S’allier à la nature face au changement climatique : pourquoi ne le fait-on pas plus ?

La nature nous offre une multitude de solutions pour limiter inondations, sécheresses, incendies et îlots de chaleur urbains qui se multiplient et s’intensifient sous l’effet du changement climatique. Si on n’exploite pas plus ces « solutions d’adaptation fondées sur la nature », c’est qu’elles restent encore méconnues. En outre, elles semblent plus complexes à mettre en œuvre que les solutions « grises » reposant sur la technologie, qui leur sont souvent préférées.
Dominique Pialot
Les murs végétalisés permettent une meilleure isolation, plus de fraîcheur et de biodiversité.
Les murs végétalisés permettent une meilleure isolation, plus de fraîcheur et de biodiversité. (Crédits : DR)

Quels rapports entre des cours d'écoles désimperméabilisées, une mangrove restaurée et un cours d'eau dont on reconstitue la sinuosité naturelle en le reméandrant ? Ce sont toutes des solutions d'adaptation au changement climatique fondées sur la nature.

Selon la définition de l'Union internationale de conservation de la nature (UICN), qui ne date que de 2016, il s'agit d'« actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer les écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement les enjeux de société de manière efficace et adaptative tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ».

Une définition très récente pour des pratiques - pour l'essentiel - ancestrales et qui reposent largement sur du bon sens, mais qui, pour la plupart, étaient tombées en désuétude.

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Si elles resurgissent aujourd'hui, notamment pour s'adapter au changement climatique, c'est qu'elles présentent de nombreux atouts. Redonnant de l'espace à la nature, elles sont bénéfiques à la biodiversité. « Life ARTISAN est notre seul projet qui allie biodiversité et adaptation au changement climatique, c'est une première pour l'OFB », souligne Gaël Thevenot, directrice adjointe Acteurs et citoyens de l'établissement public. C'est en effet l'Office national de la biodiversité qui pilote ce projet baptisé ARTISAN (Accroître la Résilience des Territoires au changement climatique par l'Incitation aux Solutions d'adaptation fondées sur la Nature). Celui-ci est doté d'un budget de 16,7 millions d'euros sur huit ans (2020-2027) dont 60% financés par l'Union européenne.

Souplesse et co-bénéfices

Les solutions d'adaptation au changement climatique fondées sur la nature (SafN) sont ce qu'on appelle des « solutions sans regret ». En clair, elles ne présentent pas d'inconvénients et conservent des atouts lorsque le climat évolue, même si leurs performances peuvent s'en trouver limitées. Ou, en cas d'effets négatifs, ces derniers seront compensés par l'ensemble des co-bénéfices apportés (absence ou réduction du traitement de l'eau, réduction des coûts liés à l'irrigation, réduction des coûts de santé, séquestration du carbone, etc). Adaptatives et réversibles, elles peuvent se combiner à d'autres solutions d'adaptation, notamment les solutions dites « grises », qui reposent sur de la technique, comme la construction de digues pour se prémunir de l'élévation du niveau de la mer et des risques de submersions. Elles ont d'ailleurs été reconnues par la Banque mondiale comme des solutions offrant une plus grande résilience sur le long terme.

Leur mise en œuvre peut se faire à différentes échelles, d'une cour d'école à un littoral en passant par un quartier ou une ville entière.

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Cerise sur le gâteau, elles génèrent des co-bénéfices en termes de santé, de protection contre les catastrophes naturelles, de sécurité alimentaire, d'accès à l'eau, de qualité de l'eau et de l'air, d'amélioration des rendements agricoles, de création d'activités récréatives, de création d'emplois verts, etc. Mais surtout, elles permettent de s'adapter au changement climatique. La liste des démarches de préservation ou restauration de zones naturelles qui contribuent à cette adaptation.

Des solutions pour tous les territoires

À chaque territoire ses solutions. En restaurant le fonctionnement des cours d'eau et de zones humides (prairies inondables, marais, anciens méandres, etc.), on leur permet de jouer leur rôle de zone d'expansion naturelle des crues, ce qui limite le risque d'inondation, qui tend à s'élever avec le changement climatique. Favoriser l'infiltration de l'eau par des haies en milieu rural ou en désimperméabilisant des espaces en villes (cours d'école, pieds d'arbres, etc.) réduit le ruissellement et l'effet des sécheresses longues en favorisant le remplissage des nappes phréatiques.

Planter des arbres, végétaliser murs et toitures en ville, crée des îlots de fraîcheur, accroît l'humidité de l'air et constitue une isolation pour les bâtiments ; toutes ces solutions favorisent la biodiversité urbaine.

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Sur le littoral, préserver, restaurer et gérer durablement lagunes et cordons dunaires, herbiers marins, mangroves et forêts littorales limite l'impact des tempêtes tout en maintenant la biodiversité marine et des ressources pour les pêcheurs. Restaurer les forêts pour se protéger des éboulements en montagne ; choisir des espèces d'arbres résilientes au changement climatique et favoriser leur diversité pour limiter les incendies de forêts ; pratiquer le pâturage pour limiter l'extension de la forêt sont d'autres exemples de SafN.

Efficaces en matière d'adaptation, les SafN contribuent aussi à atténuer le changement climatique en limitant des émissions de gaz à effet de serre grâce aux services écosystémiques, notamment le stockage de CO2.

D'ailleurs, en 2021, une étude du Forum économique mondial a conclu qu'un investissement de 1% du PIB mondial dans des solutions fondées sur la nature contribuerait fortement à la lutte contre les changements climatiques et la crise de la biodiversité.

Déficit de compétences et de retours d'expérience

Pourtant, elles sont encore loin d'être généralisées et font face à de nombreux freins. Les identifier et imaginer les leviers susceptibles de les surmonter est d'ailleurs l'un des objectifs du projet Life ARTISAN, qui comprend aussi un programme de 10 sites démonstrateurs et un réseau d'animateurs en régions.

« La généralisation des SAFN se heurte à une certaine méconnaissance, observe Gaël Thevenot. Elles impliquent de changer de méthodes, ce qui provoque souvent une certaine réticence. L'agro-écologie, par exemple, une solution efficace aussi bien sur le plan de l'atténuation que de l'adaptation, nécessite plus de temps et de travail humain. »

Les réticences peuvent survenir parce que ces mesures semblent moins efficaces que les solutions grises, ou compliquées à articuler avec l'existant. Autres obstacles courants : l'accès au foncier (végétalisation en ville, restauration de zones humides), le manque de bras ou de compétences pour les mettre en œuvre, le manque de retours d'expériences quantifiés. D'autant plus que les nombreux co-bénéfices apparaissent plutôt sur le long terme.

Intégrer les « externalités positives et négatives »

Sur le plan économique, mieux programmer, mutualiser et anticiper (notamment sur le volet foncier) pourrait faire baisser les coûts de ces solutions. Pour Gaël Thevenot, « c'est surtout en termes de compétences qu'on pourra observer des économies d'échelle résultant d'une large adaptation des SafN. »

Quoi qu'il en soit, les modes de calculs pour comparer ces solutions fondées sur la nature à des solutions grises devront évoluer pour intégrer les externalités positives des premières (les fameux co-bénéfices), comme les externalités négatives (consommation énergétique, émissions de gaz à effet de serre, pollution) des secondes. Cela permettra peut-être de rééquilibrer une situation aujourd'hui très favorable à des activités qui détruisent le vivant.

Un rapport sur la Situation des financements pour la nature paru en 2023 souligne la disparité nette entre les investissements dans des solutions durables et les financements destructeurs. Ainsi, en 2022, les investissements dans les solutions fondées sur la nature s'élevaient à environ 200 milliards de dollars, tandis que les flux financiers vers les activités qui nuisent directement à la nature étaient plus de 30 fois plus importants.

Outre une meilleure connaissance de ces solutions, l'établissement de critères de définition et d'indicateurs de performance partagés, une simplification de certaines normes et réglementations, l'élaboration de cahiers des charges types et la possibilité d'intégrer la commande publique, pourraient s'avérer d'une grande utilité pour les porteurs de projets.

Cependant, tout comme le plan Sobriété instauré par le gouvernement lors du déclenchement du conflit en Ukraine avait favorisé de nombreux projets de « trame noire », l'extinction de l'éclairage nocturne, « la multiplication des épisodes récents de sécheresse et d'inondations crée un contexte favorable à l'adoption de ces méthodes », reconnaît Gaël Thevenot.

Dominique Pialot

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Commentaires 4
à écrit le 06/08/2024 à 8:08
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Parce qu'elle ne gagne aucune margé bénéficiaire qu'elle peut entasser dans un paradis fiscal, parce qu'elle ne finance pas l'activité criminelle et certainement aussi parce qu’elle soigne les humains que les financiers massacrent. Bref elle est trop...

à écrit le 06/08/2024 à 7:43
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Sur le papier, ces initiatives nationales son bien. Mais si c’est pour faire comme « ma prime rénove », c’est juste du détournement de fonds publics au profits de quelques banques et d’une communauté particulière. Les artisans peuvent réaliser les de...

à écrit le 05/08/2024 à 20:21
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Les murs végétalisés sont un non sens architectural

à écrit le 05/08/2024 à 17:59
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Seul pb est ce que la nature va résister... 25% de moins ’d’absorption de co2 par les arbres...suite aux deperissements aux maladies,au manque d’eau,aux incendies etc....

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