![Selon le politologue et expert du climat François Gemenne, « la dégradation du climat ne peut se régler en une seule législature ».](https://static.latribune.fr/full_width/2397424/francois-gemenne.jpg)
LA TRIBUNE - En tant que politologue et expert du climat, quelle est votre première impression de la crise politique que vit la France en ce moment ?
FRANÇOIS GEMENNE - J'ai une inquiétude très forte. Cette campagne électorale porte un seul enjeu central : la potentielle arrivée de l'extrême droite au pouvoir en France. Si cela se produit, parmi tous les risques identifiés, un retour en arrière total sur toutes les questions d'écologie est désormais possible...
Dans le programme du Rassemblement national (RN), on trouve des mesures du type : peu d'ambition sur les énergies renouvelables, fin de l'interdiction de louer des biens mobiliers qui ont un diagnostic énergétique médiocre, absence de plan d'électrification du parc automobile, etc. En fin de compte, le RN nous ramène à l'âge des énergies fossiles et polluantes. Sa seule mesure écologique qui tient un peu près la route est le localisme alimentaire, mais c'est totalement insuffisant.
Est-ce que globalement, cette campagne législative, tout parti confondu, donne de la place à l'enjeu écologique ?
Pas vraiment. Ni à gauche, ni à droite, aucun parti ne met réellement en avant ses engagements sur cet enjeu. Pourquoi ? Premièrement, le sujet climat est synonyme de « mauvaise nouvelle ». Et aucun candidat en campagne ne veut être associé à des nouvelles plombantes...
C'est ce que j'appelle « le syndrome Churchill ». Le célèbre dirigeant politique était un héros de la Seconde Guerre mondiale et pourtant, il a perdu les élections législatives britanniques du 5 juillet 1945. Pour quelle raison ? Parce qu'il rappelait aux Britanniques les souvenirs douloureux de la guerre... Aujourd'hui, l'écologie n'est vendue politiquement et médiatiquement qu'avec « du sang et des larmes », pour reprendre justement une expression de Churchill. C'est un problème.
Vous dîtes aussi que le temps politique pour mettre en place des solutions en faveur du climat est aussi un problème. Pouvez-vous nous expliquer ?
Contrairement à d'autres problèmes sociétaux - évoqués habituellement durant une campagne électorale (sécurité, emploi, pauvreté, etc) - la dégradation du climat ne peut se régler en une seule législature. Car c'est un problème global, étendu dans le temps et l'espace, entre nos émissions de gaz à effet de serre, et les effets de celles-ci sur notre environnement. Il n'existe donc pas de « solution miracle » contre le dérèglement climatique. Cette temporalité, c'est compliqué pour un responsable politique.
Les électeurs votent avant tout pour leur propre intérêt et se demandent légitimement : « Qu'est-ce que je gagne dans ma vie quotidienne à voter pour une telle ou un tel ? ». Je pense que les mesures environnementales proposées par les politiques ne mettent pas assez l'accent sur leurs conséquences positives dans la vie des citoyens.
Par exemple : l'amélioration de la qualité de l'air est bénéfique pour la santé, avoir une politique énergétique plus résiliente permet de réduire sa facture, isoler thermiquement son logement fait gagner en confort de vie, etc. Et pour les entreprises, avoir une économie décarbonée, c'est la garantie de rester rentable demain.
Aujourd'hui, il y a une erreur dans la manière de traiter le sujet climat politiquement et médiatiquement. On pense que c'est la peur de la catastrophe qui va motiver l'action. Il faut changer d'angle.
Quel est selon vous le parti politique le plus ambitieux au niveau de la transition écologique ?
Je pense que le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) est le plus ambitieux en la matière. Mais en général, je trouve que la plupart des programmes restent très vagues. Mais quoiqu'il en soit, le parti qui prendra le plus de mesures écologiques est sans aucun doute celui qui battra le RN.
Quelles sont les mesures écologiques à mettre en place en priorité aujourd'hui ?
Soutenir davantage l'électrification du parc automobile, ce qui veut dire s'attaquer vraiment à la baisse des émissions des voitures et des camions. Accélérer sur le déploiement des énergies renouvelables et l'isolement des bâtiments, notamment publics, me semblent tout aussi indispensables.
Enfin, mobiliser réellement l'épargne des Français en faveur de la transition. Il y a vraiment quelque chose à faire avec le monde de l'assurance et de la finance. On pourrait aussi mettre en place un réel marché de capitaux européen, dont les fonds pourraient être fléchés vers la transition climatique.
Toutes les études le montrent, pour un Etat, opérer une transition écologique coûte très cher. Qu'en pensez-vous ?
Oui, c'est vrai que la transition écologique est extrêmement coûteuse. C'est la raison pour laquelle je pense que celle-ci est avant tout une affaire d'investissement, notamment issu du monde privé.
Dans les programmes des différents candidats, aucune proposition ne mobilise l'épargne des Français pour le climat. Pourtant, c'est une ressource financière considérable ! Rien que les contrats d'assurance-vie, un produit très rentable en ce moment, c'est 1.800 milliards d'euros. Si on pouvait mobiliser une fraction de cette épargne, ce serait déjà significatif.
Dans son programme, le Nouveau Front Populaire parle d'impliquer davantage la société civile dans le déploiement de leur politique. Est-ce que cela peut avoir un effet bénéfique en particulier en matière d'écologie ?
C'est une voie intéressante car aujourd'hui nous avons une vraie crise de la démocratie représentative. En fait, beaucoup de gens ont l'impression que leurs aspirations personnelles ne pèsent plus sur la décision collective.
De fait, mettre en place des mécanismes de démocratie délibérative comme ceux qu'on a vus à l'œuvre en France, au moment de la « Convention citoyenne pour le climat », va dans le bon sens. On a mis 150 citoyens français autour de la table avec des opinions très différentes.
Et grâce à un travail de neuf mois, où ils ont pu s'informer, écouter des experts, et débattre entre eux, ce collectif a abouti à des mesures ambitieuses sur l'enjeu climat. Au final, à la fin du processus, on eu « 150 Greta Thunberg » !
Ceci étant dit, toutes les propositions de cette convention citoyenne n'ont pas été reprises, alors que le président Emmanuel Macron s'était engagé à les traduire « sans filtre » dans sa politique...
Oui, cela va de soi évidemment. Si on met en place ce type de chose, il est indispensable que le résultat soit à la hauteur du processus. Il ne faut pas tromper les gens, car sinon, c'est délétère. Mais encore une fois, la méthode est en elle-même vertueuse.
Sujets les + commentés