Bernard Sananès (Elabe) : « Les ingrédients sont réunis pour un vote sanction »

ENTRETIEN - À une semaine du vote, Bernard Sananès, président de l’institut Elabe, tire les leçons de la campagne des européennes et analyse ses conséquences sur la suite du quinquennat d'Emmanuel Macron.
Bernard Sananès, président de l’institut Elabe.
Bernard Sananès, président de l’institut Elabe. (Crédits : © LTD / elabe.fr)

À une semaine du vote, Bernard Sananès tire les leçons de la campagne des européennes et analyse ses conséquences sur la suite du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Lire aussiSondage européennes : le bloc de gauche progresse

LA TRIBUNE DIMANCHE - À Quel est le thème qui se sera imposé lors de cette campagne des européennes ?

BERNARD SANANÈS - Comme c'est souvent le cas lors d'élections européennes, il n'y a pas de thème unique en raison d'une fragmentation forte de l'offre électorale. Dans une compétition où l'enjeu premier, face à une forte abstention, est de mobiliser son électorat, chacun met en avant les sujets qui constituent, pour son socle, un déterminant du vote. Par ailleurs, à partir du moment où la question de la sortie de l'Union européenne et de l'euro n'est plus défendue par quasiment aucun parti, cela dévitalise forcément un peu le débat. Dans l'opinion, deux préoccupations auront malgré tout émergé : le pouvoir d'achat et l'immigration. C'est d'ailleurs un des éléments qui expliquent le succès annoncé du Rassemblement national. Plus que nationaliser la campagne, Jordan Bardella aura réussi à européaniser ces deux thèmes. En dénonçant les mécanismes bruxellois du prix de l'électricité, il a par exemple donné une dimension européenne à l'enjeu du pouvoir d'achat. A contrario, deux thèmes auront été très peu présents, alors qu'on aurait pu imaginer le contraire : la question environnementale et celle de la défense européenne. Cette dernière est pourtant celle sur laquelle Emmanuel Macron a fait son entrée en campagne.

Ces élections sont-elles en train de devenir un référendum pour ou contre le chef de l'État ?

Oui, car se cumulent aujourd'hui, entre les Français et Emmanuel Macron, sept années d'impopularité. Trois strates d'opposition s'ajoutent. D'abord, il y a la strate originelle : celle des Français qui, dès 2017, n'ont pas voté pour lui et ont toujours exprimé un sentiment d'hostilité à son égard, sur le thème « ce n'est pas un président pour nous ». Ensuite, il y a la strate née à partir de la crise des Gilets jaunes. C'est la strate de la colère, composée notamment de Français issus des classes moyennes. Il y a enfin la strate de la déception survenue après 2022. Elle touche fortement l'électorat du second tour mais n'épargne pas celui du premier. Tous les ingrédients sont donc réunis pour un vote sanction.

C'est pourquoi Emmanuel Macron ne parvient pas à mobiliser son électorat dans cette campagne ?

Oui. Sur le plan de la communication politique, sa parole est usée. Comme l'ont montré sa conférence de presse à l'Élysée du 16 janvier ou le discours de la Sorbonne, ses multiples prises de parole ont peu d'impact. La magie de la parole performative n'opère plus. Depuis 2022, il demeure une incompréhension dans l'opinion. Emmanuel Macron n'a jamais réussi à répondre à la question « un deuxième mandat, pour quoi faire ? ». Enfin, il ne faut pas exclure que le fait de ne pas pouvoir se représenter incite moins son camp à se mobiliser en sa faveur pour lui donner de l'élan.

Le choix du RN n'est plus seulement celui de gens qui ne vont pas bien. Il est aussi celui de gens qui vont bien mais ont peur de l'avenir

Qu'a changé le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella, le 23 mai sur France 2 ?

Presque rien, à l'exception d'une très légère remobilisation de son socle. Mais il a contribué à invisibiliser davantage Valérie Hayer. Il n'a pas pris le pas sur une actualité [attaque du fourgon pénitentiaire dans l'Eure, Nouvelle-Calédonie] qui reste très anxiogène. Il a confirmé que l'expertise n'est plus un rempart quand le citoyen veut enclencher le chamboule-tout.

Quelles seront les conséquences d'un échec au sein du camp présidentiel ?

Une forte défaite de la liste conduite par Valérie Hayer n'aura pas forcément des implications institutionnelles, mais elle accélérera en Macronie le devoir d'inventaire. Si un très mauvais score se confirme, les héritiers se diront que le dossard macroniste ne sera pas porteur en 2027 et qu'il sera impossible de se faire élire sur la continuité du macronisme. Il y aura une prise de distance, cinquante nuances de « lui c'est lui, moi c'est moi ».

Pour le RN, cette campagne a-t-elle tout changé ?

En fait, elle consolide ce qui a changé pour lui depuis l'automne 2022 et le jugement positif sur ses premiers pas à l'Assemblée nationale en tant que premier groupe d'opposition. Avec ce scrutin, le sentiment que le RN est le favori de 2027 s'est un peu plus ancré. Un peu pour la première fois dans la vie politique française, cette campagne aura installé l'idée du duo. Aujourd'hui, le Rassemblement national, ce n'est plus seulement Marine Le Pen, c'est son tandem avec Jordan Bardella. Cette complémentarité fait la force du parti lepéniste. Jordan Bardella complète Marine Le Pen dans des catégories électorales où le RN était faible : les cadres, l'électorat des grandes villes... Le vote RN n'est plus seulement celui de gens qui ne vont pas bien. Il est aussi celui de gens qui vont bien mais ont peur de l'avenir. C'est un fait sociologique majeur.

Le tandem formé par Marine Le Pen et Jordan Bardella peut-il continuer à fonctionner ainsi ?

Aujourd'hui, ce duo fait la différence dans l'offre politique. Et il est aussi utile à Marine Le Pen qu'à Jordan Bardella. Grâce à lui, Marine Le Pen a gagné en crédibilité : on ne lui demande plus avec qui elle gouvernera en cas de victoire. Il donne à Jordan Bardella l'onction du socle lepéniste. L'un a besoin de l'autre.

Le triomphe annoncé du RN peut-il aboutir à une recomposition de la droite ?

C'est d'abord à partir du devenir des Républicains que se posera cette question. Si François-Xavier Bellamy, leur tête de liste, s'approche de son score de 2019 (8,48 %), Les Républicains pourront se rassurer en se disant qu'ils ne sont pas rayés de la carte. Ces prochains mois, la question principale sur l'échiquier politique sera : peut-il y avoir un accord entre le camp macroniste et LR face au RN ? Cela va mettre LR devant ses responsabilités. Mais certains pourront se demander quel est l'intérêt de rejoindre une majorité qui sortirait essorée du 9 juin. Il faudra de l'autre côté observer à quel point la dynamique RN déstabilise les élus locaux LR dans la perspective des municipales. de 2026. La construction d'une nouvelle majorité est la seule option qui pourrait permettre à Emmanuel Macron de justifier une dissolution auprès de l'opinion. Pour le président, sans accord politique et dans le rapport des forces actuel, dissoudre serait abdiquer.

À travers la percée de Raphaël Glucksmann, assiste-t-on à un retour de la social-démocratie ?

La dynamique Glucksmann s'appuie d'abord sur un double rejet, celui du mélenchonisme et du macronisme, et ensuite sur la sincérité de son engagement européen plutôt que sur un renouveau des idées social-démocrates. Il faut, par ailleurs, ne pas oublier le précédent Jadot lors des européennes de 2019. À l'issue de ses 13,5 %, on pensait que la recomposition de la gauche se ferait autour de l'écologie. Cela n'a pas été le cas.

À gauche, le rapport des forces va-t-il beaucoup changer dans la perspective de 2027 ?

L'hégémonisme de LFI sera remis en question. Au sein de l'électorat de gauche, Jean-Luc Mélenchon a perdu l'argument du vote utile qui faisait que des électeurs pouvaient avoir des désaccords de fond avec lui et malgré tout voter en sa faveur. Si la tripartition reste structurante, deux de ses pans vont sortir affaiblis des européennes : le centre et la gauche à cause de divisions. Si, le 9 juin, Jordan Bardella dépasse le seuil des 30 %, cela aura deux conséquences. Premièrement, la pression sera forte pour qu'il n'y ait qu'un candidat sur l'espace central et à gauche, car la moindre division empêchera la qualification pour le second tour. Deuxièmement, il est possible que la campagne de 2027 ne tourne autour que d'une seule question : qui sera capable de battre Marine Le Pen ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 03/06/2024 à 10:01
Signaler
Le 09 juin 2024, tout le monde s'en fout. Par contre, en 2027, c'est là que ça va être drôle. Lorsque Bordella aura compris que MLP ne sera pas élue... et que donc, il ne sera pas premier ministre, on va rigoler...

à écrit le 02/06/2024 à 8:41
Signaler
Non, aucun vote sanction, par contre énormément de non votes sanctions ça c'est sûr. Le premier parti majoritaire est l'abstention, le nul et le blanc que l'on peut regrouper même si vosu détestez ça forcément. Les souris votent pour les chats.

à écrit le 02/06/2024 à 8:29
Signaler
Macron va se prendre une veste !

le 02/06/2024 à 21:27
Signaler
Ses électeurs retraités sont bien ingrats, mais comme on dit, souvent boomer varie et bien fol est qui s'y fie...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.