Marcel Desailly : « On a quand même la mémoire courte »

ENTRETIEN - Les débats autour de son ami Didier Deschamps interpellent le consultant beIN Sports, diffuseur de l’Euro. L’ancien défenseur présente la finale et fait le bilan du tournoi.
Marcel Desailly, champion du monde de 1998 et d'Europe en 2000
Marcel Desailly, champion du monde de 1998 et d'Europe en 2000 (Crédits : © LTD / SANJIN STRUKIC/PIXSELL/ICON SPORT)

LA TRIBUNE DIMANCHE - L'affiche de cette finale est-elle logique ?

MARCEL DESAILLY - L'Angleterre faisait partie des favoris, l'Espagne était outsider. Donc oui. On se demandait si la Roja allait pouvoir relever le défi physique. Ils n'en ont pas eu besoin puisque, à travers leur jeu de passes et possession, ils sont insaisissables. Par le passé, cette possession était peut-être trop latérale. Elle est désormais portée vers l'avant, plus haute, plus efficace. Gagner la bataille du milieu devient très compliqué. Tous défendent et donnent dans le dépassement de fonction. Ils jouent juste, contrairement à la France.

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Comme la France, en revanche, l'Angleterre est allée loin sans montrer grand-chose ?

Si, en première période de la demi-finale. Avec Bellingham à gauche, c'est plus fluide. Il se disperse moins et ça donne plus de liberté à Foden. Sans avoir vraiment bien joué ni convaincu, l'Angleterre a toujours un énorme potentiel et monte en puissance. Le début de compétition des Anglais est souvent compliqué. Les joueurs se tirent la bourre toute l'année en Premier League et ne sont pas plus contents que ça de se retrouver. Ils ont du mal à mettre la machine en route et à adhérer au discours du sélectionneur. Puis ils passent la deuxième vitesse.

Est-ce suffisant pour priver les Espagnols du sacre européen ?

L'Espagne est favorite. Elle a été régulière alors que les Anglais ont eu des hauts et des bas, des doutes et des critiques. Quand on voit comment elle a réussi à contenir les Bleus... Certes, la France n'était pas au mieux mais cette équipe n'a jamais vraiment joué depuis toutes ces années qu'on la voit développer cette culture de la gagne. Elle a surtout la capacité à identifier les faiblesses de l'adversaire pour s'immiscer dedans. D'être très forte en transition : on est prêt à subir mais, à tout moment, on peut faire la différence. Or les Espagnols ont trouvé la solution.

Vous l'avez senti venir ou vous pensiez que la culture de la gagne allait encore prévaloir ?

À chaque tournoi, on a été dans le doute. Puis un élément, individuel ou collectif, nous a permis d'aller loin - à part à l'Euro 2021. Mais parfois, l'adversaire a cette capacité à ne pas commettre d'erreur ou à user psychologiquement. Si bien que lorsque le moment arrive, on passe à côté. Ce moment, c'est celui de Mbappé. Quand il a l'opportunité de faire la différence avec son enroulé, il est cuit et rate sa frappe.

Que la France atteigne le dernier carré, c'était flatteur ?

Je ne dirai pas ça. Mais quand trois de vos leaders sont en dedans, vous vous dites que ça ne va pas passer.

Bien que Didier Deschamps ait rempli l'objectif fixé, son maintien suscite un débat. Le comprenez-vous ?

On a quand même la mémoire courte... Cette envie existe seulement car on a projeté l'idée que Zidane pouvait prendre l'équipe de France. Ça fausse un peu le jugement. C'est vrai que les Français éprouvent une forme d'usure. Mais quand on regarde, il n'avait pas trop de solutions. J'ai entendu les commentaires sur Barcola, qui aurait été exceptionnel quand il a été titulaire [contre la Pologne] et qu'il aurait fallu faire jouer. Mais on l'a jugé sur trois accélérations... S'adapter au niveau international, à son adrénaline, nécessite du temps. Il ne faut pas brûler les joueurs. Et je le répète : n'ayons pas la mémoire courte ! On a vécu des moments extraordinaires. Le président de la Fédération a confirmé Didier : voilà, il n'y a pas de débat.

L'Espagne joue juste, contrairement à la France

Mais il n'y avait pas possibilité de faire mieux, selon vous ?

La défense a rassuré. Didier a été malin en mettant Saliba à la place de Konaté, qui était l'évidence. On a trouvé un gardien de but alors qu'on avait des doutes sur la durée d'un tournoi à cause de ses blessures. On a récupéré Kanté qui a été un second souffle, même s'il en a fait un peu trop et qu'on ne sait pas s'il sera là plus tard. Ce n'est pas la fin d'un cycle. Didier a constamment injecté des nouveaux visages. On a ce qu'il faut pour continuer à évoluer à un certain niveau. Il n'y a pas d'inquiétude majeure. Toutes les planètes n'étaient pas alignées cette fois, même si la finale était un 14 juillet...

Connaissant Didier Deschamps, le pensez-vous affecté ?

Déçu. Parce qu'il savait qu'il y avait malgré tout un coup à faire. Même avec une équipe déséquilibrée et un ton en dessous. Chaque joueur doit faire son analyse personnelle. On a eu des opportunités mais on n'a pas été chirurgical. Que ce soit Thuram, Kolo Muani, Griezmann, Mbappé, Dembélé... Sur le terrain, ils ont été en échec. La responsabilité vient davantage des performances individuelles que de l'entraîneur, qui a quasiment fait ce qu'il fallait. On est au niveau international, dans l'excellence, on n'a pas le droit d'échouer autant.

Quel bilan global tirez-vous de cet Euro sans grandes émotions ?

J'aime l'idée que le niveau se soit lissé. On a adoré regarder la Slovaquie et la Géorgie. Voir la Turquie réapparaître. La Suisse capable de monter en gamme dans les grands matchs. Il n'y a plus de petites équipes. Quant au jeu, tout le monde ressort le ballon. Techniquement et tactiquement, c'est propre, moderne. Je me suis régalé dans ce sens-là même s'il n'y a pas eu beaucoup de buts et pas assez de ce que le public recherche. On s'aperçoit aussi qu'on perd le numéro 10 à la Neymar au profit des joueurs de couloir comme Williams, Saka, Yamal, Dembélé, Gakpo... Des solistes qui savent faire la différence mais centrent plus ou moins bien, avec ce côté un peu égocentrique : je drible, je rentre, je frappe. Mbappé en fait partie.

Yamal lui a-t-il mis un coup de vieux ?

Ce qui m'étonne le plus chez Yamal, c'est sa capacité à être aussi efficace aussi vite au niveau international. La nouvelle génération gère beaucoup mieux cette adrénaline que les anciennes. Même Mbappé n'a pas réussi à démarrer aussi jeune que ça. Donc, j'ai été agréablement surpris. Mais c'est une exception à la règle. Et il faut encore voir dans le temps. Là, il n'a pas de stress car il n'a pas à gérer la responsabilité de leader. Quand ça va venir, au Barça ou en sélection, il peut absorber ça négativement. Mais il a l'air d'être équilibré.

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Commentaires 3
à écrit le 15/07/2024 à 14:25
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Nous n'avons pas oublié que cet individu avait été méprisant quand on lui avait reproché ainsi qu'à ses coéquipiers d'avoir voyagé de manière luxueuse en avion lors d'un déplacement de l'équipe de France de football.

à écrit le 14/07/2024 à 15:50
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Pour un joueur qui a été formé au FC Nantes quel jeu misérable. Deschamps n'a rien inventé en plus il a tout pompé sur le catenaccio qu'il a appris à la Juventus de Turin

à écrit le 14/07/2024 à 7:08
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Les audiences baissent les gars, sauf pour la champion's league, et c'est pas en déniant cette tendance au repli sur soi des équipes de foot européennes qu'on avancera. Si la CL a autant de succès c'est parce que les matchs y sont le plus spectaculai...

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