L’Europe toujours dépendante du gaz russe

Malgré les volontés politiques, l’Union européenne importait 30% de gaz russe de plus en mai 2024 qu’en septembre 2022, selon les données du cabinet de conseil ICIS. Même si les volumes restent incomparables à la période précédant l'invasion de l’Ukraine, le sevrage reste compliqué, et l’absence de sanctions empêche la rupture des contrats de long terme.
Marine Godelier
En mai 2024, les importations européennes de gaz en provenance de Russie ont dépassé les approvisionnements en provenance des États-Unis, pour la première fois depuis près de deux ans.
En mai 2024, les importations européennes de gaz en provenance de Russie ont dépassé les approvisionnements en provenance des États-Unis, pour la première fois depuis près de deux ans. (Crédits : DADO RUVIC)

Success story ou divorce compliqué ? Plus de deux ans après l'invasion de l'Ukraine par Moscou, l'Europe est parvenue à réduire considérablement ses importations de gaz russe...sans pour autant réussir à s'en détacher complètement. Alors que la Hongrie vient de prendre la tête du Conseil de l'UE pour six mois, son ministre de l'énergie, Csaba Lantos, n'a pas manqué de le rappeler : « Pour la Hongrie et les autres pays enclavés d'Europe centrale, l'indépendance énergétique totale est une tâche presque impossible. Nous avons besoin des importations de gaz russe à long terme pour assurer la sécurité d'approvisionnement », a-t-il affirmé lundi 15 juillet au média Contexte. Une déclaration coup-de-poing, qui intervient alors que les eurodéputés fraîchement élus devront choisir, dans les tout prochains jours, de reconduire ou non Ursula von der Leyen à la tête de l'exécutif bruxellois.

Et si cette dernière a récemment assuré que les Vingt-Sept ont « accéléré leur souveraineté en matière d'énergie [...] grâce à Vladimir Poutine », les pays de l'UE importent en réalité davantage de gaz russe que fin 2022.

30% de gaz russe supplémentaire depuis septembre 2022

Certes, les volumes restent incomparables à la période précédant l'invasion : alors qu'en 2021, plus de 45% du gaz naturel importé par l'Europe provenait de Russie, ce n'était plus que 15% sur l'année 2023. Au global, l'UE en importait environ 15 milliards de mètres cubes (mmc) en mai 2021, contre 4,8 mmc en mai 2024.

Seulement, le tableau n'est pas tout rose : en septembre 2022, ce chiffre s'élevait à 3,7 milliards, soit 30% de moins. En effet, selon les données de l'institut d'analyse ICIS, les importations de ce combustible fossile, qui se sont effondrées en septembre 2022 après que Vladimir Poutine a coupé le robinet, sont progressivement reparties à la hausse. Et ce, de manière « significative, et surtout constante », relevait lundi le quotidien économique allemand Handelsblatt. En mai 2024, les importations européennes de gaz en provenance de Russie ont même dépassé les approvisionnements venant des États-Unis, pour la première fois depuis près de deux ans.

Dans le détail, les flux de gaz via un gazoduc passant par l'Ukraine ont augmenté de 12%, et les importations de gaz naturel liquéfié (GNL), acheminé par bateaux plutôt que par tuyaux, ont progressé de presque 40%. La France est d'ailleurs devenue championne de l'importation de ce GNL sur le Vieux continent, comme nous l'écrivions en octobre 2023.

Lire aussiEurope : de la dépendance au gaz russe au GNL américain

Absence de sanctions

Mais si l'Hexagone ne dépend pas - ou très peu - de ce gaz russe pour alimenter son économie, et sert davantage de carrefour vers d'autres marchés, ce n'est pas le cas de tous les Etats membres : la dépendance de l'Autriche à l'égard de Moscou a atteint 98% à la fin de 2023, contre près de 80% avant la guerre. Et l'entreprise nationale OMV, partiellement détenue par l'État, a fait savoir qu'elle avait l'intention de continuer ses affaires avec Gazprom dans le cadre d'un contrat qui court jusqu'en 2040. Car en l'absence de sanctions européennes qui permettraient d'invoquer la force majeure, la résiliation entraînerait probablement des frais de plus d'un milliard d'euros.

De fait, à l'heure actuelle, les seules mesures de restriction concernent les transbordements de GNL effectués dans des ports de l'Union européenne, en vue de rediriger la précieuse molécule vers des pays tiers. Plusieurs pays comme la Suède, la Finlande et les États baltes, font ainsi pression sur le bloc pour qu'il décrète l'interdiction totale du GNL russe. Sans succès néanmoins, puisque cela nécessiterait l'accord de tous les États membres.

Du gaz russe blanchi via l'Azerbaïdjan ?

Et ce n'est pas tout : au-delà des échanges directs, du gaz russe acheté par l'Europe pourrait être blanchi via d'autres pays, comme l'Azerbaïdjan ou la Turquie. Alors qu'Ursula von der Leyen a conclu des accords dès l'été 2022 pour importer davantage de gaz d'Azerbaïdjan, dans le cadre des mesures prises par l'UE pour réduire sa dépendance à Moscou, une partie des infrastructures en question appartient en fait à Lukoil, une entreprise russe figurant sur la liste des sanctions américaines. Le champ de Shah Deniz, l'un des plus grands projets de gaz à condensats au monde et le seul en Azerbaïdjan à exporter du gaz vers l'UE, est d'ailleurs exploité par la société britannique BP, dont Lukoil détient 19,99% des parts, rappelait fin avril l'ONG Global Witness. Par conséquent, écrivait-elle alors en s'appuyant sur les données de Rystad Energy, « Lukoil est en passe de réaliser 7 milliards de dollars de bénéfices au cours de la prochaine décennie grâce à ce champ gazier ».

Pire : pour répondre à la demande croissante de gaz de l'UE, Bakou a même, dès novembre 2022, conclu un accord avec la Russie pour augmenter ses importations afin de répondre à la demande intérieure. Un mois plus tôt, le Parlement européen avait d'ailleurs exhorté la Commission à « enquêter sur les soupçons selon lesquels l'Azerbaïdjan exporterait en réalité du gaz russe vers l'UE ». Ce à quoi l'exécutif bruxellois avait répondu par la négative, même si le doute continue de planer.

Lire aussiLa France finance Moscou en important de plus en plus d'engrais produits avec du gaz russe

Marine Godelier

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Commentaires 22
à écrit le 18/07/2024 à 11:25
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Quand tu vois a quel prix les américains vendent leur gnl par rapport aux prix que les russes le vendent.. d'ailleurs l'Ukraine transite toujours du gaz russes sur sont sol car elle touche énormément de droit de passage.. ont envisagera d'arrêter l'a...

à écrit le 18/07/2024 à 8:46
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On n'est pas en guerre avec la Russie, autant que je sache, même si on ne peut que désapprouver les Russes pour l'Ukraine. Il faudrait que les médias arrêtent leurs salades, qui ne fait plaisir qu'aux grands guerriers de Call of Duty, aux Tartuffes...

à écrit le 17/07/2024 à 18:58
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Pour memoure cest ce que disait total, a l attention des decerebres qui veulent couper le gaz sans reflzchir aux consequencrs, qui seraient loin d etre favorables a l ukraine

à écrit le 17/07/2024 à 17:23
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On a donc réduit nos importations russes des 2/3 ?: C'est pas mal du tout en fait. C'est pas comme sil s'agissait de changer de fournisseur de tomates ou de stylo billes: c'est beaucoup plus compliqué.. D'autant que comme le souligne l'article, il ...

le 18/07/2024 à 20:29
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Ha ben oui ont est content on en paye les 2/3 plus cher .. sacré belle operation .. economiquement c est mauvais et politiquement ont a pas effondré l economie russe .. une grande reussite en effet

à écrit le 17/07/2024 à 15:28
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En fin de compte, cet article démontre le ridicule des allégations de Mme VD Layen selon qui les pays de l'UE auraient « accéléré leur souveraineté en matière d'énergie [...] grâce à Vladimir Poutine ». A part quelques gisements de production en Eur...

le 17/07/2024 à 17:41
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La France importe aussi et essentiellement de l'uranium enrichi de Russie (Rozatom), maintenant que le Niger s'est affranchi du post-colonialisme exercé par le Franc CFA. Quant au commerce d'uranium enrichi avec le Kazakhstan, les relations sont plut...

le 18/07/2024 à 11:54
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Les revendications territoriales en Antarctique sont suspendues par le traité sur l'Antarctique de 1959 . On ne peut donc pas parler de "territoire russe" (pas plus que français ou argentin...) et les dispositions du traité ne permettent pas d'exploi...

le 20/07/2024 à 9:53
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@réponse de. Je peux tout à fait saisir votre optimisme débordant quant au traité de 1959 et le protocole de Madrid entré en vigueur en 1998. Cependant, à l'échelle du temps planétaire et de la transition énergétique dans un contexte géopolitique hau...

à écrit le 17/07/2024 à 15:05
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Sur ordre de l'oncle Sam, on s'est bêtement privé du gaz russe, comme du pétrole russe que l'on achète indirectement à l'Inde et à l'Arabie Saoudite. A qui profite le crime qui à consisté à faire croire à l'Ukraine qu'elle entrerait dans l'OTAN et l'...

le 17/07/2024 à 15:59
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Il est facile d’exiger que d’autres États perdent des territoires que l’on ne serait pas disposé à faire soi-même. Je vous rappelle qu'après sa défaite en 1870/71, la France se préparait à une revanche militaire avec l'Empire allemand. La France n'av...

le 17/07/2024 à 21:24
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@aditec - Certes, vos arguments sont parfaitement entendables, mais l'histoire de l'Ukraine n'a pas commencé avec son détachement du bloc soviétique, ni avec la volonté de rattachement de la Crimée à la Russie (puis à son rattachement à celle-ci) ou ...

le 18/07/2024 à 12:24
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"Ces territoires à l'origine allemands"....Ouh la! C'est trop vite écrit et trop vite dit tout cela. Avant d'être reprise en 1870, l'Alsace était française depuis 1681 (sauf Mulhouse). Cela peut justifier que la période 1870-1914 n'ait été qu'une par...

à écrit le 17/07/2024 à 15:03
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Bein depuis le temps que je vous l'écris!!!🤣😂😂

à écrit le 17/07/2024 à 15:02
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Marrant ça, dossier 51 qui fait question et réponses🤣

à écrit le 17/07/2024 à 14:59
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La duplicité de l'UE, certains semblent découvrir l'eau chaude! Pareil les USA de Biden qui ont allégé l'embargo sur le pétrole iranien, leur permettant de faire entrer de l'argent frais pour s'armer et armer non seulement les Hamas, Houthis et Hezbo...

à écrit le 17/07/2024 à 14:59
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UE : On prend trop souvent les citoyens pour billes ! Il y a ce que l’on dit à Bruxelles et ce que l’on fait à Berlin et Rome ou encore à Porto … Trop facile d’interdire la vente de gaz russe par oléoduc et de la laisser libre aux memes Etats par b...

à écrit le 17/07/2024 à 12:42
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Scandaleux ! ... Scandaleux ! .... OUI PROPREMENT ( sic ) SCANDALEUX ! ...mais, pour ce qui me concerne, certainement pas pour les raisons qu' évoque en boucle la Bien Pensance Démocratique c' est à dire les Politiquement Corercts ... Et puis...

à écrit le 17/07/2024 à 11:56
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Gazprom vend à la Chine, à l'Inde, à la Turquie de grandes quantités de gaz, mais à des prix très bas. Le problème de Gazprom est celui de la Russie en général. Un Pib en hausse dont le niveau est celui de l'Italie! Un pays en économie de guerre, vie...

le 17/07/2024 à 14:14
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"un pays en économie de guerre, vieillissant, dont la jeunesse éduquée s'est exilée...". On peut raisonnablement supposer que vous évoquez plutôt la France. Dans ce cas, vous devez ajouter une incompétence notoire dans tous les domaines (énergie, soi...

le 17/07/2024 à 15:35
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Vous avez raison sur un point : les Russes sont fondamentalement attachés à leur patrie, mais aussi - quoiqu'en disent les organes de propagande occidentaux - à leur président, Monsieur Poutine. La Russie, malgré les (ou grâce aux) sanctions n'a jama...

à écrit le 17/07/2024 à 11:50
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La très bonne nouvelle est l’inefficacité de nos politiques. La très mauvaise nouvelle est l’inefficacité de nos politiques. Comprenne qui pourra..

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