![La gigafactory d’ACC a commencé à produire ses premières batteries fin 2023.](https://static.latribune.fr/full_width/2399036/gigafactory-batteries.jpg)
Se dirige-t-on vers une casse industrielle en cas de victoire du Rassemblement national aux élections législatives anticipées ? Alors que son président Jordan Bardella entend supprimer le dispositif de compensation carbone dont bénéficient les industriels les plus gourmands en électricité pour rester compétitifs dans un environnement hautement concurrentiel, cette mesure menacerait l'existence de 300 usines en France, a affirmé, jeudi lors d'un point presse, l'alliance Ensemble pour la République.
« Ce sont 300 usines décarbonées qui seraient remises en cause si le RN mettait fin à la compensation carbone. C'est l'équivalent de 115.000 emplois directs et indirects », ont insisté les équipes de campagne.
Les mises en garde de la majorité présidentielle ne sont pas isolées. Selon les calculs réalisés par la fondation Jean Jaurès, et basés sur un recensement non-exhaustif des sites industriels de la transition énergétique, environ 177.300 emplois industriels « verts » pourraient être menacés ou ne jamais voir le jour dans le cas d'une arrivée au pouvoir du RN. Dans une publication intitulée « Arrivée du RN à Matignon : le risque d'un grand plan social dans l'industrie verte », le centre de réflexion estime, en effet, que la politique menée par « le parti d'extrême droite s'attaquerait directement à l'éolien et au solaire », mais aussi au virage « vers la voiture électrique ou encore au déploiement des pompes à chaleur ».
Le risque d'une nouvelle vague de désindustrialisation
Au total, les filières des véhicules électriques, de la production d'éoliennes, de panneaux solaires et des pompes à chaleur représentent un peu plus de 49.000 emplois industriels en France, évalue la fondation. En y ajoutant les opérateurs de maintenance et d'installation, « ce chiffre peut être estimé à environ 85.670 emplois », écrit Neil Makaroff, expert associé à la fondation et auteur de la note. Compte tenu des projets annoncés, un doublement du nombre d'emplois dans ces secteurs industriels est attendu à l'horizon 2035, « soit la création d'en moyenne 25 nouveaux postes par jour dans l'industrie verte », poursuit-il.
Or, « face à des politiques hostiles et à une baisse des soutiens publics, les investisseurs et usines préféreront probablement quitter la France et cibler des pays qui prennent vraiment le virage de la transition écologique », indique l'auteur, qui redoute des délocalisations.
« De Nersac à Merville en passant par Lens, Annonay, Douai ou encore Plabennec, les villes qui doivent leur renaissance économique à la transition écologique pourraient bien subir une nouvelle vague de désindustrialisation », prévient-il.
L'éolien en mer en première ligne
Cette menace sur les emplois pèse grandement sur l'industrie de l'éolien en mer vers laquelle le parti d'extrême droite affiche désormais clairement son hostilité, après avoir concentré ses critiques pendant des années sur les éoliennes terrestres.
« Au salon Seanergy, [le salon des énergies de la mer qui se tient à Nantes du 26 au 28 juin, ndlr] c'est dans toutes les bouches. Tout le monde s'inquiète des résultats des élections législatives et de l'impact que cela pourrait avoir sur la politique des appels d'offres et donc sur la filière », confie à La Tribune une source syndicale chez GE, dont l'usine de turbines située à Montoire et le site nantais représentent, à eux seuls, quelque 900 emplois.
« Toutes les annonces faites début mai par Bruno Le Maire et Roland Lescure [les deux ministres se sont engagés à attribuer un giga appel d'offres de 10 GW d'ici à octobre 2026, ndlr] peuvent être balayées d'un revers de main », poursuit cette même source, alors que l'usine de Montoire est déjà fragilisée par l'absence de commandes au-delà de 2026. Le site de production ne serait pas viable sans débouchés directs sur le marché tricolore, estiment plusieurs observateurs.
A Saint-Nazaire, la grande inquiétude
Dans les Pays de la Loire, le secteur de l'éolien en mer représente quelque 2.500 emplois, essentiellement concentrés au niveau du bassin saint-nazairois, où l'on retrouve également les usines des Chantiers de l'Atlantique, qui fabriquent notamment les sous-stations électriques, pièce cruciale des champs éoliens. « Il y a également un projet important de développement du port », pour en faire un hub logistique dédié au stockage des éoliennes offshore, souligne Matthias Travel, candidat du Nouveau Front populaire et député sortant de la 8ème circonscription (Saint-Nazaire) de Loire-Atlantique, qui confirme « la grande inquiétude » des industriels du secteur.
« Toute la filière se projette pour atteindre les objectifs de 18 GW en 2030, puis d'au moins 45 GW en 2050. La question de la visibilité et de la planification est donc cruciale alors que des investissements très lourds seront nécessaires pour changer d'échelle de production. Or, si le RN gagne, cette visibilité les industriels ne l'auront pas. Les appels d'offres attendus d'ici à la fin de l'année ne seront pas lancés », prévient-il.
L'intervention sur France 3 de Gauthier Bouchet, le candidat RN pour la même circonscription, n'a pas dû rassurer les acteurs du secteur. Egalement délégué départemental du RN en Loire Atlantique, il a assuré que les industriels « ont eu tort » de se lancer dans cette voie.
L'industrie des pompes à chaleur, victime collatérale ?
Quant au solaire, si le RN n'évoque plus clairement de moratoire comme ce fut le cas pendant la campagne pour la présidentielle de 2022, Jean-Philippe Tanguy, responsable du programme économique du parti, a clairement indiqué qu'il ne s'agissait pas d'une priorité. Son développement serait d'ailleurs conditionné au contenu européen et à la maturité des technologies de stockage de l'électricité. Deux exigences, pour l'heure, inatteignables.
L'industrie des pompes à chaleur n'est, elle, pas directement attaquée, mais « la remise en cause des diagnostics de performance énergétique (DPE), le retour en arrière sur l'interdiction de vente des chaudières au fioul ou encore le soutien accru à la consommation de gaz et de fioul par la baisse des taxes voulus par le RN risquent d'impacter de plein fouet » cette industrie prévient Neil Makaroff. Cette dernière est pourtant bien implantée dans l'Hexagone, avec des sites aussi bien en Alsace qu'en Bretagne et dans la Somme. Par ailleurs, l'ouverture prévue de nouveaux sites pourrait conduire à la création d'au moins 13.000 postes industriels supplémentaires d'ici à 2027, pointe le think tank.
Enfin, le parti d'extrême droite « promet de faire marche arrière sur la fin de vente des voitures thermiques neuves en 2035 », rappelle la note. Or, « la filière de la batterie dénombre d'ores et déjà près de 2.000 emplois et en attend au moins 6.600 de plus d'ici 2026 dans les Hauts-de-France », est-il souligné. Au total, environ 20.000 emplois supplémentaires pourraient être créés dans la chaîne de valeur de la voiture électrique d'ici 2035, estime la fondation Jean Jaurès, qui ne manque pas de rappeler que ces nouvelles usines sont principalement implantées dans le nord et l'est de la France. Des territoires qui ont déjà du faire face à de multiples crises.
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