« La géopolitique mondiale de la tech ne se cantonne plus aux seuls modèles américain ou chinois » (François Bitouzet, Vivatech)

ENTRETIEN. Alors que le monde de la tech s’est restructuré, que l’IA bouleverse les enjeux et préempte les stratégies d’innovation des entreprises – toutes tailles confondues – Vivatech réunit à Paris, durant quatre jours ce que son directeur général présente comme « le meilleur du digital français, européen et mondial.» Une façon de « créer des passerelles », entre entreprises certes, mais aussi entre pays, répond François Bitouzet, le directeur général de Vivatech.
François Bitouzet, le directeur général de Vivatech.
François Bitouzet, le directeur général de Vivatech. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En 2016, lorsque Vivatech voit le jour, le contexte est très favorable à l'innovation, extrêmement soutenu, notamment financièrement. Entre-temps, une crise - sanitaire et de souveraineté aussi - est passée par là. L'innovation n'est plus le seul fait des jeunes entreprises, mais c'est aussi un sujet pour les grandes entreprises et ETI. Quel regard portez-vous sur l'évolution de l'innovation ?

FRANÇOIS BITOUZET - Quand Vivatech a été créé en 2016, c'était pour accompagner ce moment, où, avec l'open innovation, il fallait créer des passerelles entre les startups, les grands groupes et les grands acteurs de la tech. Aujourd'hui, nous sommes à un moment clé de l'innovation et de la transformation digitale. Avec l'intelligence artificielle, qui rebat vraiment les cartes, le besoin de redonner la possibilité aux innovateurs de rencontrer des partenaires, l'enjeu pour des pays, des grandes régions, des grandes villes de se positionner sur l'échiquier mondial de l'intelligence artificielle, la nécessité aussi, pour les acteurs installés, de garder leur coup d'avance... font que le besoin de créer des liens est encore plus essentiel. L'innovation n'est plus au même endroit. Désormais, elle se situe sur l'IA, alors qu'il y a 8 ans, elle résidait davantage dans l'open innovation.

L'open innovation a, elle-même, nettement évolué. Le rapport startup/grand groupe s'est rééquilibré...

Ce rapport entre startups et partenaires a beaucoup gagné en maturité. Le monde de l'entreprise a compris qu'une startup ce n'est pas un prestataire. Et les startups ont compris aussi qu'un grand groupe, ce n'est pas un client. C'est un type de relation très différent. Il y a eu un temps d'adaptation. En 2016, lorsque nous faisions se rencontrer des startups et des grands groupes, nous assistions à des situations très étranges, où les deux se disaient enthousiastes à l'idée de travailler ensemble mais où les startups étaient ensuite confrontées à des procédures en termes de politique d'achat par exemple, qui ne rendaient pas la relation fluide. Et cela car la startup n'était pas faite pour cela. Désormais, les grands groupes ont compris qu'il fallait créer des structures tampon pour apprendre à travailler ensemble. Autre point, durant 15 ans, les startups s'étaient construites sur une culture de l'investissement. Or, post-Covid, nous avons assisté à une rectification du marché, avec des niveaux d'investissements plus « normaux ». Désormais, nous basculons dans une culture plus entrepreneuriale, où il est également important d'avoir un carnet de commandes, des perspectives commerciales... C'est une évolution qui est utile et saine.

De nombreux pays - près d'une centaine - sont présents à Vivatech. Cela signifie-t-il que la France est une Startup Nation ou plutôt une Innovation Nation ?

Cela signifie que Vivatech est devenu une sorte d'Exposition universelle de la technologie digitale. 120 pays sont présents à Vivatech, dont 40 pays qui disposent de leur propre pavillon comme le Japon, pays de l'année. Ces pays viennent avec leurs écosystèmes, viennent nous présenter leurs meilleures startups... Tous ces pays sont présents car ils ont compris que la France est la porte d'entrée en Europe en termes de tech et de digital. Mais ils viennent aussi pour se rencontrer entre eux. L'an dernier, des startups coréennes ont signé des accords avec des startups africaines. Cette internationalisation raconte une évolution de la géopolitique mondiale de la tech et du digital, longtemps très structurée entre un modèle américain - la Silicon Valley - et le modèle chinois. Aujourd'hui, l'Europe tire son épingle du jeu, l'Asie se pose beaucoup de questions, l'Afrique émerge, le Moyen-Orient veut se positionner aussi sur la carte internationale... Cela crée des modèles de développement très diversifiés et avec davantage de transversalité.

L'e-sport est également une filière mise en avant lors de cette édition. Cela est-il pour cause d'année olympique ou plus largement parce que le sujet est primordial ?

L'e-sport est un secteur toujours émergent. Et c'est un sujet qui crée énormément de passerelles avec d'autres secteurs de la tech et de l'économie. Avec les télécommunications par exemple, avec le monde de l'automobile ou encore du luxe, des milieux où l'e-sport est très en avance sur l'usage du Web3 ou de la réalité virtuelle. Et ce sont des secteurs où naissent les meilleurs usages, lesquels se diffusent ensuite dans d'autres secteurs. Et puis, à l'heure des JO 2024, nous ne pouvions évidemment pas faire l'impasse sur le sport.

Vous consacrez une dernière journée au grand public. Pourquoi cette approche BtoC ? Est-ce une façon d'introduire de la pédagogie à l'heure où ChatGPT a, d'une certaine façon, démocratisé l'IA ?

C'est une volonté d'inclusion. La tech concerne tout le monde. Un peu comme le disait Georges Clémenceau à propos de la guerre, une chose trop sérieuse pour la confier aux militaires, peut-être que la tech est un sujet trop sérieux pour ne le confier qu'à des professionnels de ce secteur. Montrer quelles sont les innovations qui vont bouleverser le monde du travail, de la santé, de la mobilité... bref notre quotidien, c'est important pour que le citoyen puisse juger sur pièces, au-delà des fantasmes qui peuvent exister. Et puis la tech, c'est aussi un secteur économique qui propose des emplois, dans lesquels les jeunes ou les moins jeunes peuvent se projeter, alors qu'ils pensaient que cela n'était pas pour eux. A une époque, la tech vivait dans une bulle à part d'autres secteurs économiques. Or, cette séparation n'existe plus. Quand on est un grand groupe, une institution, on ne se bat pas contre les autres acteurs de son secteur mais contre les géants de la tech - Google, Amazon, Facebook... Cela permet donc aussi aux entreprises de se positionner sur le sujet - critique - des talents.

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Commentaire 1
à écrit le 21/05/2024 à 18:05
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L'intelligence artificielle veut poursuivre dans l'ère de la consommation alors que celle-ci est à bout de souffle !

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