Anne-Sophie Lapix : « Mon but n’est pas d’être agressive avec mes invités »

ENTRETIEN - La présentatrice du 20 Heures de France 2 décortique la saison qui s’achève, sans éluder les critiques qui peuvent parfois la viser. Confidences exclusives.
Anne-Sophie Lapix, présentatrice du 20 Heures de France 2.
Anne-Sophie Lapix, présentatrice du 20 Heures de France 2. (Crédits : LTD / Delphine GHOSAROSSIAN/FTV)

Entre ses JT et l'interview d'Emmanuel Macron jeudi soir, sa semaine a été sportive. Son marathon n'est pas terminé, car Anne-Sophie Lapix sera ce soir aux manettes avec Laurent Delahousse de la soirée électorale de France 2. Au milieu de ce tourbillon, elle a reçu La Tribune Dimanche dans son bureau niché au cœur de France Télévisions. Pour son premier entretien depuis presque un an.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Les européennes ne passionnent franchement pas les Français. Comment les intéresser à votre soirée électorale ?

ANNE-SOPHIE LAPIX - C'est vrai qu'il n'y a pas de réel engouement. C'est paradoxal, car j'ai l'impression que les Français ont désormais bien compris que c'est au niveau européen que beaucoup de choses importantes se décident. Depuis deux mois, on a essayé de les embarquer en proposant un sujet chaque jour dans notre JT. Avec notamment des comparatifs sur les thèmes de campagne et du fact checking, car il y a eu énormément d'intox. Je trouve que c'est aussi un choix fort de la part de France Télévisions de proposer une vraie soirée électorale complète [entre 19h30 et 23h30], comme pour la présidentielle.

Les sondages placent en tête le RN, avec lequel vous avez une histoire compliquée. Marine Le Pen vous a plusieurs fois reproché votre « hostilité » à son égard...

Je pourrais aussi dire qu'il m'est arrivé de ressentir de l'hostilité ! Avec Marine Le Pen, cela remonte à une interview de 2012. Je l'avais questionnée sur son programme comme je le faisais avec tous les autres candidats. Il n'y avait rien de personnel ou de mesquin. Mais, honnêtement, ça n'a pas empêché d'autres interviews depuis. Les choses se sont apaisées.

Vous avez interviewé jeudi Emmanuel Macron, qui vous a longtemps « boudée ». Vos relations se sont donc réchauffées ?

C'est le deuxième entretien en quatre mois. C'est Byzance ! [Rires.] C'est vrai que je ne l'ai pas beaucoup reçu pendant une longue période, mais je n'ai pas de preuve d'un quelconque problème ou d'une hostilité à mon égard. Est-ce qu'il s'agissait d'un malentendu ? Est-ce que ça venait de son entourage ? En tout cas, interviewer un président de la République est toujours un moment particulier et délicat. Le plus difficile est parfois d'arriver à l'interrompre sans heurter les téléspectateurs. C'est pourtant nécessaire car sinon, on ne sert à rien, ça devient une allocution.

Justement, on vous reproche parfois de trop couper la parole à vos invités, voire de leur rentrer dedans...

Je me mets à la place du public. Si je me dis « il y a quelque chose qui cloche » pendant que mon invité parle, je lui demande tout de suite de préciser sa pensée ou je le mets face à ses contradictions. Mais mon but n'est pas d'être agressive. En arrivant au 20 Heures, j'ai également essayé de gommer mon ironie, qui n'était pas mal perçue lorsque je présentais une émission politique sur Canal+. Après, oui, il m'arrive toujours d'avoir un petit sourire quand je pose des questions « taquines ». C'est mal vécu par certains invités. Mais tant pis, on ne peut pas tout contrôler !

Cette saison, le conflit au Proche-Orient a été au cœur de votre JT. Comment être équilibré sur ce sujet aussi inflammable ?

Je n'emploierais pas le mot « équilibre ». Je préfère parler de « neutralité ». Dans l'équipe, avec Elsa Pallot, la rédactrice en chef, notamment, il n'y a aucune idéologie. Le conflit a donné lieu à des débats apaisés dans la rédaction. Depuis le 7 octobre, on soupèse chaque mot dans nos sujets. On a envoyé des grands reporters chevronnés : Maryse Burgot, Stéphanie Perez, Dorothée Olliéric, Marc de Chalvron, et bien sûr notre correspondante sur place Agnès Vahramian. Je ne peux que saluer le travail accompli par toute la rédaction.

Est-il vrai que Meryl Streep vous a plantée au Festival de Cannes car elle craignait une question sur ce conflit ?

Je n'en suis pas sûre. C'est ce qu'on m'a rapporté. Je n'aurais même pas eu l'idée de le faire ! Elle aurait également craint qu'on l'interroge sur MeToo. La veille, lors d'un dîner officiel, Delphine Ernotte [PDG de France Télévisions] a essayé et même tout fait pour la convaincre d'accepter l'interview. Le lendemain, comme on n'avait pas d'engagement ferme, on s'est dit avec l'équipe : « On y va, c'est Cannes, on tente de l'intercepter. » On savait qu'elle devait se rendre à un endroit précis à telle heure. [Rires.] J'étais maquillée, tout était prêt, mais malheureusement dix personnes l'entouraient au moment où je m'apprêtais à me jeter sur elle ! J'étais tellement déçue que j'en ai eu les jambes coupées. On a essayé...

Je préfère ne pas fréquenter d'hommes ou de femmes politiques

Comment expliquez-vous le coup de mou ces derniers mois des audiences de votre JT ?

En novembre et décembre, on était en très grande forme. En janvier, ça a commencé à être difficile. Je n'ai pas vraiment d'explications. D'autant que nous ne sommes pas le seul JT de la chaîne à connaître parfois des difficultés. Peut-être la nouvelle façon de
mesurer l'audience de Médiamétrie joue-t-elle un rôle à la marge. On est pourtant très satisfaits des nouveaux formats qu'on a lancés cette saison comme le décryptage vidéo avec la cellule des « Révélateurs ». Je ne vais pas vous mentir en vous disant que je me moque des audiences. C'est un combat car c'est important d'informer le plus de monde possible. Alors, oui, je les regarde tous les jours à 9h01.

Votre mari, Arthur Sadoun, est PDG de Publicis. Comment réussissez-vous à bien cloisonner vos activités respectives ?

À France Télévisions, je remplis chaque année une déclaration de conflits d'intérêts dans laquelle j'indique être l'épouse du patron de Publicis. Il n'y a rien de caché. S'il y a le moindre risque de conflit lors d'un reportage, je me mets immédiatement en retrait. Par ailleurs, je préfère ne pas fréquenter d'hommes ou de femmes politiques. Car si je déjeune avec eux, je prends le risque de les trouver sympathiques et de ne plus parvenir à les interviewer de manière « musclée ».

Vous qui protégez énormément votre vie privée, comment avez-vous vécu d'être au cœur de l'actu en début d'année lorsque deux tentatives de home-jacking ont eu lieu à votre domicile ?

Forcément mal. Ça a touché toute ma famille. Mon fils est un héros car c'est lui qui a mis en fuite les voleurs, avec beaucoup de sang-froid. Mais ça vous fragilise car vous êtes ensuite dans un état de vigilance permanent. En revanche, je trouverais inconvenant de me plaindre car ces tentatives ont avorté et les auteurs ont été arrêtés. D'autres n'ont pas eu la même chance. Ce que je trouve fatigant, ce sont les fuites qu'il y a eues dans la presse. Les policiers de terrain qui ont travaillé sur cette affaire, et qui ont été extrêmement efficaces, vivent également très mal ces indiscrétions de certains de leurs collègues.

Êtes-vous favorable au projet de fusion dans l'audiovisuel public ?

À titre personnel, je ne suis pas opposée sur le principe à une fusion. Fusionner les régies pub ou faire des économies sur les achats, ça paraît cohérent. Mais ce qu'il faut savoir, c'est ce que ça va changer concrètement pour les salariés. On l'ignore pour l'instant. J'attends d'en connaître plus sur le contenu et l'ambition de ce projet.

Une interview qui fait grincer des dents

L'invitation d'Emmanuel Macron aux JT de 20 heures de TF1 et France 2, jeudi soir, à trois jours seulement des élections, a suscité un vif agacement du côté de l'opposition. À peine l'interview annoncée, plusieurs responsables politiques, à l'image d'Éric Ciotti (LR) ou d'Olivier Faure (PS), ont saisi l'Arcom. Avec un objectif : que l'intervention soit décomptée du temps de parole de la liste de la majorité présidentielle portée par Valérie Hayer. Un sujet hautement sensible car, dans cette dernière ligne droite, les chaînes doivent s'assurer d'une équité entre tous les candidats. « Pour l'interview d'Emmanuel Macron, il faut distinguer ce qui relève des sujets régaliens et ce qui est en rapport avec l'Europe et les élections », indique Cyril Guinet, directeur de la réglementation et de la déontologie à France Télévisions. Seules les dernières minutes consacrées aux européennes devraient donc être décomptées du temps de parole de Valérie Hayer, à la différence de toute la première partie sur le Débarquement, l'Ukraine ou le conflit au Proche-Orient. Ce que l'Arcom devra toutefois valider formellement a posteriori dans les prochains jours.

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Commentaires 3
à écrit le 09/06/2024 à 12:37
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Mon but est d'être là représentante de la ploutocratie ...

à écrit le 09/06/2024 à 12:27
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Ça n’est pas comme Anne Claire Coudray recevant Jordan Bardella sur TF1 qui le harcèle avec des questions révélant quelque peu la couleur de son bulletin de vote…… Tout le monde n’a pas le professionnalisme de Mme Lapix.

à écrit le 09/06/2024 à 7:49
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Sinon vous ne pourriez pas faire de télé de toutes façons.

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