![Selon le baromètre Energie-info, près d'un ménage sur trois a rencontré des difficultés pour payer certaines factures en 2023, contre 18% en 2020.](https://static.latribune.fr/full_width/2329532/electricite-facture.jpg)
Ces deux dernières années, les oppositions politiques ont fustigé le bouclier tarifaire mis en place par l'État pour contenir les factures d'énergie. Et pour cause : non ciblé vers les ménages dans le besoin, celui-ci a aggravé l'état des finances publiques, déjà bien amochées, en générant un coût brut de 72 milliards d'euros depuis l'automne 2021, selon les chiffres de la Cour des comptes.
Et pourtant, alors que des législatives anticipées s'annoncent après la dissolution de l'Assemblée nationale, les mêmes oppositions proposent peu ou prou la même chose, tandis que le gouvernement tente lui d'en sortir : des mécanismes de soutien similaires pour tous les Français, quels que soient leurs revenus, et qui ne tiennent pas compte de l'empreinte écologique des produits consommés. En effet, dans cette campagne éclair, le Rassemblement national (RN) plaide à nouveau pour une baisse généralisée de la TVA sur l'électricité, le gaz et les carburants routiers, tandis qu'à gauche, le Nouveau Front populaire affiche dans son programme, révélé ce vendredi, le blocage des tarifs pour ces mêmes produits.
Preuve, s'il en fallait, que le sujet de l'énergie cristallise toujours les tensions autour du pouvoir d'achat. Et que la plaie ouverte par la crise fin 2021, qui a vu les prix de marché exploser à des niveaux jamais vus jusqu'alors, reste béante, malgré la baisse des cours observée depuis plusieurs mois. Selon le baromètre Energie-info réalisé à l'automne 2023 par le médiateur de l'énergie, près d'un ménage sur trois a en effet rencontré des difficultés pour payer certaines factures en 2023 (contre 18% en 2020), et même plus d'un sur deux chez les moins de 35 ans.
« 8 foyers sur 10 déclarent avoir restreint leur chauffage pendant l'hiver [pour des raisons économiques, ndlr] ; ce taux, qui était de 69% en septembre 2022, n'a jamais été aussi élevé », peut-on lire par ailleurs.
Cerise sur le gâteau : il y a quelques jours, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a fait savoir que le prix moyen du gaz pour les particuliers augmenterait de 11,7% au 1er juillet afin de financer l'entretien des tuyaux - soit un timing catastrophique au vu du contexte politique. « Dans notre pays, se chauffer ou se déplacer est en train de devenir un produit de luxe », avait fusillé la tête de liste RN aux européennes, Jordan Bardella.
Opération politique du gouvernement
Dans ces conditions, chacun égraine ses promesses. Les tarifs de l'électricité « baisseront de 10 à 15% » début 2025, s'est par exemple engagé mardi, sur BFMTV, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Une annonce qui cache, en réalité, une hausse de la fiscalité ! « Les analyses montrent que la baisse des tarifs réglementés de vente en 2025 au regard des prix de marché sera plutôt de 20 à 25%. Soit les hypothèses de Bercy sont fausses, soit cela masque une hausse de l'accise sur l'électricité », a réagi l'AFIEG dans la foulée. En effet, le gouvernement cherche à repasser à 32 euros par mégawattheure (MWh) la Taxe intérieure sur la consommation d'électricité (TICFE) dès 2025, après l'avoir déjà remontée à 21 euros par MWh en février 2024. Ce qui serait masqué, en partie, par l'impact de la chute des cours.
« C'est une opération politique évidente : de toute façon, les tarifs vont baisser. Chacun cherche donc à s'arroger paternité de cette baisse », pointe Xavier Pinon, cofondateur de Selectra.
De son côté, le Rassemblement national avance une autre vision : celle de la baisse drastique des taxes. Et plus précisément celle sur la valeur ajoutée (TVA), un impôt général sur la consommation directement facturé aux clients sur les biens achetés. Celle-ci passerait ainsi à 5,5% sur l'électricité, le gaz, les carburants et le fioul, contre 20% pour une partie de ces produits, selon la profession de foi du parti révélée hier par Le Figaro. Mais une telle mesure priverait l'Etat de 16,8 milliards de recettes, prévient-on à Bercy (10 milliards d'euros pour l'essence, 4,5 milliards d'euros pour l'électricité et 2,3 milliards d'euros pour le gaz).
De quoi plomber les comptes publics sur le long terme face à des chocs ponctuels, pointait déjà l'institut Jean Jaurès en 2022. Et ce, sans permettre davantage de justice sociale. « Une baisse de la TVA ne ferait aucune différence entre la voiture de sport de loisir et la berline familiale, entre le couple vivant et travaillant en centre-ville et le ménage résidant à la campagne », pointait la fondation. D'autant que « le taux de TVA décrit comme excessif est en réalité dans la moyenne des pays membres de l'Union européenne (entre 19% et 21%) et inférieur à celui pratiqué en Hongrie (27%), Suède (25%) ou Grèce (24%) ».
Même son de cloche du côté du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme rattaché à la Cour des comptes. « Une baisse de taux de TVA apparaît comme un outil qui n'est ni efficace, ni équitable pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages », affirme une note publiée en septembre 2023.
« Taxe carbone négative »
Pire : une telle mesure serait néfaste pour le climat, en incitant à consommer toujours plus d'hydrocarbures. « Isolée des autres, elle viendrait retarder d'environ deux ans l'atteinte des budgets carbone de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) des secteurs transport et bâtiment, tout en privant le budget de l'Etat de capacité de financement alors qu'il doit augmenter les investissements climat de 14 milliards d'euros par an pour respecter les objectifs de la SNBC », selon l'institut Montaigne.
« Pour les carburants et le gaz, cela reviendrait à instaurer une taxe carbone négative, c'est-à-dire une subvention à la consommation d'énergie fossile ! » ajoute Nicolas Leclerc, cofondateur du cabinet de conseil en énergie et décarbonation Omnegy.
Selon le CPO, afin d'atténuer les hausses des prix de l'énergie, des dispositifs ciblés comme les chèques énergie ou carburant seraient plus efficaces et moins coûteux pour les finances publiques, mais aussi meilleurs pour la transition environnementale.
« Quitte à baisser la TVA, autant le faire sur l'installation de panneaux solaires, par exemple. Ce serait une bien meilleure utilisation du budget de l'Etat, qui reste limité », ajoute Sylvain Le Falher, dirigeant du cabinet spécialiste de la consommation d'énergie pour les particuliers Hello Watt.
Faire jouer la concurrence ?
Enfin, sur l'électricité, il existe d'autres moyens pour les ménages en difficulté financière de réduire leurs factures. Pour rappel, le tarif réglementé d'EDF, qui s'applique depuis le 1er février 2024, reflète en partie les prix spot de l'électricité en 2022 et 2023... Soit les pires années de la crise, avec des cours plus de deux fois supérieurs à ceux d'aujourd'hui. En souscrivant plutôt une offre de marché, chez EDF ou chez un autre opérateur, un client peut donc dès aujourd'hui bénéficier de tarifs jusqu'à 25% moins élevés.
« Chacun peut faire jouer la concurrence. Aujourd'hui, il existe des offres 20% moins chères et accessibles à tout le monde. Changer d'abonnement prend quelques minutes, il n'y a aucun frais et rien n'empêche de retourner au tarif réglementé par la suite », précise Xavier Pinon.
Bonne nouvelle pour les consommateurs, les prix de gros de l'électricité sont d'ailleurs bien moins élevés en France que chez nos voisins allemands, belges ou néerlandais, par exemple. Sur la principale bourse d'échange européenne, un MWh acheté vendredi pour une livraison en 2025 s'échangeait ainsi à 69 euros dans l'Hexagone, contre 92 euros en Allemagne.
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