UN ÉTÉ FRANÇAIS (3/8) - « Tadej Pogacar, le nouvel ami du petit déjeuner » (par Philippe Ridet, écrivain)

"Le journaliste et romancier nous transporte de la fièvre du Tour de France à celle des Jeux olympiques. Même son village de Tourouvre-au-Perche se prépare à l’événement planétaire."
Le maillot jaune, Tadej Pogacar, le 18 juillet après l’arrivée de Gap-Barcelonnette, 18e étape du Tour de France.
Le maillot jaune, Tadej Pogacar, le 18 juillet après l’arrivée de Gap-Barcelonnette, 18e étape du Tour de France. (Crédits : LTD / ETIENNE GARNIER/PRESSE SPORTS)

Si jeune et déjà plein de bon sens. Tadej Pogacar qui devrait, sauf événement imprévisible, monter pour la troisième fois cet après-midi à Nice sur la plus haute marche du podium du Tour de France nous épate aussi par sa sagesse rafraîchissante. Il sait rappeler quelques-unes de ces vérités que nous, les boomers, avions oubliées à force d'apéros et de barbecues. Aux journalistes s'étonnant de le voir grimper les cimes aussi vite que nous les aurions descendues si, par aventure, il nous était venu à l'esprit de le faire, il répond avec ingénuité. 1) La qualité du matériel. 2) La solidité de son équipe, qui l'accompagne d'aussi près qu'une escouade de gendarmes qui escorterait un fourgon blindé de la Brink's. Mais il y a un truc en plus. Depuis six ans (soit à son arrivée dans les rangs professionnels - tout ce qui s'est passé avant relève visiblement du néolithique), tout a changé, affirme-t-il.

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Mais laissons parler ce mix parfait entre Hulk et Peter Pan : « Il y a six ans, tout était une question de glucides : pâtes blanches, riz et peut-être une omelette. Aujourd'hui, nous avons des petits déjeuners plus normaux avec du porridge, des flocons d'avoine et toujours une omelette, du pain et des crêpes. Cela fait une petite différence... » Cinq ou six minutes au classement général. On savait les millénials attachés à la qualité et l'authenticité des produits, un œil sur la planète un autre sur leur santé, mais on ignorait que ce fût à ce point. Si j'étais un descendant de la Mère Poulard, je m'empresserais de floquer mon nom sur un cuissard. Et les œufs, ils sont bio ? Personne ne lui a posé la question.

Pogacar, ou l'ami du petit déjeuner ! Le cyclisme professionnel nous a habitués à de nombreuses innovations en matière de technique et de préparation physique. Les roues lenticulaires, les amphétamines, les freins en carbone, l'EPO, les casques profilés, le pot belge. On raconte que Jacques Anquetil (1934-1987) se faisait servir une douzaine de fines de claire avant le départ de l'étape et l'on prête - à tort - à Abdel-Kader Zaaf (1917-1986) une addiction au vin rouge pour lui fouetter les sangs. Des mixtures ignorées des barmen les mieux aguerris ont circulé de tout temps sur la Grande Boucle malgré des contrôles répétés.

Mais assez douté ! Accordons à Pogacar le bénéfice du doute, ainsi qu'à tous ses poursuivants. Mettons son goût de l'attaque à tous crins sur le compte de sa fougue juvénile et des vertus des œufs battus. Parions qu'un jour, rassasié de victoires, il consentira à laisser quelques miettes de gloire à ses adversaires comme pour mieux bétonner la sienne. C'est d'ailleurs le conseil avisé de son aîné l'Américain Lance Armstrong, septuple vainqueur de l'épreuve et radié de presque tous les palmarès après ses aveux de tricherie. « En agissant comme ça, tu ne te fais pas beaucoup d'amis », a analysé le Texan qui savait mater la concurrence. « Tout ce que Pogacar a à faire maintenant, c'est de rester sur le vélo. Il va gagner le Tour de France, c'est fini. » Mais Pogi s'en fiche comme de son premier vélo à roulettes.

Nos chagrins de sport nous tatouent comme des chagrins d'amour

Mais rêvons un peu. Et si, à l'issue du contre-la-montre entre Monaco et la Promenade des Anglais, une poignée de secondes seulement séparait les deux premiers, comme ce fut le cas entre Greg LeMond et Laurent Fignon en 1989 lors du contre-la-montre entre Versailles et les Champs-Élysées ? Cela ne lèverait pas tous nos doutes mais sauverait un peu le spectacle dont, ironie du sport, nous n'avons pas raté un seul épisode comme chaque année et comme des millions de Français dans leur salon ou au bord des routes.

D'un canapé à l'autre... À peine cinq jours nous sont accordés pour secouer les coussins, remplir le frigo, peaufiner notre bronzage, envisager une randonnée ou apprendre aux enfants à nager avant que nous replongions dans notre sofa, béats et naïfs, dans la fièvre des Jeux olympiques qu'on espère moins frelatés. Ils commencent enfin. Il était temps. Environ 300 épreuves, 5 084 médailles avec de vrais morceaux de tour Eiffel à l'intérieur à distribuer, forcément ça excite le supporter lambda que je suis. Pas une édition ratée depuis les JO de Tokyo en 1964. Ce 18 octobre, mon père m'avait fait lever tôt pour suivre, sur le transistor de la cuisine, la retransmission de la finale perdue de Michel Jazy sur le 5 000 mètres. Je me souviens encore du nom des trois premiers : Schul, Norpoth, Dellinger. Nos chagrins de sport nous tatouent comme nos chagrins d'amour.

Le champion français Michel Jazy (dossard 124), alors en tête dans la dernière ligne droite, échoue à la 4e place du 5000 mètres, le 18 octobre 1964 aux JO de Tokyo.

Le champion français Michel Jazy (dossard 124), alors en tête dans la dernière ligne droite, échoue à la 4e place du 5000 mètres, le 18 octobre 1964 aux JO de Tokyo. (Crédits : ©LTD / AP/SIPA).

À force de voir zigzaguer la flamme d'Olympie au Stade de France nous perdions patience. Même la Joconde, une Italienne, l'avait vue ! Mais à Tourouvre-au-Perche, en revanche, nib de nib. Nous n'y avons vu que du feu. Le département de l'Orne a refusé, comme de nombreux autres, de la recevoir, comme l'expliquait un article de Ouest-France en juin 2023. Phobie ? Peur des incendies ? Manque de bras pour la porter ? Rien de tout cela. Juste une question de moyens. « "Mettre 150 000 euros sur la table pour voir la flamme olympique passer furtivement ne nous apparaît pas comme une priorité. Ça coûte plus cher que de recevoir une étape du Tour de France", a argumenté Christophe de Balorre, président du conseil général. Et d'ajouter : [...] "Quelle que soit la taille - et donc les moyens - du département, la contribution est la même, ça n'est pas équitable !" Pour les Bouchesdu-Rhône, par exemple, cela représente moins de 9 centimes par habitant, mais pour la Lozère, c'est 2,35 euros. Dans l'Orne, le coût serait de 65 centimes par habitant. » Rappelons que le budget des JO avoisinera 9 milliards d'euros dont 2,5 milliards d'argent public... La fracture sociale et géographique, c'est aussi ça. Une question de centimes.

À Tourouvre-au-Perche, des vitrines ont opté pour la déco olympique avec coupe en alu et médailles en papier argenté

Faute de flambeau, les Tourouvrains gardent le feu sacré. Alors que les Parisiens quittent la capitale, mes voisins iront à Paris assister à des épreuves de lutte gréco-romaine bien qu'ils n'y connaissent rien, juste pour le plaisir de partager la fièvre olympique. Chapeau ! D'autres interrogés par l'hebdomadaire Le Perche dans son édition du 17 juillet restent méfiants. « Certains aspects de l'événement ne me plaisent pas, confie un certain P.L. Par exemple le prix des places. Ce n'est pas la fête populaire que ça devrait être. Cela se voit à des kilomètres qu'ils utilisent les Jeux pour se faire de l'argent. » Toutefois, à Tourouvre-au-Perche, plusieurs vitrines sur la rue du 13-août-1944 ont opté pour la déco olympique avec coupe en alu et médailles en papier argenté. C'est le cas de la médiathèque et de la pharmacie. Ici, on a même pensé aux Jeux paralympiques en plantant un drapeau français sur un fauteuil roulant. De son côté, l'office du tourisme et la Communauté de communes des Hauts-du-Perche organisent un concours sur Instagram : « Moi, mes Jeux, c'est dans le Perche », histoire d'inciter les Franciliens boutés hors des murs par les athlètes et les touristes à se réfugier dans ce petit coin de Normandie pendant les épreuves. Quelques questions, des réponses faciles, un tirage au sort et hop ! on peut gagner une nuit en chambre d'hôtes, un repas, ou une journée à jouer les apprentis apiculteurs...

Le député communiste André Chassaigne, candidat du NFP à la présidence de l’Assemblée nationale, jeudi lors du vote.

Le député communiste André Chassaigne, candidat du NFP à la présidence de l'Assemblée nationale, jeudi lors du vote. (Crédits : ©LTD / BERTRAND GUAY/AFP).

Bref, « l'important, c'est de participer ». C'est ce qu'auraient pu se dire les députés du Nouveau Front populaire qui ont échoué, le 18 juillet, à faire élire leur champion, le vieux briscard communiste André Chassaigne. Une poignée de voix leur a manqué face à Yaël Braun-Pivet soutenue par les macronistes dopés par l'apport de celles de La Droite républicaine. D'autres, dans les jours qui viennent, échoueront pour quelques millièmes de secondes. Mais la gauche a-t-elle des leçons à recevoir du baron Pierre de Coubertin, cet ennemi de classe ?

Un été français

La semaine prochaine, retrouvez le quatrième épisode de notre série.

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Commentaire 1
à écrit le 21/07/2024 à 9:23
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Je l'avais noté l'année dernière et c'est une excellente idée de la part des organisateurs du Tour de France à savoir faire venir une jeune femme ET un jeune homme pour porter des fleurs aux champions et les applaudir sur le podium, je trouve ce chan...

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