Adaptation au changement climatique : la France au milieu du gué

Alors que le sujet bénéficiait d’un portage politique inédit par le ministre de la Transition écologique, la démission du gouvernement, survenue avant la publication du troisième plan national d’adaptation au changement climatique, a porté un coup d’arrêt à cette dynamique.
Dominique Pialot
De nombreux Français ont été confrontés à des inondations ces dernières années.
De nombreux Français ont été confrontés à des inondations ces dernières années. (Crédits : REUTERS/Christian Hartmann)

« Il faut qu'on arrête de penser que les problèmes du climat, c'est le problème de la COP et du bout du monde. C'est notre problème à tous. Tout de suite et pour les années qui viennent ». C'est par ces mots que Christophe Béchu, alors ministre de la Transition écologique, avait lancé en janvier dernier au Museum National d'histoire naturelle à Paris une matinée d'échanges sur la question de l'adaptation au changement climatique face à un parterre d'experts, élus, responsables d'entreprises et représentants de la société civile.

Quelques mois auparavant, le même Christophe Béchu avait mis en consultation publique une trajectoire de référence d'adaptation au changement climatique (TRACC). Entérinée par décision ministérielle, c'est une hausse des températures moyennes de 2 °C en 2030, 2,7 °C en 2050 et 4 °C en 2100 par rapport à l'ère pré-industrielle, fondée sur les engagements de réduction de gaz à effet de serre des États, qui a été retenue pour la France métropolitaine et utilisée comme base pour le troisième plan d'adaptation au changement climatique (PNACC).

Après être longtemps restée le parent pauvre des politiques climatiques dominées par l'atténuation (les actions menées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et, donc, le réchauffement), l'adaptation a peu à peu gagné ses lettres de noblesse à mesure que les effets du dérèglement climatique déjà engagé devenaient plus tangibles. Particuliers, collectivités, entreprises, ces dernières années, tous ont été confrontés de près ou de loin à de fortes chaleurs, des incendies, des pluies diluviennes, des inondations, etc.

Signe des temps, le MEDEF lui-même a publié en juin 2024 un guide pour adapter son entreprise au changement climatique en cinq étapes.

L'adaptation sous l'œil de la Cour des Comptes

Chose inédite, la Cour des Comptes y a dédié son dernier rapport publié en mars 2024, se félicitant de la prise de conscience à ce sujet, mais demandant également à l'État de jouer plus clairement son rôle de stratège et de mieux chiffrer les efforts budgétaires nécessaires. Les Sages de la rue Cambon y appellent notamment les autorités à « corriger » des insuffisances en matière de planification, en particulier dans l'immobilier ou le tourisme en montagne où subsistent des incohérences. Ils regrettent « l'absence de chiffrages exhaustifs et cohérents pour l'ensemble des acteurs publics » et soulignent la nécessité d'intégrer le climat aux prochains projets de loi de finances et à la prochaine loi de programmation des finances publiques.

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En avril, le Haut Conseil pour le Climat (HCC), avait à son tour rappelé les vulnérabilités mises en évidence par les événements climatiques survenus ces derniers mois, concernant l'approvisionnement en eau, la production agricole, la santé (surmortalité, propagation de maladies à vecteur pour les humains et les animaux), l'habitabilité de certains territoires, les forêts et les infrastructures. Ses auteurs avaient notamment souligné la situation de certains territoires français, en particulier ceux qui ont été fréquemment inondés, confrontés concomitamment à un accroissement de la sinistralité liée au changement climatique et au désengagement de certains assureurs.

Des coûts difficiles à chiffrer mais appelés à s'accroître

Mais le chiffrage des mesures correctives est tout sauf aisé. L'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), qui s'est penché dans un premier temps sur les secteurs du bâtiment, des transports et de l'agriculture, a estimé à au moins 2,3 milliards d'euros par an les quelques mesures d'adaptation « incontournables » et « mûres » à prendre dès maintenant, sachant qu'il y aura ensuite d'autres besoins au coût « potentiellement bien plus important ».

Mais c'est une équation à plusieurs inconnues. À quel climat choisit-on de se préparer ? A quel horizon ? Quelle est la criticité des infrastructures concernées selon qu'il s'agisse d'une route secondaire ou d'une centrale nucléaire ? « Nous connaissons le climat que nous aurons en 2030 ou 2050, reconnaît Guillaume Dolques, chercheur spécialiste de l'adaptation pour I4CE. Mais pour 2100, l'éventail est plus large. » Ne serait-ce que parce que l'évolution du climat dépendra des efforts d'atténuation que nous aurons consentis d'ici là. En revanche, comme le rappelle le HCC, « les besoins d'adaptation s'accroissent avec chaque incrément de réchauffement supplémentaire et seront d'autant plus importants et coûteux qu'ils seront pris en considération tardivement. »

Et le coût de l'inaction est mieux connu : une perte de richesse potentielle de 10 points de PIB en 2100 ; un milliard d'euros par an pour notre agriculture en 2050 ; jusqu'à 500.000 logements menacés par le recul du trait de côte d'ici 2100...Autant de chiffres repris par le gouvernement dans son projet de plan d'adaptation national au changement climatique (PNACC), le troisième du genre. Les précédents datant respectivement de 2011 et 2018 et les effets du changement climatique s'étant dramatiquement emballés depuis, ce document était attendu avec impatience. Ses objectifs étaient clairement affichés : protéger les Français ; assurer la résilience des territoires, des infrastructures et des services essentiels ; assurer la résilience économique et la souveraineté alimentaire, économique et énergétique ; protéger notre patrimoine naturel et culturel.

Contrairement aux précédents, il ne s'agissait pas d'un simple document technique, mais d'un projet bénéficiant d'un portage politique clair. C'est précisément cette teneur politique qui aurait justifié plusieurs reports de sa publication, retardée par des arbitrages devant être pris lors de réunions interministérielles. Mais, à l'inverse des décrets d'application de la loi Industrie verte publiés in extremis au Journal officiel début juillet, le PNACC n'a pas survécu à la dissolution et à la démission du gouvernement. Dans une déclaration à la presse, Christophe Béchu a estimé que « les conditions politiques ne sont plus réunies pour que ce gouvernement endosse la responsabilité d'une stratégie qui engage l'avenir du pays sur plusieurs décennies »?

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Document technique ou portée normative

Dans la version fuitée par Contexte quelques semaines auparavant, les seules mesures contraignantes concernaient la réalisation d'analyses de vulnérabilité et de plans d'adaptation pour les grandes entreprises opérant des infrastructures d'énergie et de transport ou encore les opérateurs d'importance vitale. Les collectivités se devaient d'adapter leurs documents d'urbanisme d'ici à 2030 pour y intégrer la trajectoire de référence de +4°C en 2100. Au programme également : des études concernant l'adaptation des logements existants et neufs au confort d'été ; une révision massive des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) ; une cartographie nationale d'exposition aux risques naturels intégrant les effets du changement climatique d'ici à 2027, réclamée notamment par les assureurs. Ces derniers devaient par ailleurs participer à une concertation sur la prévention. Une autre devait réunir les organisations syndicales et patronales autour des conditions de travail en période de forte chaleur. Les COP régionales lancées dans le cadre de la planification écologique, jusqu'ici axées sur l'atténuation, devaient adopter une orientation « adaptation ».

La plupart des observateurs se sont émus que le texte ne mentionne pas de moyens financiers ni humains face aux différentes mesures évoquées. Même les prêts verts garantis par l'État destinés à accompagner les projets d'adaptation des entreprises, promis par Bruno Le Maire, n'y figurent pas. Annoncée en avril, « la mission adaptation proposant aux collectivités un guichet unique n'est encore qu'un partenariat sans moyens dédiés, regrette également Guillaume Dolques. Et rien de semblable n'est prévu pour les entreprises ».

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Comme de nombreux observateurs, le chercheur craint surtout qu'un prochain gouvernement ne retransforme le PNACC en un simple document technique. Alors qu'il faudrait lui conférer une portée normative. « Une inscription de la trajectoire de référence dans la loi ferait senscar elle permettrait de ré-évaluer les normes existantes », affirme Guillaume Dolques. Par exemple, la réglementation environnementale des bâtiments, qui prévoit un confort d'été aligné sur les températures de la canicule de 2003, mais pas sur celles attendues dans les prochaines décennies. Ou encore, les plans de prévention des risques d'inondation, eux aussi basés sur le passé. Dans l'hypothèse où le PNACC refait surface dans une version proche de la précédente, cette initiative reviendrait à la nouvelle Assemblée nationale.

Les confidences de Béchu sur le calendrier

Lors d'une rencontre avec des journalistes ce mercredi, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a affirmé que « le document [était] prêt depuis le printemps », confirmant l'intérêt du Premier ministre Gabriel Attal qui voulait « incarner le sujet ».

« Sauf que la crise agricole est venue percuter sa prise de fonctions, l'a accaparé et l'a éloigné. La recherche d'un créneau de communication a fini par ne pas rencontrer de date », a confié Christophe Béchu.

Le plan a failli être présenté la veille de la période de réserve des élections européennes, mais « nous n'aurions pas pu en assurer le service après-vente ». Puis l'idée a été de le faire après le scrutin, mais la dissolution, là encore, a pris tout le monde de court. C. A.

Dominique Pialot

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Commentaires 5
à écrit le 24/07/2024 à 21:25
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On peut aussi obliger les maires à arrêter de transformer des zones inondables en zones d'habitation, c'est à dire les rendre pénalement responsables et obliger les vendeurs à préciser les risques sur les biens vendus, genre le professionnel ou notai...

à écrit le 24/07/2024 à 20:12
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Pour une fois que l'on parle d'adaptation au changement climatique, au lieu de transition écologique, cela tombe à l'eau par manque de responsable !

à écrit le 24/07/2024 à 11:34
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Commençons déjà par arrêter de réfléchir l'économie uniquement en terme de PIB, après on verra puisque des solutions existent mais pas selon le logiciel actuel.

à écrit le 24/07/2024 à 11:19
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stop ceci n'a rien a voir avec l'etat actuel du pays en plus nous avons la nation la plus efficiente du monde alors arretez de nous culpabiliser vous allez produire de la richesse quand ce n'est votre baratin qui apporte une solution

à écrit le 24/07/2024 à 10:16
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Je suis désolé mais débarrassés de tout ces discours hypocrites et creux nous y verrons bien plus clair, nous voyons déjà bien plus clair avec ces bagnoles électriques qui ne se vendent pas avec ces entreprises qui ne mettent pas un euro dans la prés...

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