Au même âge, Eddy Merckx et Bernard Hinault comptaient deux Tours de France, Jacques Anquetil un, Miguel Indurain aucun. La comparaison entre les époques et les champions ne veut pas tout dire mais, à 25 ans, Tadej Pogacar est en avance sur les quatre légendes les plus titrées de la plus grande course au monde (5 Tours chacun). Cela dit forcément quelque chose. À l'issue de la dernière étape (lire ci-dessous), il devrait mettre fin à deux années de souffrance. Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike) reviendra sûrement pour lui contester sa domination, mais, dans quelques heures, seul le Slovène détiendra trois sacres sur les routes hexagonales.

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Pogacar ressemble à la cime de la Bonette, point culminant de cette édition et de l'étape de vendredi qu'il a remportée : il n'y a pas plus haut perché. Durant ce Tour, le sprinteur britannique Mark Cavendish s'est emparé seul du record de victoires d'étape (35). Avec ses cinq succès, le dernier glané hier au nez et à la barbe de son rival danois au col de la Couillole, le leader d'UAE Team Emirates en totalise déjà seize. S'y ajoutent six autres lors de son premier Giro triomphal, où il a endossé le maillot rose dès le deuxième jour. Quelques heures après l'arrivée, l'infatigable était déjà en reconnaissance du chrono final du Tour... Mission accomplie.

Il va devenir le premier coureur à remporter les deux grands Tours la même année depuis Marco Pantani en 1998. Une année faste pour la lutte antidopage. C'est évidemment pour la première raison que les organisateurs du Tour ont rendu hommage à l'Italien en bouclant la première étape à Rimini, là où il s'est éteint. Mais les soupçons inévitables qui accompagnent les performances les plus marquantes et qui ont resurgi ces derniers jours sont un autre clin d'œil, bien involontaire, à l'histoire récente.

2 CV et Lamborghini

Marjeta Pogacar, la mère du maillot jaune, avait très mal vécu les doutes exprimés après la victoire de 2020. « Le dopage, c'est le contraire de notre éducation, nous avait assuré la professeure de français lors d'une rencontre en Slovénie il y a deux ans. Je suis sûre que Tadej ne prendra jamais un produit interdit. Nous l'avons élevé honnêtement. » Et d'illustrer sa certitude avec une anecdote : un jour où « Pogi » avait eu besoin d'une crème antiallergique, il avait insisté pour que sa mère demande à la pharmacienne si le produit était bien autorisé.

En début de semaine, l'UAE Team Emirates a confirmé à L'Équipe que ses coureurs inhalaient du monoxyde de carbone, un gaz qui ne figure pas sur la liste des produits interdits par l'Agence mondiale antidopage. Il favoriserait le transport d'oxygène comme le travail en altitude. Rien de proscrit, mais des coureurs d'hier et d'aujourd'hui manient l'ironie quand on les interroge sur les performances inédites de ce Tour à très grande vitesse. Aucun ne peut exclure pour autant que Pogacar use simplement d'un don de la nature.

Par le passé, le dopage a transformé des 2 CV en Lamborghini. Le Slovène, lui, a toujours eu un gros moteur. Son mentor Andrej Hauptman l'aurait repéré alors qu'il avait 12 ans. « Tadej était vraiment sous-développé, se souvient son compatriote Matej Mohoric, trois victoires d'étape sur le Tour. Pourtant, on a vite compris qu'il sortirait du rang. » « Tadej n'a sauté aucune étape », synthétise Miha Koncilija, entraîneur à Rog Ljubljana, le premier club de Pogacar.

De 17 à 20 ans, le grimpeur s'est illustré dans nombre de courses qui voient passer de futures pointures, jusqu'à la plus révélatrice de toutes, le Tour de l'Avenir, en 2018. Neuf coureurs qui figurent au palmarès de l'épreuve ont ensuite remporté un grand Tour. En 2019, son nom s'invitait dans nombre de conversations dans le paddock alors qu'il ne découvrirait la Grande Boucle qu'un an plus tard. Et déchaînerait la foudre à la Planche des Belles Filles, en ravissant son maillot jaune à Primoz Roglic la veille de l'arrivée. Comme pour tous les champions qui procurent des émotions, on a envie de croire à son honnêteté. Mais on ne voudrait pas, non plus, pécher par naïveté.

Loin de ce dilemme, Tadej Pogacar continue d'avancer dans sa saison quasi parfaite : dix-neuf victoires, dont Liège-Bastogne-Liège, son sixième Monument. Dans quelques jours, il visera l'or dans l'épreuve en ligne des Jeux olympiques. Paris 2024 lui a d'ailleurs valu sa principale contrariété de l'été, avec la non-sélection de sa compagne, Urska Zigart. Gagner pour elle pourrait être une motivation supplémentaire. Comme s'il en avait besoin.