Rien ne va plus pour « Massylhia », le mégaprojet de TotalEnergies et Engie dans les Bouches-du-Rhône, qui doit bientôt recevoir une importante aide financière de l'Etat. Alors que celui-ci devait déboucher sur le plus grand site de production d'hydrogène « vert » en France - le tout premier, même, à l'échelle industrielle -, en coulisse, les ambitions ont été largement revues à la baisse.
Selon nos informations, le site ne devrait en effet pas dépasser un peu plus de 40 mégawatts (MW) de capacités, et produire environ quinze à vingt tonnes d'hydrogène chaque jour. Soit beaucoup moins que les objectifs affichés jusqu'ici par les deux industriels. Ces derniers promettent toujours d'atteindre une « capacité de 120 mégawatts » et « 45 tonnes » de production journalière dès la mise en service de l'usine, en 2026.
En cause, comme nous l'expliquions il y a quelques semaines : le fournisseur d'électrolyseurs (ces engins qui extraient l'hydrogène de l'eau grâce à un courant électrique), le Belge John Cockerill, rencontrerait d'importants soucis opérationnels. Et notamment dans la gestion de l'intermittence, c'est-à-dire de la variabilité de la production des énergies renouvelables pour alimenter ces machines, censées reposer principalement, pour Masshylia, sur des fermes solaires et éoliennes construites autour de la plateforme de TotalEnergies de La Mède. Et pour cause, ces installations ne fournissent de l'électricité qu'à certains moments, en fonction de la météo, contrairement au gaz ou au nucléaire, par exemple.
Vaporeformage du biopropane
Face à ces difficultés, TotalEnergies planche même, en parallèle, sur une technologie alternative qui ne reposerait ni sur l'éolien ni sur le solaire : le vaporeformage du biopropane, issu d'huile végétale et de déchets organiques. Le principe ? « Casser » ladite molécule (C3H8) grâce à de la vapeur d'eau très chaude, pour en libérer le dihydrogène (H2). L'industriel prévoit ainsi un démarrage de la production via ce procédé dès 2028, afin d'alimenter rapidement sa bioraffinerie de La Mède en hydrogène bas carbone, plutôt que de ne compter que sur Masshylia. Interrogée, l'entreprise ne fait cependant pas de commentaire.
Pour le marché des électrolyseurs, il s'agirait en tout cas d'un énième coup dur. Voire même d'un désaveu ? Il faut dire que John Cockerill est très loin d'être le seul industriel à rencontrer des difficultés dans la mise à l'échelle de ses électrolyseurs.
« Jusqu'à présent, nous sommes restés dans une approche très artisanale. Et force est de constater que les fournisseurs n'arrivent pas à fournir en quantité et en qualité les électrolyseurs. ThyssenKrupp a du mal, McPhy également », confiait il y a quelques semaines à La Tribune un cadre dirigeant d'un grand groupe français.
« Passer de 1 MW à 100 MW de capacité, ça ne revient pas à effectuer une simple multiplication. Comme pour toute innovation, mettre au point de gros électrolyseurs ne va pas se faire en un claquement de doigts, et c'est normal ! », souligne Ludovic Leroy, ingénieur énergie à IFP Training.
Course à la subvention
Malgré ces vents contraires, le français McPhy mise, lui, très gros sur la technologie : il y a une semaine, la société grenobloise a inauguré sa gigafactory de production d'électrolyseurs à Belfort - la première en France - financée en très grande partie par des aides publiques. Celle-ci pourra ainsi fournir l'équivalent de 6,5 gigawatts (GW) de capacité en 2030, et jusqu'à 10 GW en 2035, assure-t-on dans ses rangs. Surtout, ses machines résisteront mieux à l'intermittence des renouvelables, grâce à la mise en place d'une membrane en polymère plutôt que métallique qui permettrait de dissiper plus rapidement la chaleur, fait valoir Antoine Ressicaud, son directeur général adjoint.
Il n'empêche : le chemin sera long pour convaincre les potentiels acheteurs.
« La dynamique demeure, mais avec plus de complexité et un horizon de temps plus long. La maturation de l'industrie va encore prendre du temps : si l'on me demandait de mettre au point un projet d'1 GW l'an prochain, je ne signerais pas », explique à La Tribune Jean-Baptiste Lucas, le directeur général de la société.
Encore balbutiante, l'industrie des électrolyseurs a-t-elle souffert d'une surenchère de promesses de la part de constructeurs friands de subventions ? « Absolument », tranche Jean-Baptiste Lucas. « Nous payons aujourd'hui cette exubérance, qui entraîne des relations tendues avec certains clients, des problèmes de renégociation de contrats et, surtout, un manque de crédibilité », ajoute-t-il. Et de conclure : « Ce n'est jamais un service à rendre à une technologie de créer un hubris autour de fausses promesses ».
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