Les JO, « une parenthèse durant laquelle on se rassemble » (Jean Viard, sociologue)

ENTRETIEN - Le sociologue Jean Viard analyse les raisons de la ferveur qui s'est emparée de la France depuis le début des Jeux olympiques.
Jean Viard, sociologue
Jean Viard, sociologue (Crédits : SIMON LAMBERT/DIVERGENCE)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Paris 2024 suscite un extraordinaire engouement : les drapeaux tricolores remplissent les stades et les fan zones, le Club France affiche complet... Comment l'expliquez-vous ?

JEAN VIARD - J'ai toujours pensé qu'il en serait ainsi, je l'ai dit de nombreuses fois, contre l'esprit décliniste qui envahit trop souvent les médias parisiens et les élites politiques. Les Jeux olympiques sont, par définition, un moment historique pour le pays où ils se déroulent. On s'en souviendra toute notre vie. Les Français se sont organisés en circonstance : s'ils ne sont pas au restaurant le soir ni encore partis en vacances, c'est parce qu'ils regardent les épreuves à la télévision. Ils en ont fait la priorité à un moment unique de l'année : la compétition se tient au milieu de la période de congés, quand tout le pays s'arrête en même temps ou presque. Cette année, les vacances, c'est d'abord les JO en France !

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Les supporters français sont souvent déchaînés, y compris pour soutenir des athlètes en bleu peu connus. Que nous arrive-t-il ?

Il y a d'abord le plaisir de la gagne. Suivre un match sans soutenir personne, ça ne fait ni chaud ni froid. Donc on soutient les Bleus. Ils nous font exulter s'ils l'emportent et on pleure avec eux s'ils perdent : l'émotion est garantie quel que soit le résultat. Cela montre la capacité d'un groupe à constituer une communauté nationale. Le sentiment patriotique en sort renforcé - avec des athlètes de toutes les couleurs de peau. Il constitue une force constructive qui se transmet du public aux sportifs par les encouragements, les chants, les applaudissements. Il faut distinguer ce sentiment du nationalisme qui, lui, est une force destructive, mais qui n'est jamais très loin, malheureusement.

On voit beaucoup de jeunes supporters dans le public, pourquoi ?

Les jeunes peuvent s'identifier plus facilement aux sportifs que les autres générations : ce sont des gens du même âge qui sont engagés dans les épreuves. Ils ont sacrifié leur adolescence pour un rêve. Leur dévouement est magnifique, ils vivent le moment le plus intense de leur vie. On peut noter que le pays forme à la fois des champions et des Français : ces athlètes revêtent les mêmes costumes, on leur transmet l'histoire sportive du pays, celle de Pierre de Coubertin, ils chantent La Marseillaise et nous la chantons avec eux.

La France vient de traverser une période de très forte tension politique. Les Jeux sont-ils un exutoire ?

Qu'est-il sorti de la dissolution ? La France est politiquement divisée, car nous traversons une période historique de rupture radicale, avec des sujets tels que le climat, l'immigration, le populisme, l'IA... La crise politique a tendu le pays comme un élastique. Les JO, c'est une parenthèse durant laquelle on se rassemble. Il faut pouvoir en sortir avec élégance. Cela repose sur le chef de l'État. Il doit trouver un Premier ministre, plutôt une femme de centre gauche ou un gaulliste social, capable de dépasser les passions. Que des personnalités telles que Carole Delga et Xavier Bertrand travaillent ensemble, cela serait positif.

Cela montre la capacité d'un groupe à constituer une communauté nationale

On peut s'être déchirés politiquement il y a trois semaines et se taper sur l'épaule aujourd'hui ?

Oui, et c'est la démonstration de la force de notre communauté nationale. Les Jeux olympiques offrent une image plus conforme à la réalité que certains discours. Deux enfants sur dix qui naissent en France n'ont pas la peau blanche. Ils seront à leur tour fiers d'être français. Et pourtant, ils seront probablement moins bien formés et moins considérés que les autres. Les difficultés ne disparaissant pas, il faudrait pouvoir transformer cela en force. Mais d'abord y avoir pensé.

Peut-on établir une comparaison avec d'autres moments de communion nationale, comme la Coupe du monde 1998 ou les funérailles de Johnny Hallyday ?

Oui, à condition que l'élan soit entretenu. Après la victoire de 1998, on a célébré la France multiculturelle, il le fallait. Mais les effets furent de courte durée. Il n'y a pas eu d'accompagnement, car le sport n'est pas central dans la constitution du pays. Nous avons peu de réflexions de fond sur le sujet. Certes, il est fréquent de valoriser, pour les garçons, les vertus du sport dans les cités. Mais on ne s'intéresse pas assez au lien social qu'il crée, on parle surtout d'exploits individuels et de paix sociale.

La cérémonie d'ouverture a hérissé l'extrême droite. C'était prévisible ?

Le bashing était déjà à l'œuvre bien auparavant. Une partie des élites et des médias avait décidé que les Jeux olympiques, ce n'était pas bien. Par déni ou idéologie, ils n'ont pas voulu croire à ce que nous voyons. Cette cérémonie était géniale. Certes, il a manqué les sous-titres, les noms des artistes à l'écran, des explications... Je regrette surtout qu'il n'y ait pas eu de tableau valorisant le monde du travail manuel, les ouvriers, les paysans. Ce monde-là reste un peu loin des priorités du monde de la culture. Mais gardons en mémoire le génie français de cette inauguration et des compétitions dans des lieux historiques sublimes.

Les JO donnent-ils de nous l'image dont nous rêvons ?

L'image de la France est donnée au monde entier, ce n'est pas seulement un miroir. Le spectacle est à la gloire de notre architecture, de l'art de vivre, de compétences très haut de gamme, de l'ouverture aussi à des artistes du monde entier. C'est la marque France qui est portée aux sommets. Cela aura un impact sur les ventes de voitures, d'objets culturels, de produits de luxe, le tourisme... L'après-vente compte beaucoup : il s'agit de faire perdurer le désir. Garder les anneaux sur la tour Eiffel et la vasque aux Tuileries est une idée magnifique. On pourrait aussi donner aux rues ou aux places des noms d'athlètes qui auront marqué cette édition. L'après-Jeux olympiques porte des enjeux considérables.

* Dernier ouvrage paru : Pour une société du compromis, avec Laurent Berger, L'Aube.

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Commentaires 12
à écrit le 07/08/2024 à 10:42
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Dommage que vous donnez pas le CV de Mr Viard, soutien de Macron, ex soutien de Mme Royal et des cercles socialistes, comme disent les marxistes d’où tu parles ? Et après il a le droit de donner son opinion.

à écrit le 07/08/2024 à 8:56
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Il suffit de retrouver les ferveurs des jeux antérieurs pour supposer que cela sera pareil ! ;-) Mais cela n'est que leurre pour cacher la déception générale !

à écrit le 06/08/2024 à 14:08
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Qui se rassemble.... publique très francais... Étonnant que ce sociologue multiculturaliste ne le remarque pas .. Il devrait être indigne partous ces drapeaux tous ces hymnes symboles d’un nationalisme et d’un patriotisme Je n’ai pas vu de grande ...

à écrit le 05/08/2024 à 17:01
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Le sport ?...Où le sport aux JO? Toutes les épreuves c'est compétition, médailles en chocolat et breloques. Publicité et bêtise médiatique. Autant de pognon foutu en l'air quand les 2/3 de la planète est dans une compétition pour trouver de quoi ma...

à écrit le 05/08/2024 à 11:46
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Ce qui est effrayant , c'est qu'a la fin des JO , les médiocres politiciens vont ressortir du bois et polluer à nouveau l'espace médiatique. Heureusement que le pays est solide pour supporter tant d'incompétents , mais ça commence à craquer , trop de...

à écrit le 05/08/2024 à 8:12
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La rave party des JO a effectivement rassemblé partie des français. Cette rave party va encore se prolonger une semaine, mais nombreux sont ceux qui ont quité les lieux. Reste l’addition, que les médias et les politiques déniant l’arithmétique vont p...

à écrit le 04/08/2024 à 11:03
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Il est à craindre que cette communauté nationale ne dure pas trop longtemps car les coups des Torquemada du dénigrement national vont pleuvoir…. Ils ne supportent pas une réussite française…. Le grand inquisiteur est Baverez dont on se demande pour q...

à écrit le 04/08/2024 à 10:09
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

à écrit le 04/08/2024 à 9:20
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La gauche n a qu a se rassembler toute seule!!!! Et cest pas parce quon fait tourner en boucle a la tele des epreuves sportives et des mineq rejouies que c est l opinion de l homme de la rue... le microcosme parisien tokerant et son biais cognitif d...

à écrit le 04/08/2024 à 9:13
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Les JO, c'est l'apologie de la compétition, donc de la guerre. C'est aussi la glorification d'individus et de nations considérés comme supérieures aux autres : C'est donc discriminatoire. Ce sont des valeurs rétrogrades qui datent de la Grèce antique...

le 07/08/2024 à 10:49
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On peut affirmer le contraire aussi, formidable vivre ensemble, solidarité devant l’ effort, moments de paix ou des athlètes de nations en conflit se rencontrent, et communion des cultures devant un moment ou la politique et les enjeux économiques so...

à écrit le 04/08/2024 à 7:46
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Comment ne pas les aimer ? Ils sont travailleurs, adorables, honnêtes et performants à savoir tout l'inverse du cercle politico-médiatique qui les colle aux basques afin d'essayer de récupérer un tout petit peu de leur notoriété car politiciens et mé...

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