Législatives : les mesures « énergie » du RN et du Nouveau Front populaire passées au crible

Les deux mouvements politiques qui arrivent en tête des sondages pour les élections législatives à venir, le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire, font de l’énergie un sujet majeur de leur campagne pour les législatives. Alors qu'ils promettent tous les deux une baisse rapide des factures pour les Français s’ils arrivent au pouvoir (tout comme le gouvernement, d’ailleurs) les moyens qu'ils mettent en avant pour y parvenir sont bien différents. Tout comme leur vision du futur mix énergétique de la France.
(Crédits : Reuters)

Emmanuel Macron a pris de court le monde politique en annonçant, le 9 juin dernier, la dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue d'élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains. Alors que les sondages placent en tête le Rassemblement national (RN), suivi du Nouveau Front populaire (NFP), les deux camps ont fait de l'énergie un enjeu phare de cette campagne éclair, et proposent plusieurs mesures pour alléger la facture des consommateurs à l'heure où le pouvoir d'achat figure parmi les grandes préoccupations des Français.

Mais celles-ci s'avèrent bien différentes, à l'instar de leurs divergences sur le mix énergétique tricolore. Si les mesures de la gauche rencontrent certains écueils, celles du parti d'extrême droite semblent bien peu crédibles... voire carrément mensongères. La Tribune fait le point.

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Comment la France produira son électricité ?

  • La gauche prête à débattre de la place du nucléaire

D'abord, alors que le gouvernement a enterré l'idée d'une loi de programmation sur l'énergie, le Nouveau Front populaire revient à la charge : « Remettre ce sujet sur la table est l'une de nos propositions phares », affirme à La Tribune l'eurodéputé S&D Thomas Pellerin-Carlin, qui dénonce une « logique de brutalisation de la démocratie » de la part de l'exécutif. Ainsi, pour décider combien de nucléaire, de panneaux solaires ou encore d'éoliennes mettre sur pied, la gauche compte laisser voter les parlementaires...mais sans parvenir à se mettre elle-même d'accord ! Preuve en est : la question du nucléaire reste absente du programme, le PCF s'affichant en faveur de cette source d'énergie, tandis que le PS la considère comme une solution de « transition » et que LFI et EELV y sont toujours opposés.

Même au sein des partis, des dissensions subsistent :

« Je récuse le terme transition ! Parmi les socialistes, nous sommes plusieurs à penser qu'il faut relancer le nucléaire et maximiser la production du parc historique », affirme un sénateur du groupe Socialiste ayant requis l'anonymat.

Mais pour Thomas Pellerin-Carlin, ce débat est « surjoué par la sphère médiatique ». « Sur les énergies renouvelables, la sobriété et l'efficacité, il y a un consensus », souligne celui qui figurait à la 9ème place de la liste de Raphaël Glucksmann (PS). « La relance du nucléaire, ce n'est pas un problème imminent. Il faut d'abord plus de renouvelables, puis on tranchera le reste ensuite », ajoute la députée sortante Alma Dufour (LFI), qui concède néanmoins qu'il faut prolonger les réacteurs actuels « tant que c'est faisable ». Sur les renouvelables, le NFP propose ainsi de « renforcer la structuration de filières françaises et européennes de production » et de « faire de la France le leader européen des énergies marines avec l'éolien en mer et le développement des énergies hydroliennes ».

  • Au RN, un moratoire sur l'éolien... et le solaire !

A l'inverse, si le programme officiel n'est toujours pas publié, le RN devrait sans aucun doute tenir sa position sur l'éolien et le solaire, déclarés non grata dans le programme de Marine Le Pen en 2022. Le parti d'extrême droite plaide aujourd'hui clairement pour un moratoire sur l'éolien et conditionne le développement du photovoltaïque au contenu industriel français et européen de celui-ci ainsi qu'à la maturité des technologies de stockage d'électricité afin de compenser le manque de courant en l'absence de soleil. Deux conditions, pour l'heure, hors d'atteinte.

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Le RN mise donc uniquement sur le nucléaire et l'hydraulique pour « refaire de la France un paradis énergétique ». Or, se passer des énergies renouvelables intermittentes et tout miser sur l'atome civil ne permettra pas de sécuriser l'approvisionnement électrique de la France, qui doit massivement s'électrifier pour sortir des énergies fossiles. Car cela implique une nette augmentation de la production électrique d'ici à 2035, date à laquelle les premiers réacteurs de type EPR 2 n'existeront de toute façon pas.

« S'il n'y a pas plus d'énergies renouvelables et que le nouveau nucléaire n'arrive pas à temps, il faudra importer plus aux heures de pointe [au moment où l'électricité est la plus chère, ndlr] ou lancer de nouvelles centrales à gaz, qui peuvent être construites en deux ans », ce qui serait néfaste pour le climat, conclut Jacques Percebois.

Des promesses de baisse immédiate des factures

  • Le blocage des prix du Front de gauche, une mesure de « court terme »

Mais au-delà du climat, c'est un autre sujet majeur qui alimente les propositions sur l'énergie, aussi bien à gauche qu'à l'extrême droite : celui du pouvoir d'achat. Comme à l'époque de la Nupes, le Nouveau Front populaire propose ainsi un « blocage du prix » des biens essentiels, parmi lesquels l'énergie. Cependant, il ne s'agirait que d'une mesure de « court terme » afin de répondre à « une urgence sociale criante », précise Thomas Pellerin-Carlin. Elle figure d'ailleurs dans la première partie du programme, sur les « 15 premiers jours ». « On a tout de suite besoin d'un choc sur le pouvoir d'achat », justifie Alma Dufour.

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  • Le NFP promet l'abolition de « la taxe Macron »

Sur l'électricité, le NFP promet également d' « abolir » en urgence « la taxe Macron de 10% sur les factures d'énergie ». Il s'agit là d'une accise que le gouvernement avait relevée à 21 euros par MWh en février 2024 (contre 1 euro par MWh pendant la crise). Ce qui avait provoqué la fameuse hausse de 10% du tarif réglementé - non liée, donc, à l'évolution du marché - soit 100 euros de plus en moyenne sur l'année par rapport à 2023, selon les chiffres de Selectra.

  • ... et l'annulation de la hausse des prix du gaz

Pour le gaz, le NFP compte « annuler la hausse programmée du prix au 1er juillet ». Il ne suivrait donc pas les recommandations de la Commission de régulation de l'énergie, qui estime qu'il faut rehausser de 11,7% en moyenne les factures pour pouvoir entretenir le réseau de gaz. Car ces charges, qui sont fixes, doivent être financées par un nombre moins élevé de consommateurs, ayant bifurqué vers l'électricité par exemple.

Or, selon la coalition présidentielle, le coût cumulé de ces deux mesures atteindrait 13 milliards d'euros. Il n'empêche : pour le gaz, une partie pourrait être prise en charge par le gestionnaire du réseau de distribution GRDF, qui « est à capital privé et ne manque pas de trésorerie », estime-t-on a gauche.

  • Le RN s'attaque à la TVA, à baisser « dès cet été »

Pour faire baisser les factures, le RN, lui, compte d'abord s'attaquer à la principale taxe sur la consommation, la TVA.

« Dès les premières semaines de mon action comme Premier ministre, je procéderai à la baisse de la TVA, sur les carburants, l'électricité, le gaz et le fioul », a assuré vendredi dernier, sur BFMTV, Jordan Bardella.

Cette mesure, que le patron du RN entend mettre en œuvre via un projet de loi de finances rectificatif lors d'une session parlementaire extraordinaire et financer par des niches fiscales, peut effectivement avoir un impact sur le porte-monnaie des particuliers. Néanmoins, à la pompe, la fiscalité repose davantage sur la TICPE (qui peut représenter jusqu'à 35, voire 40% du prix d'un litre de carburant) que sur la TVA (environ 17%). Côté électricité, cela se traduirait par une baisse d'environ 1 centime par kilowattheure, selon les calculs de l'économiste spécialiste de l'énergie Jacques Percebois. Soit environ 140 euros d'économies annuelles pour un foyer composé de quatre personnes.

Reste que la baisse de la TVA sur les carburants serait illégale au regard de la directive européenne de 2006, qui définit un certain nombre de secteurs où la TVA réduite est interdite. Pour l'électricité et le gaz, les parlements nationaux demeurent décisionnaires.

Par ailleurs, elle représenterait un coût faramineux pour les caisses de l'Etat : près de 17 milliards selon les calculs de Bercy. Or, les fournisseurs pourraient ne pas refléter cette baisse dans leur offre afin d'augmenter leur marge, comme ce fut le cas en 2009, lors de la baisse de la TVA dans la restauration.

Une telle baisse pourrait aussi peser sur la sécurité d'approvisionnement des carburants. « La ristourne du gouvernement Borne avait aggravé les pénuries au moment des grèves dans les raffineries », pointe Nicolas Goldberg, associé Energie chez Colombus consulting et chercheur à Terra Nova. Autre écueil : la question de la justice sociale. En effet, selon l'Insee, les rabais sur le carburant, comme sur les autres énergies, profite davantage aux plus aisés, moins incités à diminuer leurs consommations excédentaires, relève Terra Nova.

Last but not least, la mesure serait très néfaste pour le climat puisqu'elle encouragerait les ménages à consommer davantage de carburants ou, du moins, à porter moins d'intérêt aux véhicules électriques.

Après l'urgence, des changements profonds

  • A gauche, cibler les ménages dans le besoin

Pour éviter ces écueils, le Nouveau Front populaire compte, lui, aider davantage les ménages les plus précaires. Plutôt que d'alléger la facture pour tout le monde en bloquant les prix ad eternam, il privilégie ainsi sur le long terme « la gratuité des premiers kilowattheures (kWh) ». Grâce à une tarification progressive de l'énergie, le prix augmenterait par paliers de consommation. L'idée : que les ménages les plus économes (souvent les plus modestes) bénéficient de prix bas. Mais la proposition ne fait pas l'unanimité :

« Cette mesure avait été évoquée sous François Hollande avant d'être enterrée. C'est très compliqué à mettre en place, puisque de nombreux foyers modestes vivent dans des passoires énergétiques et risquent donc des prix élevés », précise Xavier Pinon, cofondateur de Selectra.

« Quels paramètres retenir ? Revenus, efficacité énergétique du logement, usages et type de chauffage, nombre de personnes, localisation... Le diable est dans les détails. En pratique, on n'a pas réussi à faire plus efficace pour accompagner les ménages en difficulté que les chèques énergie [une aide versée sous conditions de ressource, ndlr] », ajoute Nicolas Leclerc, cofondateur du cabinet de conseil en énergie et décarbonation Omnegy.

Sur le fond, aucune mention n'est faite, par ailleurs, de la sortie du marché de l'électricité chère à LFI et au PCF. La question avait d'ailleurs suscité les polémiques lors de la campagne pour les Européennes, les Insoumis n'hésitant pas à discréditer la liste menée par Raphaël Glucksmann en raison de son « accord avec le marché européen de l'électricité qui fait exploser les factures ».

Lire aussiSortir du marché européen de l'électricité : les risques pour la France

  • L'extrême droite veut « rétablir un prix français de l'électricité »

Le RN, lui aussi, a vivement critiqué ce marché européen. S'il n'évoque plus une sortie comme en 2022, il entend déconnecter le prix de l'électricité « des règles absurdes du marché européen » pour obtenir une baisse d'au moins 40% de la facture d'électricité (contre une fourchette de 30 à 40% annoncée lors des élections européennes). Dans cette optique, il prévoit  « d'engager immédiatement » des négociations avec Bruxelles afin de déroger aux règles communes et rétablir « un prix français de l'électricité ». Une formulation peu compréhensible qui évoque sans doute la volonté de refléter davantage les coûts de production du parc nucléaire tricolore.

« Il est possible de baisser les factures parce que le prix de production français est bien plus bas que le prix de production du marché européen », a récemment affirmé Jean-Philippe Tanguy, le monsieur économique du RN.

Mais ce narratif se heurte à la réalité, alors que depuis plusieurs semaines, les cours du marché chutent en France. Alors qu'ils s'élevaient à 47,50 euros/MWh pour une livraison le lendemain ce mardi, ce chiffre grimpait par exemple à 84,25/MWh euros en Allemagne. Et pour cause : en ce moment, l'Hexagone n'a pas besoin de gaz, ou très peu, pour générer son électricité. C'est donc principalement le coût de fonctionnement des réacteurs nucléaires qui fait le prix. Tandis qu'outre-Rhin, les centrales thermiques fossiles continuent de tourner abondamment, poussant les cours à la hausse. De quoi mettre à mal l'idée selon laquelle le marché européen de l'électricité entraînerait un prix identique pour tous les Etats membres, quels que soient leurs choix de production nationaux. La promesse du RN semble donc peu réaliste... voire mensongère.

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Commentaires 7
à écrit le 19/06/2024 à 12:50
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C’est beau quand même quand on y réfléchit: on se fait épingler car on se pas gérer nos comptes. Jusque là, soit! Mais la sanction a notre déficit grandissant, c’est de nous faire payer des amendes??? Donc l’UE creuse notre déficit? « Ah ben c’est su...

à écrit le 19/06/2024 à 11:30
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Macron est le président de la V ème république qui a le plus augmenté la dette . Le RN ou LFI devraient plutôt regarder ou trouver une centaine de milliards d'économie plutôt que de divaguer sur des dépenses que l'on ne peut plus financer. Augmente...

le 19/06/2024 à 13:01
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les gens au pouvoir actuel doivent payer il est possible de confisquer leur bien et ceux de leur proche il faut qu'ils soit conscient qu'ils ne peuvent rester impunis c'est trop facile de faire payer le peuple

le 19/06/2024 à 14:31
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Une partie de la dette crée par Macron a servi de payer les salaires durant le covid et de maintenir à flot les entreprises qui sans cette aide auraient fermé.

le 19/06/2024 à 17:32
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@marc. Eh oui, il ne fallait pas confiner mais conseiller et fournir les équipements et vaccins nécessaires pour ceux qui le souhaitait. On voit désormais les dégâts de ce confinement sur la jeunesse (Problèmes psy en forte augmentation). Je comprend...

à écrit le 19/06/2024 à 8:03
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"les moyens qu'ils mettent en avant pour y parvenir sont bien différents." Merci beaucoup, tandis que hier il y avait un article visiblement sponsorisé par les macronistes qui nous disait que c'était la même chose ! Tous pareils les extrêmes tous méc...

à écrit le 18/06/2024 à 19:46
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"à la pompe, la fiscalité repose davantage sur la TICPE (qui peut représenter jusqu'à 35, voire 40% du prix d'un litre de carburant) que sur la TVA (environ 17%)" (TICPE figée HT pendant 12 mois) la TVA à 20% s'applique à {prix du carburant + TICPE ...

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