Les choses se sont faites presque par hasard. En 2021, au cours d'une formation, Amandine Allard, la directrice client de Transdev Normandie, entend parler d'un projet de capteurs pour mesurer la biodiversité. Mais ils sont fixes et leur portée est donc limitée. Et s'ils étaient installés sur des bus ? Un peu partout en ville, ils rayonneraient pour identifier notamment les ultrasons émis par les chauves-souris et mesurer ainsi leur nombre. Car les chauves-souris sont considérées par les scientifiques comme d'excellents indicateurs de la biodiversité. En effet, en fonction de l'espèce, elles ont des régimes alimentaires différents, à base d'insectes, et leur présence reflète la qualité de la ressource alimentaire présente dans l'environnement. En outre, elles sont sensibles à la lumière, à la chaleur et à la qualité des eaux. Autant d'éléments qui déterminent aussi l'état de la biodiversité.

« Une nuit d'août 2021, en bricolant un peu, deux capteurs ont été installés sur deux bus du réseau urbain de Rouen. Et cela a marché ! », raconte Hubert Hays-Narbonne, directeur des Partenariats et des Financements verts de Transdev. Depuis janvier 2023, sept bus de la métropole de Rouen sont équipés d'un capteur.

Entre temps, évidemment, le projet, baptisé Leko Mobile, s'est structuré. Transdev s'est associé à la Métropole Rouen Normandie et à Birdz, une entreprise pionnière de l'Internet des objets qui conçoit et opère de nouveaux services pour accompagner villes, territoires, industriels et acteurs du secteur tertiaire dans l'optimisation de leur performance environnementale. Le Muséum national d'Histoire naturelle a également été invité à rejoindre le projet en tant qu'expert scientifique. Enfin, Leko Mobile est soutenu financièrement par la Banque des Territoires.

Une expérimentation unique en Europe

« Les élus de la Métropole Rouen Normandie, très engagés dans l'innovation et très sensibles à la biodiversité, étaient prêts pour une telle expérimentation, unique en Europe », relève Hubert Hays-Narbonne. Quant à Transdev, sa vision est : « Nous devons davantage au public que le simple transport », enchaîne-t-il. Dans ces conditions, l'idée d'utiliser ce vecteur pour informer d'autres politiques publiques - aménagement urbain et éclairage public, par exemple - et d'en mesurer l'efficacité à l'aune de la préservation de la biodiversité ne pouvait que séduire l'opérateur. « L'objectif est vraiment de vérifier l'impact d'aménagements programmés ou de nouvelles modalités de gestion des espaces verts, de changement des systèmes d'éclairages pour éviter la pollution lumineuse, ou d'évolution du réseau de transport public », résume le directeur des Partenariats et des Financements verts de Transdev. Sans oublier de développer des actions pédagogiques pour sensibiliser les passagers du transport public, les écoles et le personnel de l'agglomération à la préservation de la biodiversité. A cet égard, « les bus sont un excellent support de communication », se félicite Hubert Hays-Narbonne. D'ailleurs, aujourd'hui, « les chauffeurs sont fiers de conduire les bus équipés de capteurs et les scolaires les réclament aussi, comme s'ils poursuivaient Batman ! », ajoute-t-il.

Des données en abondance

L'expérimentation rouennaise porte ses fruits en matière de volume de données collectées. Par rapport à un comptage manuel, leur nombre est multiplié par 50 sur les chauves-souris et par cinq pour l'inventaire des animaux (oiseaux, sauterelles...) en un an. A partir de ces données, les experts du Muséum national d'Histoire naturelle construisent des indicateurs clés : qualité de l'eau, pollution lumineuse, couverture arborée... Ce qui leur permettra de donner ensuite une note concernant la santé de l'écosystème et d'observer son évolution. D'autant qu'à l'avenir, Leko Mobile s'enrichira d'autres espèces détectées - oiseaux urbains, papillons ou vers luisants, afin d'avoir une image plus complète.

Les équipes de l'AIT ont aussi contribué au succès

Original, englobant, enthousiasmant, le projet a été sélectionné par l'Agence de l'innovation pour les transports (AIT) pour Propulse, le programme qui vise par un accompagnement sur neuf mois à l'accélération de l'innovation dans les mobilités. « Les équipes de l'AIT ont largement contribué à l'implantation et au succès de Leko Mobile », souligne d'ailleurs Hubert Hays-Narbonne. Très impliquées, elles ouvrent d'abord leur carnet d'adresses. « Elles ont ainsi organisé pour les écologues qui portaient le projet un rendez-vous clé avec l'Office français de la biodiversité, ce qu'ils n'avaient jamais obtenu auparavant », détaille-t-il. Ce type de contact officiel, auprès de personnes référentes dans leur domaine, est en effet essentiel au développement d'une innovation. Même chose pour les aspects réglementaires. Si Leko Mobile ne rencontre a priori pas de problème majeur de nature réglementaire, une fois la garantie donnée à la CNIL que les capteurs installés à bord des bus n'enregistrent pas les conversations, dans certains cas, « l'appui du ministère des Transports est crucial pour faire évoluer la réglementation », ajoute-t-il.

Enfin, au-delà des mises en relation qui font gagner du temps et renforcent un projet, être lauréat du programme Propulse revêt un atout supplémentaire, « c'est la reconnaissance, par l'État, de l'innovation - qui sert de 'passeport' pour le succès », conclut Hubert Hays-Narbonne. Pas étonnant, d'ailleurs, que les candidatures au programme, dont c'est la troisième édition cette année, soient de plus en plus nombreuses...