Premier tour ou dernière chance pour l’Ukraine

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Les prises de position de campagne du Rassemblement national sur l’Ukraine laissent deviner un bras de fer tendu en cas de cohabitation entre Jordan Bardella et Emmanuel Macron. Le président Zelensky joue en partie son destin et celui de son pays dans les urnes des législatives françaises.
François Clemenceau
François Clemenceau - Le monde à l'endroit
François Clemenceau - Le monde à l'endroit (Crédits : © LTD / DR)

Il l'a dit et répété Jordan Bardella aura des « lignes rouges » dans le soutien à l'Ukraine en cas de victoire le 7 juillet. Pas d'instructeurs français sur le sol ukrainien, comme le président de la République y travaille depuis des semaines. Et pas d'envoi de missiles français de longue portée capables de frapper en profondeur les positions d'attaque de l'armée russe à partir de son propre territoire. Pour être rouges, elles sont bien rouges, ces lignes ! Il ne s'agit pas là de la position personnelle du Premier ministrable Bardella mais de celle de Marine Le Pen et de son parti. Est-ce aussi celle d'Éric Ciotti et des ralliés LR ? Le député sortant des Alpes-Maritimes avait pourtant voté en faveur de l'accord de sécurité franco-ukrainien en mars tandis que ses nouveaux camarades du RN s'étaient - comble de l'ambivalence - abstenus et que l'ensemble des élus Insoumis avaient voté contre. Autant dire que dans une nouvelle Assemblée où le RN et LFI seraient majoritaires, le sort de l'Ukraine face à la Russie serait considérablement affaibli.

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Considérablement ? Oui. Car les esprits railleurs ont beau avoir tenté de minimiser l'impact de l'aide française à l'Ukraine, la position de la France exprimée par le président de la République depuis dix-huit mois a permis de rallier d'autres partenaires soucieux de faire comprendre à Vladimir Poutine que sa guerre d'agression serait longue et coûteuse. Qu'il s'agisse de l'envoi de chars légers - qui a permis de lever le tabou de la livraison des chars lourds américains et européens vers le front de l'Est -, de la formation de pilotes ukrainiens sur F-16 et désormais sur Mirage 2000, de la livraison de missiles Scalp pour frapper en profondeur les positions d'attaque russes ou de la mise en chantier d'une demande ukrainienne d'instructeurs pour formater de nouvelles unités de combat sur le sol ukrainien. Certes, que ce soit en volume ou sur le plan financier, la France n'est pas leader dans l'aide militaire à l'Ukraine, mais le soutien politique de notre pays au président Zelensky a été déterminant ces derniers mois, au point que d'autres pays européens, réticents au départ, ont fini par rejoindre cette ligne dissuasive audacieuse et courageuse.

Les hierarques du Rassemblement National, eux, n'en démordent pas. Ils veulent continuer à soutenir l'Ukraine, contrairement à leurs positions de départ au printemps 2022 et à quasiment tous leurs votes au Parlement européen. Mais uniquement pour la défense. Autrement dit, à laisser les Ukrainiens subir les bombardements russes sans laisser à l'armée ukrainienne la capacité de neutraliser sur le sol russe les batteries de missiles à l'origine des tirs qui les visent quotidiennement. Continuer à aider l'Ukraine à se défendre mais sans que ses nouvelles forces destinées à repartir tenir le front - et éventuellement à contre-attaquer - puissent être formées par des instructeurs de pays amis sur le sol ukrainien, ce qui raccourcirait les délais et la logistique de cette entreprise décisive. Non, mieux vaut faire perdre du temps à l'armée ukrainienne, ce qui revient à favoriser l'offensive russe.

La France n'est pas leader dans l'aide militaire

En contestant de surcroît à Emmanuel Macron sa pleine autorité de chef des armées, Marine Le Pen a offert à Vladimir Poutine un cadeau attendu. En soulignant que le budget des armées est voté par le Parlement, ce qui est vrai, elle a clairement fait comprendre que la stratégie ukrainienne du président de la République ne serait pas financée. D'où la supplique désespérée du président Zelensky, jeudi, concertée avec les autorités françaises, visant à demander aux électeurs français un minimum de cohérence, à ne pas abandonner l'Ukraine en rase campagne. « Nous croyons que les Français continueront à soutenir l'Ukraine quelle que soit la situation politique, a-t-il déclaré à l'AFP. Nous sommes convaincus que le prochain gouvernement sera indépendant de l'agresseur russe et restera attaché aux valeurs européennes et à une Europe forte et unie, l'Europe même que l'Ukraine défend contre la tyrannie russe », a-t-il ajouté.

Le message est clair. Mais cette « Europe forte et unie », est-ce bien celle que souhaite servir le RN à Matignon ? Zelensky ne compte pas seulement sur la pratique du « domaine réservé » du chef de l'État telle que la lui a expliquée Emmanuel Macron en marge du sommet du G7 pour faire en sorte que la France maintienne sa politique volontariste en faveur de l'Ukraine. Il prévient le Rassemblement national qu'il sera traité comme un allié de la Russie s'il arrive au pouvoir et ne maintient pas la ligne Macron. C'est là qu'il convient de rappeler que même aux États-Unis, où la Chambre républicaine a bloqué l'aide militaire à l'Ukraine pendant près de six mois, les élus alliés de Trump ont fini par la débloquer par peur de voir la Russie l'emporter et modifier par là même le paysage géostratégique de l'Europe. Le RN, qui voulait sortir du commandement militaire intégré de l'Otan, a fini, selon Jordan Bardella, par admettre qu'il serait inconvenant de le faire tant que la guerre en Ukraine continue. Il serait bon, par pure cohérence, de continuer à aider au maximum l'Ukraine à retrouver sa souveraineté territoriale et son chemin européen, sans qu'elle soit menacée par un Kremlin pro-Trump et pro-RN.

François Clemenceau

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