois les poils, c'est beau à en pleurer. »

« Sois contente d'être là et tais-toi »

Jurée du concours depuis la première saison, l'animatrice Daphné Bürki se réjouit que de tels thèmes soient abordés à la télévision. « Dès le lendemain du premier épisode, j'ai compris qu'il se passait quelque chose, confie-t-elle. Ça touche le public de toute la France, pas seulement les Parisiens. Chez mes parents dans le Maine-et-Loire, un couple est venu me voir au supermarché en me disant qu'ils étaient tombés par hasard sur l'émission de France 2 et qu'ils avaient beaucoup aimé. Je me suis dit : "C'est gagné !" »

Autre vertu de Drag Race France : avoir démocratisé l'art du drag-queen et suscité des vocations. Cette saison, la production a reçu pas moins de 500 candidatures. « Pendant longtemps, les gens ne comprenaient pas ce qu'on faisait, confie la présentatrice Nicky Doll, passée en 2020 par la case "candidate" dans la version américaine. On était très sexualisées et vues au mieux comme des gogo danseuses, au pire comme des prostituées. C'était également très difficile d'en vivre. On nous filait à peine 100 euros pour une soirée, en nous disant en substance : "Sois contente d'être là et tais-toi." Il y a encore dix ans, on était toutes obligées d'avoir un boulot alimentaire à côté. » Une époque révolue tant la scène drag-queen est devenue hype. « Même une antenne de la BNP en province a fait appel à moi pour une soirée d'entreprise », glisse une artiste qui pratique le drag depuis dix ans. Un art mariant chant, danse, acrobatie, make-up et comédie qui s'est invité pour la première fois cette semaine au Crazy Horse, avec un show signé Violet Chachki, gagnante de la saison 7 de RuPaul's Drag Race aux États-Unis. Une petite révolution pour le célèbre cabaret parisien.

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Lors de la "viewing party" au Césure, à Paris. (© LTD / AXELLE DE RUSSÉ POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Mais des résistances subsistent encore, notamment tout à droite de l'échiquier politique. Il y a quelques mois, à l'Assemblée nationale, le député RN Philippe Ballard a fustigé Drag Race France et son diffuseur France Télévisions, évoquant une « dérive du service public ». « À la veille des élections, cette viewing party au Césure a une résonance particulière pour moi, confie dans sa loge de fortune Le Filip, candidate de la saison 3, juste avant son entrée en scène. Je me dis que l'an prochain il n'y aura peut-être plus Drag Race à la télévision si le Rassemblement national passe. La possible arrivée au pouvoir d'un parti extrême nous inquiète beaucoup et vient nous rappeler qu'il y a en France des gens paumés qui aimeraient que l'on n'existe pas. » Quelques minutes plus tard, lors de sa prestation, elle appelle clairement à « voter Front populaire », sous les hourras d'un public acquis à sa cause. Candidate de la saison 1, La Briochée fait elle aussi part de ses inquiétudes. « La victoire de l'extrême droite serait une régression, explique l'artiste transgenre qui s'est retrouvée l'an passé bien malgré elle sur un tract du parti Reconquête d'Éric Zemmour. Ils avaient mis ma tête sur un flyer qui dénonçait la prétendue "propagande LGBT". J'ai porté plainte. Mais même quand on est agressées physiquement, il y a très rarement des suites. Alors là, vous imaginez bien que ça n'a pas abouti... » Et de conclure : « Je préfère retenir les torrents d'amour que l'émission nous a offerts. J'ai pris conscience que l'on faisait rêver de nombreuses personnes. Notre art est une ode au vivre-ensemble. »

Drag Race France, saison 3, le vendredi
à partir de 19 heures sur la plateforme
France.tv et à 22 h 55 sur France 2.
La finale aura lieu le 19 juillet.

Un programme qui se voit et qui fédère

Chaque épisode rassemble en moyenne plus de 800 000 téléspectateurs, dont un tiers le consommant en replay. En intégrant les séquences di usées sur les plateformes comme YouTube, ce sont au total 11,2 millions de personnes qui ont été curieuses l'an passé de la saison 2 de Drag Race France. Sur les réseaux sociaux également, le programme ne passe pas inaperçu, avec plus de 200 000 messages postés par saison. Mais au-delà de ce carton télévisuel et numérique, le divertissement connaît une seconde vie dans les salles de spectacle. À la fin de chaque saison, une tournée réunissant les dix candidates sillonne les Zéniths de France.

L'an dernier, elle s'est jouée à guichets fermés devant plus de 60 000 spectateurs. Le coup d'envoi de cette saison 3 - qui comprendra 28 dates - sera donné le 14 septembre aux Folies Bergère, à Paris. « C'est une expérience de dingue, c'est là que je me suis rendu compte de l'attachement du public à notre émission, confie Nicky Doll. Au début, j'ai été très surprise car on voit dans les premiers rangs des grands-mères, des enfants et des hétéros. Quand j'avais participé à la tournée de RuPaul's Drag Race aux États-Unis, le public était beaucoup plus queer. »

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Minima Gesté. (© LTD / JEAN RANOBRAC POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Minima Gesté « Porter la flamme olympique est une reconnaissance »

LA TRIBUNE DIMANCHE - Le 14 juillet, vous serez relayeuse lors de l'arrivée de la flamme à Paris. Qui vous l'a demandé ?

MINIMA GESTÉ - Cet automne, j'ai reçu sur Instagram un message privé du compte d'Anne Hidalgo. Au départ, j'ai cru qu'elle se l'était fait pirater et qu'on allait me demander 200 balles ! Mais non, c'était son cabinet qui me proposait de porter la flamme. J'ai dit oui car c'est une reconnaissance et un véritable symbole. Ça n'aurait pas été possible il y a quelques années. Je n'ai pas participé à Drag Race, mais ce programme a été un accélérateur pour toutes les drag-queens. Il a ouvert la voie.

Lorsque votre présence a été annoncée par la Ville de Paris, vous avez été la cible d'insultes sur les réseaux sociaux...

Ça a été hyper violent. J'ai reçu pendant des semaines des milliers de messages du style « Pauvre France », « Quelle honte » ou « Brûle en enfer ».
Sur TF1, Marion Maréchal m'a qualifiée de personne « vulgaire et hypersexualisée ». Ça me conforte dans l'idée qu'il faut se montrer, quitte à faire chier les gens, comme je vais le faire le 14 juillet. Ce n'est pas en se cachant qu'on fera avancer nos droits.

La question cruciale : quelle tenue porterez-vous ?

Hum... Je vais devoir porter l'uniforme des relayeurs : un jogging et un tee-shirt blanc pas très seyant. Mais tant pis, je viendrai avec mes talons hauts et une magnifique perruque. Je vais partir sur un roux un peu rose, pour être aussi flamboyante que la flamme. Et puis tiens, j'aurai aussi un maquillage « vulgaire et hypersexualisé » pour revendiquer ma fierté ! [Rires.]

UNE LIBRAIRIE CIBLÉE PAR DES ANTI-DRAG-QUEENS

L'événement était prévu de longue date. Samedi dernier, la librairie Sauramps située place de la Comédie à Montpellier devait accueillir une lecture pour enfants animée par deux drag-queens d'une association locale. « Les livres avaient été sélectionnés par nos libraires et n'étaient pas du tout prosélytes, raconte David Lafarge, le directeur. Ils parlaient du harcèlement scolaire, des familles recomposées ou encore de l'acceptation de soi. » Trois jours avant la manifestation, un message est posté sur une boucle Telegram de la Ligue du Midi, un groupuscule identitaire. « Ils appelaient à "brûler tout ça", poursuit-il. Dans la foulée, on a reçu de nombreux coups de fil et messages de menace envoyés par d'autres mouvements d'extrême droite. » Après avoir envisagé avec la préfecture de mettre en place une surveillance policière, la librairie a finalement jeté l'éponge. « Pour la sécurité physique des participants, mais également car des violences verbales devant la librairie auraient pu choquer les enfants à leur arrivée, déplore David Lafarge. Cette fois-ci, on a dû reculer, mais il est hors de question de capituler. On reviendra... »

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Commentaire 1
à écrit le 30/06/2024 à 9:27
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Hymne à la tolérance ou plutôt hymne à la femme ? S'ils font cela ce n'est pas pour lutter contre l'intolérance cela n'aurait pas de sens mais par contre je trouve que cela met en lumière les femmes de façon générale et qui le méritent bien que les h...

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