Art : Bernar Venet, visionnaire d’acier

Célébré à l’étranger, l’artiste, obsédé par la trace qu’il laissera dans une France qui l’a longtemps boudé, a créé il y a dix ans sa fondation dans le Var.
Bernar Venet au Muy, dans le Var, en juin 2020.
Bernar Venet au Muy, dans le Var, en juin 2020. (Crédits : © LTD / Laura Stevens/courtesy Bernar Venet)

Bernar Venet est grand, élancé, puissant comme ses sculptures. Si celles-ci sont en acier corten résistant à l'eau, lui a un caractère bien trempé. Le sculpteur est déterminé, discipliné, avide de reconnaissance. Comment ne pas l'être ? Le monde entier l'expose, le collectionne tandis que la France toussote devant son travail acharné. L'homme n'a pas la reconnaissance à hauteur de ses arcs gigantesques, en équilibre faussement précaire ou dressés vers les cieux pour taquiner les dieux.

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D'où nous venons explique qui nous sommes et où nous allons. Si Venet voyage dans le monde entier, son ancrage est sa terre du Sud. Sa fondation est varoise et lui est le fils, pauvre devenu riche, des Alpes-de-Haute-Provence. Adeline, la mère de B.V., travaillait à l'usine Pechiney. Tiens, tiens, la matière de prédilection de Bernard est industrielle, pas de marbre, pas de bronze, mais de l'acier, rien que de l'acier. Le père de Bernard est un homme malade qui ne sera pas père longtemps, privé de vie à l'âge de 43 ans. Enfant, Bernard s'extrait de sa peine en dessinant, bien, très bien. Il est encouragé par son instituteur.              Le jeune garçon fait son entrée dans l'art par les livres que lui offre sa mère. Adeline croit en son fiston. Le gamin découvre Vélasquez, Renoir, Matisse, Van Gogh, Klee ou Picasso sans sortir de chez lui. Il copie les maîtres, peint les alentours de Saint-Auban, les arbres, son chien.

Il ne rêve pas encore de devenir un créateur, impensable : il est trop pauvre et ne connaît personne. Pourtant, il expose à Paris grâce à la compagnie qui emploie sa mère.                Des copains lui achètent une œuvre. À peine de quoi s'offrir des bonbons, ce qui ne l'intéresse pas. L'adolescent sérieux a une santé fragile. Il lit beaucoup, des récits de vie de peintres, surtout. Venet n'est pas né une cuillère en argent dans la bouche, mais ses livres sont un trampoline en or. Les biographies dont il se délecte lui prouvent que l'on peut devenir peintre sans être né au Louvre. Ado, Bernard part pour Nice. Il rencontre une figure exotique, marginale et engagée de l'art, Ben Vautier, mort il y a quelques jours. Vautier et ses copains nourrissent Venet, qui fréquente d'autres Niçois comme Arman, dont il fut l'assistant, et Yves Klein, peintre-performeur. La vingtaine crâneuse, Venet se lance dans des performances. Pour lui, elles signent le début de sa vie d'artiste. Et c'est l'envol.

C'est terrible, je suis un insatisfait permanent. Il reste tant de choses à créer

En 1966, à 25 ans, l'enfant de Saint-Aubin arrive à New York. Il comprend la ville, se fait repérer, expose, réussit. Ses amis s'appellent Warhol, Donald Judd, la crème de la crème iconique de l'époque. Le microcosme parisien en a-t-il voulu à Bernard, devenu Bernar      sans d, d'avoir triomphé aux USA sans lui ? Jalousie médiocre et condescendance sournoise ont la dent dure et continuent de planter leurs crocs. Venet en souffre. Depuis la disparition de son père, lui-même ayant une santé fragile, Venet est obsédé par la mort, par ce qui restera de lui.

A-t-il créé sa fondation pour ne pas être oublié ? Ce magnifique agencement de terrains est un musée idéal, un sanctuaire dont il est le grand penseur, le grand ordonnateur, un lieu de culte du soi, aussi. Concernant ses œuvres, Venet évoque des « lignes indéterminées » relevant de réflexions profondes et de calculs savants. Son art est qualifié de conceptuel        et de minimaliste, ce qui n'empêche pas le monumental. La sculpture Arc majeur, érigée au kilomètre 99 de l'autoroute Bruxelles-Luxembourg, est la plus grande sculpture d'acier au monde, 60 mètres de haut et 75 mètres de diamètre. Les œuvres de Venet ont été réalisées par des dizaines d'artisans et sont toutes nées de ses dessins. Bernar n'a pas quitté l'enfant qu'il était.

Direction la fondation Venet

Pour accéder au paradis, passer par l'enfer. À la sortie de l'autoroute A8, au Muy, une vallée industrielle « hangardeuse ». Un virage et le choc. Des arbres immenses, des montagnes arides et ciselées au lointain et là, sur les gazons infinis, devant et dans différents bâtiments achetés au fil des années, des œuvres de Venet bien entendu. Bernar a plusieurs arcs dans ses cordes. Ses œuvres, à la géométrie introuvable dans la nature, la mettent en valeur et réciproquement. La nature n'est pas la seule concernée. À Versailles en 2011, place Vendôme en 2023, à Arles cette année et près du Stade de France dans le cadre des JO, les sculptures de Venet perturbent. Leurs formes et leur force modifient le regard porté sur les lieux où elles sont savamment installées. Venet, c'est du deux en un : découvrir ses œuvres et vivre autrement le lieu où elles sont amarrées.

Sculpture : Bernar Venet, visionnaire d’acier

« La Parabole de l'Histoire », installée place Vendôme à Paris, en 2023. (Crédits : ©LTD / TANGUY BEURDELEY/ ADAGP; PARIS 2023/COURTESY PERROTIN)

Dans le parc de la fondation, des arcs s'entremêlent comme des brindilles, des arcs-girafes semblent dévorer des épines au sommet des pins, des arcs sont effondrés sur le sol ou surgissent de terre, certains s'entrechoquent, se frôlent ou s'ignorent. Les œuvres de Venet griffent le ciel, font la sieste, transpercent le paysage. Pourvu que Venet ne lise pas cette page. Il n'est pas dans les jolies images mais dans le cérébral, les calculs, le concept. Dans le parc sont aussi savamment exposées d'innombrables œuvres acquises par Venet auprès de ses amis. Beaucoup sont devenus légendaires comme Richard Deacon, Anish Kapoor ou Sol LeWitt. Visiter la fondation, c'est entrer dans l'histoire de l'art contemporain.

Venet habite et travaille à la fondation. Ses maisons sont un moulin et une habitation proche, ultramoderne. Elles sont ses lieux de réflexion, et là encore un musée, privé cette fois. Venet doit être heureux, sa fondation est d'une harmonie parfaite. Il expose. Il vend. Il invente toujours, donc... « C'est terrible, je suis un insatisfait permanent. Il reste tant de choses à créer. Il reste tant de pistes à explorer. Il reste à laisser une trace. J'aimerais que mes gestes artistiques soient considérés un jour comme une étape dans l'histoire de l'art comme l'a été Malevitch avec son carré noir sur fond blanc. Soyons modeste, je suis lucide, laisser une trace, il faut relativiser. Warhol, célébré de son vivant, m'a dit "je ne suis pas Picasso", et ce dernier disait "je ne suis pas Vinci". » Et Venet file. Ne pas perdre de temps. Il lui en faut, il lui en manque. « Faire de l'art, il n'y a que cela qui m'intéresse. »

Venet Foundation, Chemin du Moulin-des-Serres, Le Muy (Var). Ouverture jusqu'au 28 septembre, visites sur réservation en ligne. venetfoundation.org

En quelques dates

1941 - Naissance dans les Alpesde-Haute-Provence

1966 - Installation à New York

2011 - Exposition personnelle au château de Versailles

2014 - Création de la Venet Foundation au Muy

2024 - Installation d'une œuvre près du Stade de France à l'occasion des JO. Rétrospective Bernar Venet au Phoenix Center, à Pékin

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