Les géants de la tech ont une nouvelle méthode pour vampiriser les pépites de l'IA

Pratiquement interdits d'acquisitions de startups par les régulateurs, les géants de la tech innovent dans l'intelligence artificielle. Coup sur coup, Microsoft, Amazon et Google ont absorbé chacun leur tour une pépite du secteur, en débauchant dirigeants et ingénieurs. Une façon d'absorber la valeur des jeunes pousses, sans passer par une opération d'achat, et de donner un nouveau casse-tête aux autorités anti-concurrentielles
François Manens
Google vampirise les talents de la startup Character.AI... sans l'acheter.
Google vampirise les talents de la startup Character.AI... sans l'acheter. (Crédits : Annegret Hilse)

Pour la troisième fois en cinq mois, un géant de la tech avale une startup star de l'intelligence artificielle, sans passer par une procédure d'acquisition. Microsoft avait ouvert la voie en mars avec le débauchage des équipes de Inflection AI, un des plus grands concurrents d'OpenAI. Amazon a copié le mode d'emploi avec Adept AI fin juin et c'est désormais au tour de Google de vider Character.AI de sa substance en recrutant ses deux cofondateurs et plus de 30 ingénieurs.

Le point commun entre ces trois situations ? D'un côté, on retrouve une pépite de l'IA, valorisée au-delà du milliard de dollars, qui voit ses perspectives de marché déjà incertaines se boucher, malgré des centaines de millions de dollars levés auprès d'investisseurs privés. De l'autre côté, se positionne un des trois géants du cloud mondial, aux capacités d'investissements pratiquement illimitées, qui cherche à renforcer ses équipes scientifiques avec des talents de rang mondial.

Pour faire passer le débauchage, le géant de la tech signe un partenariat technologique avec la startup qu'il vampirise, afin que les investisseurs s'y retrouvent financièrement et ne se lancent pas dans des poursuites judiciaires. Résultat ? Alors que l'étau des régulateurs se resserre sur les acquisitions des big tech, ces derniers semblent avoir trouvé une combine pour passer outre les mailles du filet. Pour l'instant, du moins.

Retour à la maison pour les dirigeants de Character.AI

Character.AI fait partie des quelques startups à s'être démarquée dans le paysage dense de l'IA générative. Créé en 2022 par deux pointures de l'IA, Noam Shazeer (co-auteurs de Attention Is All You Need, considéré comme un des articles fondateurs de l'IA générative) et Daniel de Freitas, elle développe des IA conversationnelles personnalisées, à destination du grand public.

Le concept a rapidement convaincu plusieurs millions d'utilisateurs, dont certains très impliqués dans leurs relations virtuelles, et s'est révélé être un des premiers cas d'usage à succès de l'IA générative. Le pedigree des cofondateurs a permis à l'entreprise de rapidement lever 150 millions de dollars auprès d'investisseurs de prestige, comme le fonds Andreesen Horowitz (un des plus actifs sur l'IA) et le business angel Nat Friedman, à un milliard de dollars de valorisation.

Mais l'aventure entrepreneuriale s'arrête le 2 août, avec le débauchage des deux cofondateurs par Google. Ironiquement, les deux hommes sont des anciens de la maison, qui avaient rompu les ponts en 2021 sur fond de tensions internes. Ils avaient alors lourdement critiqué la lenteur de l'organisation. Les voilà de retour par la grande porte au sein de Google DeepMind, la gigantesque division de recherche remaniée en 2023, accompagnés par 30 de leurs 140 employés. En échange, Google a signé un accord d'exploitation non exclusif de la plateforme Character.AI, plus pour soigner ses relations avec les investisseurs que par réel intérêt pour la technologie. D'ailleurs, d'après The Verge, le géant de la tech aurait rémunéré les investisseurs selon leur participation dans la startup (sans que les parts soient cédées) sur une base généreuse de 2,5 milliards de dollars de valorisation.

Un nouvel exit avantageux pour les startups de l'IA

D'après la presse américaine, dont The Verge et The Information, Character.AI allait au-devant de trois grands obstacles. En premier lieu, la multiplication des modèles d'IA, dont certains accessibles gratuitement en open source, rendait leur avantage technologique moindre.

Ensuite, une flopée de concurrents a débarqué sur son segment de marché, dont l'ogre Meta, qui développe des IA conversationnelles similaires à celles de Character.AI pour Instagram. Enfin, Noam Shazeer souhaitait travailler sur le développement d'une superintelligence, la fameuse « intelligence artificielle générale » après laquelle courent OpenAI et les autres leaders du secteur.

Face à des concurrents financés en milliards de dollars, la startup ne faisait plus le poids dans la course au meilleur modèle d'IA, faute de moyens humains et matériels suffisants. Deux options s'offraient alors aux dirigeants : se concentrer sur leur produit et mette de côté la recherche fondamentale ; ou alors, se faire racheter par un géant de la tech pour accéder aux ressources nécessaires. L'accord avec Google combine les deux options : Noam Shazeer va pouvoir travailler sur la recherche de modèles d'IA toujours plus puissants au sein de la maison-mère, tandis qu'une partie de ses équipes va rester dans la startup pour développer le produit Character.AI.

Cette situation fait écho au cas d'Inflection AI. En mars, Microsoft a débauché le fondateur emblématique de la startup Mustafa Suleyman et la quasi-totalité de ses ingénieurs pour créer sa propre division de recherche en IA. En échange, elle a signé un partenariat juteux pour exploiter (encore une fois sans exclusivité) la technologie de la jeune pousse.

Fin juin, sur le même modèle, Amazon avait recruté 66% des effectifs d'Adept, encore un concurrent d'OpenAI, financé à plus de 400 millions de dollars. La startup venait à bout de ses fonds, et cherchait un acquéreur, ne pouvant suivre la cadence des leaders de la course financés en milliards de dollars. De son côté, Amazon avait un grand besoin d'étoffer grandement son équipe interne dédiée aux développements de grands modèles d'IA.

Les big tech finissent toujours par avaler les petits

Avec ces acquisitions à peine déguisées, les géants de la tech espèrent passer outre les longues procédures anti-concurrentielles, onéreuses, qui se soldent de plus en plus pour eux par des blocages. Mais nul doute que la Federal Trade Commission (FTC) américaine, le régulateur européen, et bien d'autres autorités nationales vont se pencher sur ces nouvelles manœuvres.

Et pour cause, le fond du sujet reste le même : les big tech font tout pour défendre leur position dominante dans le cloud et s'assurer de sortir vainqueurs de la ruée vers l'intelligence artificielle générative. Elles ne peuvent plus le faire aussi brutalement que lors des précédentes vagues technologiques, alors elles s'adaptent.

Mais cette consolidation de fait du secteur soulève d'autres questions : reste-t-il encore une place pour les startups de l'IA qui ne sont pas étroitement liées aux géants de la tech. Si OpenAI (financé par Microsoft) et Anthropic (financé par Amazon et Google) pourraient garder leur indépendance opérationnelle, quel avenir pour des startups moins financées comme l'Américain Cohere ou le Français Mistral, qui fait plus que jamais figure de Petit Poucet du secteur ?

François Manens

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Commentaires 4
à écrit le 05/08/2024 à 20:38
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"Coup sur coup, Microsoft, Amazon et Google ont absorbé chacun leur tour une pépite du secteur, en débauchant dirigeants et ingénieurs." Sauf que les GAFAM n'ont pas le droit de violer la propriété intellectuelle des startups chez lesquels ils d...

à écrit le 05/08/2024 à 20:21
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Les grosses compagnies de la tech bref les GAFAM auront toujours un coup d'avance sur les régulateurs 👍

à écrit le 05/08/2024 à 20:21
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Les grosses compagnies de la tech bref les GAFAM auront toujours un coup d'avance sur les régulateurs 👍

à écrit le 05/08/2024 à 20:21
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Les grosses compagnies de la tech bref les GAFAM auront toujours un coup d'avance sur les régulateurs 👍

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