Maître Antoine Vey : « Julian Assange est une cause littéraire »

ENTRETIEN - Pour tenter de rendre l’affaire « moins incompréhensible », l’avocat du fondateur de WikiLeaks publie un petit livre sous forme de plaidoirie cicéronienne.
Antoine Vey en 2019 au Palais de Justice d’Aix-en-Provence.
Antoine Vey en 2019 au Palais de Justice d’Aix-en-Provence. (Crédits : LTD / DOMINIQUE LERICHE/NICE MATIN/MAXPPP)

Autour de Julian Assange, un épais brouillard dont jaillissent quelques images, et d'abord ces séquences inouïes au balcon de l'ambassade d'Équateur à Londres : la première, où le fondateur de WikiLeaks demande aux États-Unis de cesser la « chasse aux sorcières » contre son réseau, date du dimanche 19 août 2012, deux mois après que le « hacktiviste » natif d'Australie a trouvé refuge en « territoire équatorien » pour éviter une extradition vers la Suède dans une affaire d'agression sexuelle (qui finira par être classée sans suite), prélude à une extradition vers les États-Unis, où Assange est accusé d'espionnage pour avoir en 2010 rendu publics plus de 700 000 documents confidentiels portant sur les actions du Pentagone et du département d'État. À elle seule, cette phrase interminable témoigne du caractère tentaculaire d'une affaire que la personnalité de l'accusé ne simplifie pas... La deuxième séquence n'est pas moins spectaculaire : sur le même balcon suspendu au milieu des briques rouges, le 5 février 2016, un Assange presque fantomatique apparaît pour proclamer « this is a victory » dans la foulée d'une prise de position en sa faveur d'un comité de l'ONU.

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Pour le reste, on se perd un peu beaucoup dans les dédales de cette histoire sans fin. On sait que l'Équateur lui a retiré l'asile politique, qu'il a été arrêté par la police britannique le 11 avril 2019 au sein même de l'ambassade dans laquelle il avait vécu reclus pendant six ans et dix mois ; qu'il est depuis incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh, à quarante-cinq minutes de Londres, et qu'il se bat contre la volonté des États-Unis d'obtenir son extradition. « En multipliant les procédures et les actes d'accusation, l'affaire est délibérément rendue illisible, incompréhensible et inintelligible », écrit Antoine Vey, l'avocat français de Julian Assange, dans ce livre-plaidoirie où il tente de rendre « moins incompréhensible », dit-il, le dossier « Assange c. USA ».

LA TRIBUNE DIMANCHE - Dans cet ouvrage, vous n'entrez pas dans les détails des audiences, des renvois, des recours, etc. ; vous retracez la vie de Julian Assange en quatorze documents et objets. Pourquoi prendre le risque de l'extrême simplification ?

ANTOINE VEY - La complexité est un des pièges de ce dossier qui a d'immenses ramifications. Il faut la déjouer. Je me suis inspiré de Modiano. Dans Dora Bruder, il réussit à présenter l'histoire de cette jeune fille par le truchement d'adresses, d'objets, de lettres. L'idée était de produire un petit livre qui permette à tout le monde d'entrer dans ce dossier et de reprendre le fil des grands enjeux. À l'origine, on voulait produire un document technique d'une quinzaine de pages, on s'est aperçus que c'était trop aride, donc on l'a enrobé dans un document plus narratif. Mais ce n'était toujours pas satisfaisant. Je me suis alors dit que le livre restait un puissant outil de communication. Je le destine notamment aux interlocuteurs les plus avisés qui, sinon, pourraient s'abriter derrière le fait qu'ils n'ont pas été bien informés.

Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, votre ancien associé, compte-t-il parmi les destinataires ?

Non. Comme il a été intervenant pour Julian Assange, on part du principe que ce n'est pas un sujet sur lequel il est susceptible de s'exprimer.

L'avez-vous envoyé à Emmanuel Macron ?

Oui. De même qu'au Premier ministre et à 2 000 autres personnes. Puisque c'est un dossier complètement politique, ce que l'on cherche à accrocher, c'est une parole politique forte.

Je me suis inspiré de Modiano. Dans « Dora Bruder », il présente l'histoire de cette jeune fille par le truchement d'adresses, d'objets, de lettres

Faut-il comprendre que vous souhaitez avoir en France d'autres défenseurs que Jean-Luc Mélenchon ?

Dans tous les pays du monde, il y a une branche alternative qui s'empare du personnage Assange parce qu'ils veulent faire de lui un anti. Assange ne doit pas être récupéré par une frange. On peut être proaméricain et pro-Assange. Qui, dans une démocratie, est contre le fait d'être librement informé ?

Ça va plus loin que cela : Julian Assange est un idéologue de la transparence absolue...

Ce n'est pas la transparence absolue car il ne s'attaque pas à la vie privée des gens... Sa cause, c'est le droit à l'information et la transparence de l'action publique. Il faut se poser cette question : jouirons-nous des mêmes droits dans cinquante ans si nous renonçons à défendre ceux qui chérissent la liberté d'informer ?

« Défendre le cas Assange, c'est aussi ressentir une immense impuissance, une responsabilité face à l'absurde, au risque qu'un jour la lumière ne s'éteigne », écrivez-vous. Quand êtes-vous entré dans l'affaire ?

En 2019. Quand il a été incarcéré, il a monté une équipe d'une quinzaine d'avocats européens. Le but, c'est de sortir de cette espèce de tunnel juridique et légal dans lequel il ne faut commettre aucune faute, mais on sait très bien que ce n'est pas un tunnel qui va nous emmener vers sa libération. Et puis il y a un récit à reconstituer. Julian n'est poursuivi que pour avoir créé une plateforme 2.0 destinée à diffuser des informations vraies que les médias traditionnels n'étaient en mesure ni de collecter ni de publier. Pour reprendre son expression, WikiLeaks « accorde l'asile » aux documents les plus « persécutés » de la planète, après avoir vérifié leur authenticité et évalué la pertinence de leur divulgation. Beaucoup de confusions ont été volontairement créées. Il a été présenté comme un lanceur d'alerte irresponsable mettant en danger la vie d'autrui, un fossoyeur des États. Et même comme un agresseur sexuel !

Ce que dans le livre vous appelez « l'allumette suédoise »...

Ces deux femmes n'ont jamais souhaité porter plainte. D'une absence de plainte, on évolue vers une procédure pénale hyper médiatisée qui sera refermée de manière tout aussi surprenante et inexplicable qu'elle avait été ouverte. Qui est derrière tout cela ? Il ne faut pas avoir un regard complotiste sur la façon dont on est gouvernés, mais il ne faut pas non plus avoir un regard angélique.

« La justice n'est plus utilisée comme une institution aux vertus réparatrices mais comme une administration en charge de persécuter », accusez-vous. Vous allez jusqu'à faire le parallèle avec Le Procès de Kafka et avec 1984 d'Orwell... N'avez-vous pas peur d'en faire trop ?

Si ce dossier est extraordinaire, c'est parce qu'il incarne les deux plus grandes œuvres judiciaires du XXe siècle : celles de Kafka et d'Orwell, la dénonciation d'une absurdité administrative qui annihile l'esprit de justice et la dénonciation d'un régime qui supprime les libertés.

Vous ne vous arrêtez pas là. Sous votre plume, Assange s'inscrit dans la lignée d'un Socrate, d'un Mandela, d'un Galilée...

L'humanité a toujours eu des boucs émissaires.

Vous invoquez même Dreyfus...

J'espère qu'un Zola va s'emparer de ce livre. Dans les périodes de crise, la tentation assez naturelle des démocraties, c'est de priver les citoyens de liberté au nom d'un impératif de sécurité.

Sur la forme, vous avez bâti votre texte sur le modèle d'une plaidoirie classique, en reprenant les canons du genre codifié par Cicéron : exorde, thèse, narration, argumentation, réfutation, récapitulation et péroraison.

Julian Assange est une cause littéraire.

Pourquoi avoir titré La Plaidoirie impossible ?

Vous ne pouvez pas avoir un procès équitable quand une même personne - les États-Unis - est à la fois la victime, le procureur et le juge. Des litiges qui mettent ainsi en cause les intérêts des nations devraient être jugés par des organismes internationaux.

Où en est-on judiciairement ?

Les États-Unis ont formé une demande d'extradition, on a fait un recours. Le premier juge anglais nous a donné raison, les États-Unis ont fait appel, les juges anglais ont validé l'extradition, nous avons nous-mêmes fait appel et cet appel a été saucissonné en plusieurs audiences parce qu'en Angleterre, avant d'avoir un appel étudié sur le fond, il faut une décision autorisant l'appel. Ladite décision a été rendue le 20 mai : la Haute Cour de Londres a décidé d'accorder une audience en appel à Julian. Sans quoi il aurait été remis aux États-Unis, où il risque cent soixante-quinze années de prison ! L'audience aura lieu à la rentrée.

À l'instant, comme partout dans le livre, vous l'appelez par son prénom : on sent votre affection pour ce client hors norme...

C'est un homme très attachant. Je vais le voir au moins une fois tous les deux mois. Je ne pourrais pas défendre quelqu'un qui n'est pas en connexion avec mes valeurs et mon regard sur l'humanité.

Vous racontez la scène de son mariage en prison le 23 mars 2022 ; y étiez-vous ?

Non. Ce que j'ai voulu montrer, c'est que l'arbitraire n'est jamais loin : parce qu'on ne pouvait pas lui interdire de se marier, on lui a interdit d'embrasser la mariée...

Julian Assange - La plaidoirie impossibleAntoine Vey, Plon, 144 pages, 16 euros.

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