Les prochaines élections européennes et la poussée attendue des populistes de droite pourraient mettre en péril les ambitions climatiques du Vieux Continent. C'est un des risques que met en lumière le chercheur Phuc-Vinh Nguyen dans une nouvelle publication à venir. Ce spécialiste de la politique européenne de l'énergie au sein de l'Institut Jacques Delors s'inquiète d'un possible détricotage du Pacte vert européen par l'intermédiaire des clauses de revoyure, qui pourraient être utilisées sous la pression des partis de la droite extrême européenne afin de revoir à la baisse un certain nombre d'objectifs.
Officiellement présenté par l'exécutif européen en décembre 2019, le Pacte vert (ou Green deal, en anglais) a été défini par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen comme « la nouvelle stratégie de croissance » de l'Union européenne (UE), destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre, « tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie ».
Son principal objectif est de faire de l'Europe le premier continent à atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Dans cette optique, la Commission européenne avait présenté à l'été 2021 un ensemble de propositions afin d'aligner la législation de l'UE aux ambitions de neutralité climatique, en fixant une cible intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport à 1990. Ce paquet baptisé « ajustement à l'objectif 55 » (ou Fit for 55 en anglais), comprend une série de mesures sur les énergies renouvelables, les véhicules thermiques ou encore l'efficacité énergétique et la mise en place d'une « taxe carbone » (appelée mécanisme d'ajustement carbone) aux frontières de l'UE.
Une poussée des droites européennes
« Il devrait y avoir une poussée des droites européennes au sein du Parlement européen. Le Parti populaire européen (PPE) [dans lequel on retrouve Les Républicains, ndlr] devrait conserver le même nombre de sièges. Par contre, les conservateurs [où l'on retrouve Eric Zemmour en France et Giorgia Meloni en Italie, ndlr] gagneraient des voix, tout comme Identité démocratie, le groupe politique du Rassemblement national », a résumé Phuc-Vinh Nguyen lors d'un échange avec la presse le 27 mai.
Outre cette « droitisation » du Parlement européen, le chercheur pointe une possible « droitisation interne au sein des groupes du Parlement ». « On pourrait donc voir une grande partie du PPE s'allier avec les conservateurs et avec l'extrême droite européenne, mais aussi recueillir des votes au sein même des sociaux-démocrates et (...) des libéraux européens », projette-t-il. Ce qui permettrait d'avoir des majorités de blocage vis-à-vis de certains textes.
Le risque d'objectifs climatiques revus à la baisse
Or, un des risques mis en avant par la droite et l'extrême droite repose sur la possibilité d'activer des clauses de revoyure du paquet législatif Fit for 55. « Ces clauses sont des clauses juridiques de rendez-vous, qui permettraient de revenir sur une partie de l'ambition des textes votés au cours de la mandature écoulée », explique Phuc-Vinh Nguyen.
« Initialement, elles avaient été prévues pour tenter de rouvrir des dossiers et de rehausser les ambitions. Mais là, (...) la droite et l'extrême droite pourraient essayer de dévoyer ces clauses pour, au contraire, tenter de diminuer l'ambition climatique prévue dans les textes », poursuit-il.
Le chercheur en a identifié une quinzaine. Toutefois, la clause la plus à risque est celle relative à l'interdiction de la vente de véhicules neufs thermiques à l'horizon 2035. Celle-ci prévoit, en effet, une réévaluation en 2026. « Or, il serait très simple d'un point de vue politique de justifier du potentiel de réouverture de cette clause », assure le spécialiste. Selon ses calculs, « a minima, au moins un tiers du groupe PPE » pourrait être amené à vouloir revoir cette interdiction. De même qu'un cinquième du groupe des libéraux. Ensemble, ils pourraient former une coalition ad hoc avec les droites radicales et ainsi obtenir une majorité.
Et d'un effet boule de neige
« En réalité, le plus problématique ce n'est pas tant les clauses de revoyure, mais l'effet boule de neige que cela pourrait avoir sur l'ensemble des dossiers », alerte le chercheur, soulignant le caractère systémique du Pacte Vert.
Une modification de l'interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2035 pourrait avoir des effets sur le règlement Afir, qui fixe notamment des objectifs sur le déploiement des bornes de recharge, indispensable à celui des véhicules électriques. Et si l'objectif de mobilité électrique est revu à la baisse, cela pourrait aussi avoir un impact sur les objectifs relatifs aux énergies renouvelables, fixés pour soutenir une électrification massive des usages. « Ce qui pourrait avoir des conséquences délétères sur la prévisibilité », chère aux industriels et engendrer une « instabilité réglementaire », qui serait « problématique », pour l'ensemble de la chaîne de valeur, met-il en garde.
Le rôle clé de la Commission
Toutefois, contrairement à ce que l'on pourrait entendre, les eurodéputés ne peuvent pas décider eux-mêmes de la réouverture des dossiers. C'est la Commission européenne qui dispose du monopole de cette initiative. Alors que la présidente de l'exécutif européen s'est portée candidate à sa reconduction et semble, pour l'heure, la mieux placée, l'accord politique qu'elle nouera avec les autres groupes politiques pour s'assurer de sa réélection sera déterminant dans l'exercice de cette prérogative. En effet, Ursula von der Leyen, candidate principale du PPE, pourrait obtenir un accord avec les droites européennes en échange de son engagement à rouvrir certains dossiers.
Dans ce contexte, l'Institut Jacques Delors préconise la formation d'une grande coalition élargie aux Verts, qui n'avaient pas voté pour Ursula von der Leyen en 2019. Et ce, afin de « sécuriser une grande partie des objectifs adoptés au cours de la mandature », écoulée. Un mouvement à l'opposé des discussions que mène actuellement la cheffe de la Commission avec la nationaliste Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien, sur une possible alliance dans l'hypothèse d'une prochaine mandature.
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