« Il y a toujours un même récit hyper genré de la société » Maïtena Biraben, fondatrice de Mesdames Média est l’invitée de Sophie Iborra dans le podcast « Les Héritières » - La Tribune

Une actualité chargée pour cette personnalité médiatique à la cinquantaine triomphante. Des écrans de télévision à ceux de nos smartphones, elle lance, en mai dernier, « Mesdames », un média en ligne qui veut changer le récit des femmes de plus de 45 ans et publie un essai à la fois personnel et universel « La femme invisible » chez Grasset.
(Crédits : La Tribune)

La femme invisible

Seule fille d'une fratrie de 5 enfants, la petite Maïtena, grandit en région parisienne, coincée entre « un père raide et 4 frères puissants ». Assignée à résidence dans sa chambre ou dans la cuisine, elle prend conscience assez tôt que ce que l'on attendait d'elle venait en complète contradiction avec ses propres désirs. « Avant d'être Maïtena j'étais un corps, un genre, une fille, ce que j'étais à l'intérieur, tout le monde s'en foutait » décrit-elle. Alors que ses frères étaient autorisés à faire à peu près tout, il n'était pas pensable qu'elle puisse, elle aussi, jouir de la même liberté. « Mes frères pouvaient prendre un vélo pour pédaler à fond dans les champs de maïs moi pas, ils pouvaient sortir jusqu'à pas d'heure et faire la grasse mat, moi pas. » raconte-t-elle. Rien d'étonnant alors, dans le fait que cette Franco-Suisse de 56 ans ait décidé de construire sa vie personnelle comme professionnelle en femme libre. Dans « La femme invisible », son essai paru en mai dernier chez Grasset, elle explique, notamment, à travers son histoire, que ce conditionnement des filles, dès le plus jeune âge, peut avoir de lourdes conséquences sur leur vie de femme. Elle renverse les poncifs et les croyances, part en guerre contre les images, celles de la fille, la sœur, la mère et l'épouse, de l'argent et du succès, qui inhibent et dissimulent, avec une joie féroce et beaucoup d'humour.

La femme cathodique et engagée

Braver sa condition de jeune femme, est-ce pour cette raison qu'elle décide de faire des études et de quitter le foyer familial pour s'installer en Suisse et démarrer une carrière de journaliste ? Probablement. Sa détermination, elle la trouve, dans la lecture et l'admiration qu'elle voue pour les grands journalistes de son enfance. Faute de représentations féminines, c'est Alain Duhamel et Gorges Bortoli qui lui donnent l'envie de regarder et de commenter le monde, de mieux comprendre ce qui se joue dans la société et d'oser, enfin, prendre la lumière.

Dès lors, elle entame une carrière fulgurante à la Télévision Suisse Romande mais c'est à Paris qu'elle rêve de crever les écrans. Passée par M6, c'est le service public qui l'accueille et qui lui permet de se faire un nom. La Cinq, (aujourd'hui France 5), la révèle avec son émission culte « Les maternelles ». Ce programme primé aux 7 d'or est un vrai carton. On y parle déjà du « plafond de mère », des dictats et des tabous autour de la parentalité « Cette émission était une véritable fabrique de citoyenneté, capable d'analyser les rapports entre les femmes et les hommes, leur propre rapport à la parentalité, une vision, un récit de la femme, c'était puissant » se souvient-elle. De cette période, Maïtena gardera la formidable ambiance au sein d'une équipe joyeuse et engagée et le souvenir de rencontres incroyables comme celle de Chantal Birman, sage-femme, qu'elle choisit d'inviter à ses côtés dans notre podcast.

Vient le temps des nouveaux défis, elle quitte le service public pour rejoindre Canal Plus et reprend, notamment, le flambeau de l'émission tout aussi culte « Le Grand Journal » animé par Antoine de Caunes. « Je fais un métier où prendre des risques fait partie du kif. J'aime bien recommencer » déclare- t-elle, mais Maïtena peine à trouver ses marques et son indépendance, elle entre en conflit avec le nouvel actionnaire et décide finalement de jeter l'éponge, pour reprendre son souffle et se consacrer à l'élaboration d'un projet qui lui tient à cœur : celui de devenir entrepreneure.

En 2022, elle crée Mesdames Productions avec Alexandra Crucq et prépare, peu à peu, ce qui deviendra son nouveau bébé « Mesdames Média » que les deux complices lancent le 2 mai dernier.

Libérée, délivrée !

Cette journaliste, désormais productrice et animatrice de « Mesdames », un média nouvelle génération 100 % en ligne, continue d'explorer la condition féminine avec celle des femmes ménopausées. Le mot est lâché, la ménopause ! De ce tabou et surtout de ce regard biaisé que la société toute entière porte sur cette période de transition, Maïtena n'en a que faire, avec Mesdames elle donne la parole à celles qui prouvent que la cinquantaine peut être une renaissance, une période de grande liberté et de créativité, une chance de se débarrasser des injonctions d'une vie. « Le récit que l'on fait de nous est tellement décorrélé de ce que nous sommes que ça en devient grotesque » gronde- t-elle, en ajoutant « dans notre société, un homme de 50 ans est la somme de toutes ses expériences tandis que la femme de 50 ans est la fin de tout ce qu'elle a été » avant de rajouter « il y a toujours un même récit hyper genré de la société ». À tous celles et ceux qui pensent que passer ce cap est synonyme de deuil, elle oppose la formidable opportunité de devenir, enfin, la femme que l'on a toujours voulu être. Quoiqu'il en soit, cette cheffe d'entreprise peut se féliciter du succès de son média qui réunit, déjà, en mois de 3 mois, près de 170 000 abonnés sur Instagram pour ne citer que ce réseau social.

Les femmes de plus de 45 ans absentes des radars

Mais le succès d'audience n'empêche pas de devoir garantir un modèle économique à la hauteur de ses ambitions. L'entrepreneure dénonce un manque de prise en compte général de ces actives entre 45 et 65 ans qui représentent près de 9 millions de femmes en France. « Il faut que les annonceurs comprennent qu'il va falloir nous adresser, c'est le moment où nous avons le plus d'argent et le plus de temps ». Au-delà des marques et des investisseurs, la journaliste fait le même constat à propos des politiques publiques qui, selon elle, ne s'adressent pas non plus à ces millions de femmes « Il n'y a aucune politique qui s'adresse à nous en dehors de la maternité, c'est fou non ? » interroge-t-elle. Invisibilisation également dans les médias traditionnels où elle constate qu'aucun programme ne s'adresse directement à elles : « Mesdames média est en ligne parce qu'aucune chaine de télévision n'a voulu croire en notre projet ! ». L'ancienne femme de télévision explique cela par « un modèle économique extrêmement compliqué, aujourd'hui à la télévision, où la créativité et la prise de risque n'est malheureusement plus envisageable ».

Accepter de vieillir

Si Maïtena Biraben milite pour une reconnaissance des 45-65 ans qu'elle qualifie « d'âge du milieu », elle réfute l'idée qu'elle n'accepterait pas de vieillir. « À 56 ans, Je n'ai pas peur de vieillir, mais je refuse que l'on m'assigne à être vielle ! » Pour elle, l'âge n'existe que dans le regard des autres, l'espérance de vie reculant, elle acceptera sans aucune difficulté ce statut quand elle aura 80 ans, avant cela « il y a tellement à vivre et à faire ». Chez elle, cet appétit insatiable de vie, ne s'oppose pas à l'acceptation de la mort. Dans la séquence de « La Lettre », elle décide même, de la regarder, pour nous, en face. Cette conscience de la mort, c'est à la maternité qu'elle lui est apparue, lors de la préparation à l'accouchement de son premier enfant avec Chantal Birman dont elle gardera les mots : « Donner la vie c'est accepter la mort ». Dès lors, le parcours de Maïtena démontrera qu'elle a fait de cette maxime une véritable philosophie de vie. « J'ai le sentiment que l'on meurt à l'image de ce que l'on a vécu, si c'est le cas, je vais mourir en éclatant de rire ». Oui, mais le plus tard possible, chère Maïtena.

Le dernier épisode de la saison 3 des « Héritières » consacré à Maïtena Biraben et son invitée Chantal Birman est disponible dès aujourd'hui sur l'ensemble de vos plates-formes habituelles et sur latribune.fr.

Bonne écoute.

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2024 à 7:50
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"elle acceptera sans aucune difficulté ce statut quand elle aura 80 ans" Bien sûr que non. On ne peut pas balayer des questions existentielles aussi fondamentales que la vieillesse et la mort d'un revers de la main. Quand j'avais 10 ans je n'arrivais...

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