Nacer Zorgani, l'homme le plus occupé des Jeux

Speaker du tournoi de boxe et copilote du programme des volontaires, Nacer Zorgani se prépare aussi à participer au para judo.
Le parajudoka Nacer Zorgani (+90 kilos), en lice le 7 septembre.
Le parajudoka Nacer Zorgani (+90 kilos), en lice le 7 septembre. (Crédits : © LTD / FFjudo)

Nacer Zorgani a tant d'activités différentes qu'on s'est demandé s'il n'avait pas un homonyme. Lors de notre premier appel, il supervisait une formation sur le traitement des fortes chaleurs à destination des médecins bénévoles de Paris 2024. Au sein du Comité d'organisation (Cojop), il a d'abord travaillé aux côtés de Thierry Reboul, directeur des cérémonies, avant de copiloter le programme des volontaires, ces 45 000 travailleurs de l'ombre de 150 nationalités, auprès desquels sa maîtrise de sept langues a fait merveille. L'homme le plus occupé des Jeux n'était pas parti pour y prendre part : lorsque ses multiples talents ont été repérés, il venait de lancer une entreprise de conseil.

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Sa voix grave, les milliers de spectateurs de l'Arena Paris Nord ont pu l'entendre ces derniers jours : le Marseillais né à Alger est l'un des speakers officiels du tournoi de boxe. Un sport qu'il a pratiqué avec les champions du monde WBA Souleymane M'Baye et Mehdi Sahnoune, et qui a participé à sa « reconstruction » après qu'une hernie discale, des difficultés professionnelles, une séparation douloureuse et une dépression lui ont fait mettre un genou à terre. Mais il s'est relevé, et ce n'était pas la première fois. « À 17 ans, on m'a dit que j'allais devenir malvoyant à cause d'une rétinopathie pigmentaire, rembobine-t-il. La vie ne m'a pas fait de cadeaux, mais les arts martiaux m'ont beaucoup aidé à maîtriser mon handicap visuel. »

Premier malvoyant à détenir une licence amateur et à boxer lors de galas de valides - la compétition lui est proscrite -, il a « scotché » plus d'une fois le public. « Quand j'arrive sur le ring avec ma canne blanche, il n'y a plus un bruit », jure le guerrier de 38 ans. Il assure être « expert » dans plusieurs arts martiaux, et, pour preuve, dégaine une liste de prestigieux enseignants fréquentés à partir de 16 ans : Jean-Armand Dalomba, « le Cédric Doumbè de l'époque », au kickboxing ; Philippe Dehais pour l'aïkido et le sabre ; le champion d'Europe Luc Litschgi en karaté ; le double médaillé olympique de taekwondo Pascal Gentil... La devise des Jeux de Paris (« le sport change des vies »), il l'a transformée, avec son sens de la formule : « Le sport m'a sauvé la vie. »

Philosophie et fusions-acquisitions

Au dojo de l'Insep, il travaille aux côtés de Christophe Gagliano, entraîneur national du para judo et médaillé de bronze aux Jeux d'Atlanta en 1996. « Je peux donner l'impression de me disperser, mais ce n'est pas vrai, assure-t-il. Grâce à mon handicap - je dis bien "grâce" -, j'ai développé ma soif d'apprendre. » Une soif qu'il étanche au-delà du sport. À l'écouter dérouler son impressionnant parcours académique (diplômes en philosophie et en commerce international, masters en stratégie et en ingénierie financière), ses expériences professionnelles (fusions-acquisitions chez Vivendi, marketing international chez Canal+, renseignement, guerre économique chez Thales) et recenser ses compétences récemment acquises (création de podcasts, production de contenus vidéo), on a peine à croire qu'il a « toujours manqué de confiance en [lui] ».

S'il a annoncé les combats de boxe avec aisance, et même avec plaisir, c'est qu'il adore avoir un public. Il s'est d'ailleurs lancé dans le stand-up sous le nom de l'Handicapable et s'est produit au Paname Art Café, lieu emblématique de la comédie à Paris. Ses passages en 2016 et 2017 étaient annoncés sans modestie, mais non sans humour : « Heureusement que je ne vois pas : si je me voyais, je me la péterais... » En 2015, dans une période difficile, un ami l'a poussé à s'inscrire à Kandidator, une scène ouverte aux talents de l'humour. « Sur scène, dit-il, j'ai retrouvé le sourire. »

Inspiré par Desproges sur scène

Il a jeté sur le papier les grandes lignes d'un spectacle qu'il compte mener à terme, avec l'aide de son ami d'enfance Ali Bougheraba, metteur en scène et frère aîné de Redouane. Le réalisateur du film Les SEGPA lui a suggéré de raconter ses mille vies et sa résilience dans un livre. L'idée lui trotte dans la tête. Mais il n'a pas envie de raconter son quartier ni son père « rebeu », trop cliché, et préfère s'inspirer de Pierre Desproges. « La langue française est tellement belle », glisse ce lecteur passionné de Saint-Exupéry et de littérature classique.

Ces jours-ci, c'est au livre de sa vie qu'il ajoute de beaux chapitres. À partir de mardi à Roland-Garros, pour la phase finale de la boxe, il bénéficiera de l'accès à une salle de sport pour s'entraîner entre deux sessions au micro. Dès la fin du tournoi, samedi, il repassera en mode compétiteur, pour une médaille en plus de 90 kilos, le 7 septembre. Il part de loin : il ne s'entraîne sérieusement que depuis deux ans et demi, et son corps a lâché plusieurs fois (genou esquinté, clavicule émiettée). Mais le comité de sélection a cru en lui. Impossible n'est pas Nacer. En repérage à l'Arena Champ-de-Mars vendredi, il s'est présenté à Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat lui a glissé qu'il assisterait aux finales. Alors, Nacer Zorgani lui a répondu : « Rendez-vous en finale. »

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Commentaires 2
à écrit le 04/08/2024 à 10:12
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

à écrit le 04/08/2024 à 9:32
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Le commentateur ancien champion est très intéressant car proposant des commentaires bien plus riches et pertinents que ceux des journalistes habituels mais un pas dans la compromission financière et médiatique quand même, entre le héros et le zéro. E...

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