Cristiana Reali : « Transmettre est essentiel »

Après toute une saison consacrée à Tennessee Williams, la comédienne retrouve son évocation de Simone Veil, ce soir, à Ramatuelle. Créé et animé par Jacqueline Franjou, le festival fête ses 40 ans.
Cristiana Reali, comédienne
Cristiana Reali, comédienne (Crédits : © LTD / Jack Tribeca / Bestimage Exclusive)

L'été lui va bien. Cristiana Reali est une fille du soleil. Le temps n'a guère de prise sur elle. Elle est toujours la ravissante brune au teint clair, aux traits fins, aux grands yeux verts, à la voix harmonieuse, que l'on a connue au cours Florent toute jeune, toute timide, toute réservée. Mais déjà très aiguë dans le jeu, sensible, piquante et spirituelle. Les années ont passé, on l'a suivie. Elle a mûri. Elle était faite pour Marivaux ou Tchekhov. Elle les jouerait divinement aujourd'hui encore. Mais il y a en elle, et on ne l'aurait peut-être pas imaginé, éblouie que l'on était par sa grâce, une tragédienne. Une forte, profonde, déchirante tragédienne. Une grande comédienne, ennemie des effets appuyés, des démonstrations surlignées. C'est pourquoi elle est si étonnante dans Simone Veil - Les combats d'une effrontée, qu'elle reprend ce soir au Festival de Ramatuelle. Un spectacle qui marque le début d'une cascade de grands moments de théâtre, dans le cadre idéal de l'amphithéâtre de plein air. Nous l'avons rencontrée à Avignon, où elle a participé à la lecture d'une nouvelle pièce de Pierre Guillois, qui devrait être montée au Rond-Point pour la saison 2025-2026.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Qu'est-ce qui vous a décidée à adapter le livre de Simone Veil Une vie ?

CRISTINA REALI - Je jouais au Théâtre de Poche-Montparnasse lorsque j'ai lu ce livre. Un livre de souvenirs, un trajet extraordinaire, mais raconté avec une retenue, une pudeur, une force très frappantes. Et surtout j'ai ressenti qu'elle écrivait comme elle parlait et qu'on l'entendait, telle que nous la connaissions tous. J'ai alors demandé les droits. J'interprétais Amanda dans La Ménagerie de verre, dans la mise en scène de Charlotte Rondelez. Ses deux fils sont venus au Poche. On était dans la dernière semaine des représentations. Pierre-François Veil m'a fait savoir qu'ils étaient d'accord. J'ai aussitôt prévenu Jean-Marc Dumontet et l'un de ses proches collaborateurs, le très brillant Antoine Mory, quadragénaire passé par l'ENA et la Cour des comptes, s'est mis au travail avec moi. Je souhaitais, à travers cette adaptation, que l'on parle transmission. Que l'on mette en lumière ce que nous a légué Simone Veil.

Comment est venue l'idée de la jeune femme, thésarde, journaliste, qui accompagne la représentation ?

Justement à cause de cette question de la transmission. Transmettre est essentiel. Nous imaginons qu'il s'agit d'une émission, Le Sens de l'Histoire de Thomas Sotto. Il s'appuie sur le témoignage d'une jeune thésarde. Pour la mise en scène, nous avons fait appel à Pauline Susini. Une artiste aussi savante que sensible et qui a su donner vie, sur le plateau, en me dirigeant, à cette situation. On était dans la période couvre-feu de l'épidémie de Covid. Nous avons écouté des entretiens de Simone Veil, à la radio, à la télévision, nous nous sommes plongés dans les archives. Dans l'adaptation, nous avons repris des mots, des phrases que Simone Veil avait employés au moment de la promotion de son livre. Il est arrivé à Pauline de jouer la jeune femme, et c'est d'ailleurs elle qui sera à Ramatuelle, mais c'est Noémie Develay-Ressiguier qui l'a principalement interprétée.

« Cette femme est si puissante que l'on est envahie »

Le public comme les critiques ont été impressionnés par la manière dont on a le sentiment de retrouver Simone Veil. Pas seulement par un chignon, des boucles d'oreilles, des tailleurs Chanel. Mais on croit la voir...

Il est vrai que même sa famille a été touchée. Je n'ai pas cherché à la copier, à l'imiter. Mais je pense que cette femme est si puissante que l'on est envahie. C'est un grand caractère. Pas toujours facile. Très autoritaire avec ses enfants. Un peu guindée, apparemment, très classique dans ses goûts vestimentaires, presque rigide parfois. Et pourtant tout le contraire à l'intérieur.

Faut-il une concentration particulière pour retrouver ce grand « personnage » ?

On ne peut s'autoriser aucune désinvolture. Je vais revoir le texte, bien sûr. Mais le spectacle compte 120 représentations à Paris et déjà 150 en tournée. J'ai intériorisé Simone Veil.

Cristiana

Cristiana Reali dans « Simone Veil - Les combats d'une effrontée ». (Crédits © Jean-Paul Loyer)

Qu'avez-vous fait à Avignon ?

J'ai participé à la lecture d'une pièce de Pierre Guillois, une comédie féroce comme il sait si bien les écrire. Pas de titre définitif. On dit qu'il s'agit d'« un drame rural pour brebis bavardes »... et j'ai d'ailleurs lu la partition d'une brebis, mais aussi de la mère de famille. Je suis ravie de travailler avec Pierre Guillois. Le Gros, la Vache et le Mainate tout comme Bigre m'avaient beaucoup plu, et je souhaitais jouer un de ses textes. La création est prévue au Rond-Point pour la saison 2025-2026. Quant à Avignon, j'en ai profité pour voir beaucoup de spectacles dans le Off.

Et d'ici là ?

En Bourgogne, je tourne, sous la direction de Claude Zidi Jr, un film intitulé Le Jour G. une comédie parodique dans laquelle je suis la mère de Kev Adams, la secrétaire du général de Gaulle ! La distribution ne compte que de grandes personnalités comiques ! Un autre tournage, pour la télévision, en septembre et deux tournées : l'une en février pour Simone Veil, l'autre de février à avril avec Un tramway nommé désir. Et le 11 décembre sort un film que j'ai tourné avec Christian Clavier, Jamais sans mon psy, d'Arnaud Lemort.

Vos filles suivent-elles votre voie ?

Elisa, qui a 26 ans, est journaliste. Comme l'était mon père, comme l'est une de mes sœurs. Elle a beaucoup étudié et travaille, elle aime le monde, c'est une passionnée. Comme sa sœur, Toscane, qui a 21 ans et a fait ses études à Londres, à UCL, en arts et sciences, avec une année au Brésil, à Rio. Elle est allée vers le pays où je suis née. Mais la famille est italienne d'origine. Toscane aime le design, les arts, mais aussi les neurosciences. Elle va devoir choisir, puisqu'elle entre en master. J'ai de la chance, mes filles sont brillantes, proche de leur père Francis Huster. Nous habitons non loin l'un de l'autre, et nous nous voyons souvent.

Vous êtes-vous impliquée dans les mouvements issus de MeToo ?

J'ai trois sœurs et deux filles : je suis concernée, engagée. Il était temps que les paroles se libèrent, que des vérités soient dites. Je conçois que l'on est dans un moment très délicat qui implique des exagérations, voire des mensonges. Mais ils sont vite débusqués.

Vous avez joué de très grands rôles, dans des répertoires très différents. Avez-vous des rêves ?

Philippe Tesson, que j'aimais beaucoup et qui avait suivi toute ma carrière, m'avait dit qu'il fallait que je joue Blanche dans Un tramway ; c'est fait. Un Molière, mais lequel ? Je me verrais bien en M. Jourdain ! Enfin, Phèdre. Évidemment, j'en rêve !

À Ramatuelle, vous avez été l'Infante, dans Le Cid, mis en scène par Francis Huster. Avez-vous des projets ensemble ?

Ramatuelle, c'est un rêve. Un site merveilleux, un public chaleureux. C'est un privilège de jouer dans ce site splendide, sous les étoiles, près de la mer, et pourtant intime. Quant à retrouver Francis Huster sur un plateau, bien sûr ! Mais il faut trouver la pièce !

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Commentaires 2
à écrit le 08/08/2024 à 8:28
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En effet c'est ce qui a permis à l'humanité d'avancer malgré le puissant obscurantisme et poison qu'est l'oligarchisme. Mais débattons maintenant sur ce qu'il y a à transmettre, les valeurs productivistes et consuméristes ayant dévasté notre planète,...

à écrit le 04/08/2024 à 9:08
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"Transmettre est essentiel" : hérésie ! Comment peut-on oser faire l'éloge de la rente culturelle ? C'est anti-progressiste cette vision patriarcale de l'héritage artistique... ;)

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