Voyage en céramique à Vallauris

Forte d’une tradition potière de plus de deux mille ans, la ville abrite encore une cinquantaine d’ateliers de céramistes. Elle célèbre la création contemporaine lors de la 26e Biennale.
Le musée de la céramique à Vallauris.
Le musée de la céramique à Vallauris. (Crédits : © LTD / Shawn Lin)

Son œuvre porte le nom d'un champignon, Inonotus. Le lauréat du grand prix de la 26e Biennale internationale de Vallauris, Laurent Nicolas, utilise des cordes pour ficeler des pièces de terre crue. Après cuisson et disparition des liens, il en fabrique d'autres qu'il noue à nouveau autour de ses pièces. Près de lui, Olivia Barisano propose des objets domestiques réalisés à partir de « bibelots » qu'elle récupère dans les marchés aux puces et broie pour créer une nouvelle matière première. Les 25 artistes sélectionnés sur près de 197 dossiers de candidature, issus de 14 pays, offrent à voir comment la céramique peut incarner « les métamorphoses de notre époque » et « les palpitations sensibles de nos vies », explique Céline Graziani, commissaire de la Biennale et directrice du musée Magnelli - musée de la céramique, qui organise et accueille l'événement. « Ils s'imprègnent des techniques anciennes liées à ce matériau, la terre, l'un des plus vieux du monde, pour s'exprimer dans un langage contemporain », résume-t-elle.

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Ces œuvres avoisinent celles du musée de la céramique, qui permettent de remonter le temps pour comprendre le lien de la ville à cet art longtemps classé comme mineur. Des fouilles archéologiques ont révélé qu'on fabriquait déjà ici des briques et des pots il y a plus de deux mille ans. Mais l'histoire débute vraiment à la fin du XVIe siècle, lorsque le village ravagé par la peste est repeuplé par 70 familles italiennes issues en grande partie d'une cité de potiers. C'est l'époque des céramiques culinaires, « pignates », poêlons, daubières en terre rouge, brutes à l'extérieur et émaillées à l'intérieur pour que les aliments n'attachent pas. Le chemin de fer permet l'expansion de la production. L'arrivée de nouveaux matériaux - aluminium, fonte, inox - amorce le tournant de la céramique artistique. La famille Massier, au début du XXe, introduit des émaux de couleur. En 1946, Pablo Picasso visite pour la première fois Vallauris.

Suzanne Ramié, propriétaire avec son époux d'une fabrique de céramique, l'atelier Madoura, lui offre une boule de terre avec laquelle il façonne trois petits sujets. Un an plus tard, il est emballé par ces figurines que Suzanne Ramié, bien avisée, a conservées et cuites. L'amitié se double d'une collaboration artistique. Picasso achète en 1948 une maison à Vallauris avec son épouse Françoise Gilot et leur fils Claude, et se passionne pour l'argile. Il réalisera près de 4 000 œuvres originales, même s'il n'apprendra jamais à tourner. Le musée de Vallauris présente de nombreuses pièces, dont une quinzaine dédicacées à Suzanne Ramié, ainsi qu'un film d'archives dévoilant son travail et sa vie quotidienne. À la même époque, d'autres artistes s'installent, dont Roger Capron, Robert Picault ou Gilbert Portanier, décédé en 2023. Son épouse, Annette, le décrit comme un peintre avant tout, « tombé amoureux de la terre, devenue un support pour sa peinture ».

Ils s'imprègnent des techniques anciennes liées à ce matériau, la terre, l'un des plus vieux du monde, pour s'exprimer dans un langage contemporain

Céline Graziani, commissaire de la Biennale

Dans le superbe atelier-galerie où est exposée une partie de sa vaste collection, elle s'apprête à inaugurer une nouvelle salle consacrée à ses œuvres les plus anciennes. Avec ces artistes, Picasso fonde A.V.E.C, l'Association vallaurienne d'expansion de la céramique, qui existe toujours. Elle compte une cinquantaine de membres qui présentent leurs œuvres tout l'été à la Biennale des céramistes d'art de Vallauris, le « off » de la Biennale. Cette dernière est organisée dans l'ancien salon d'Eugenio Arias, coiffeur attitré de Picasso. Kyriaki Moustaki, 79 ans, y expose une pièce. Elle insiste sur la manière dont elle a été accueillie à Vallauris : « Capron, Derval, Portanier étaient bienveillants et généreux, ils transmettaient les techniques. » Si les potiers étaient surtout des hommes, les céramistes d'aujourd'hui sont en majorité des femmes. Certaines s'inscrivent dans une tradition familiale, comme Christine Compas qui tient la boutique Lou Pignatier avec son mari Gilles.

Elle se souvient des étés de son enfance à travailler avec parents et grands-parents. Elle aussi ouvre son atelier et transmet son savoir-faire. « Sinon ça va disparaître », insiste-t-elle. D'autres se sont lancées sans héritage familial, comme Maureen Stengel-Guillot, 30 ans, dont les tasses sont reconnaissables à leur teinte mate rehaussée d'un large trait tracé à la main dans une couleur vibrante. Ou Aurore Vienne, potière autodidacte, qui travaille le grès et développe des émaux à base de cendre de bois se traduisant dans des vases aux camaïeux beiges, ocre ou bruns. Et pour les nostalgiques des céramiques kitsch des années 1950 à 1970, deux collectionneurs présentent dans l'ancienne boutique de l'atelier Madoura des coquillages colorés parfois dorés à l'or fin, des « Bambi » et des caniches qui, longtemps, furent rapportés en souvenirs de vacances de Vallauris.

S'initier au tournage

Salvatore Oliveri, potier puis céramiste pendant cinquante ans, transmet sa passion aux adultes et enfants à partir de 8 ans. Il enseigne comment tourner, émailler, enfourner les pièces d'argile qui sont cuites deux fois à plus de 1 000 degrés. Dans son vaste atelier où ont travaillé jusqu'à une dizaine de salariés, il initie aussi les amateurs, débutants ou non, à d'autres techniques. Il dispose notamment d'un tour à corde, en métal et bois, qu'il a fabriqué - cet engin n'existe pas sur le marché - et qui permet de réaliser des pièces imposantes pouvant peser jusqu'à 120 kilos. 2 heures, 40 euros.
Atelier ElémenTerre, 42, boulevard du Docteur-Jacques-Ugo, Vallauris.
Tèl.: 06 52 68 61 66. elementerre.lu

Carnet d'adresses

Bière artisanale à Kokopele

Ils vous font goûter avant de commander. Christèle Kasprzyk et Emmanuel, son mari, qui s'est formé aux États-Unis, imaginent de nouvelles bières toutes les cinq semaines. Mention spéciale pour la Boreal Blend, acidulée, réalisée avec des purées de fruits rouges.
5, avenue de la Gare, Golfe-Juan (Alpes-Maritimes).
Tél. : 04 93 95 99 41. kokopele-brewing.com

Domaine des Encourdoules

Au cœur d'un parc de 9 000 mètres carrés de pins méditerranéens centenaires et de terrasses appelées « restanques », avec vue sur le cap d'Antibes, Agathe Freymann et Martin Lartigue ont réaménagé une ancienne bergerie du XVIIIe siècle et proposent cinq chambres décorées de meubles de famille et de céramiques chinées à Vallauris.
227, chemin des Encourdoules, Vallauris (Alpes-Maritimes).
Tél. : 06 85 38 69 34. lesencourdoules.com

Le Bistrot du Port

Le chef Mathieu Allinei se passionne pour les produits de la mer, qu'il décline du pain au dessert mêlant tomate de terre et « tomate de mer », le surnom donné à une anémone de mer de couleur rouge. Un voyage iodé à déguster dans des assiettes made in Vallauris. Menu déjeuner en semaine à 38 euros.
53, avenue des Frères-Roustan, Golfe-Juan.
Tél. : 04 93 63 70 64. bistrotduport.com

Au royaume du néroli

C'est à partir de l'oranger bigaradier ou oranger amer que la soixantaine de producteurs de la coopérative Nérolium, fondée en 1904, fabriquent le néroli (huile essentielle de fleur d'oranger), l'eau de fleur d'oranger et l'orange bigarade qu'ils déclinent en savons, bougies et confitures artisanales.
Nérolium, 16 bis, avenue Georges-Clemenceau, Vallauris.
Tél. : 04 93 64 27 54. nerolium.fr

Mugs illustrés

Il rêvait de devenir dessinateur de bandes dessinées. « Pour moi, la céramique, au début, c'était un truc de vieux », raconte Alexis Carpentier, 29 ans. Il décore à la main les pièces coulées dans ses moules de plâtre. Ses personnages aux allures de comics se retrouvent sur des mugs, des briques façon « Tetra Pak » ou des aérosols en céramique.
21, avenue Georges-Clemenceau, Vallauris.
Tél. : 06 03 68 96 45.

Arts de la table

Du simple coquetier à l'impressionnant fruitier avec large vasque surplombée d'un cône et d'un anneau, Gilles et Christine Compas reprennent et modernisent les modèles traditionnels.
Lou Pignatier, 43, avenue Georges-Clemenceau, Vallauris.
Tél. : 04 93 64 65 38. loupignatier.com

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