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« Qu'est-ce que je dois faire le soir du 9 juin si le RN l'emporte largement ? » Emmanuel Macron avait interrogé ses conseillers et quelques anciens collaborateurs de Nicolas Sarkozy invités à dîner, le 30 avril, à l'Elysée. Autour de la table, personne n'avait osé poser sur la table le scénario de la dissolution. Le président de la République avait, en réalité, déjà en tête d'appuyer sur le bouton. Il va garder pour lui son choix. Entre temps, le chef de l'Etat a brouillé les pistes et caché son jeu. Y compris en expliquant à La Tribune Dimanche : « C'est l'élection de députés européens. La conclusion sera donc européenne. »
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Quarante jours plus tard, le chef de l'Etat a fait ses comptes : « Les représentants de l'extrême droite atteignent près de 40% des suffrages exprimés », déclare-t-il dimanche soir, dans une déclaration télévisée surprise. « L'extrême droite est à la fois l'appauvrissement des Français et le déclassement de notre pays. Je ne saurais donc, à l'issue de cette journée, faire comme si de rien n'était. » La conclusion est limpide : « J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale. »
En quelques mots, il vient d'ériger la lutte contre l'extrême droite en grande cause nationale. Un quitte ou double pour Emmanuel Macron qui lance contre toute attente son Blitzkrieg. Une guerre éclair de vingt-sept jours puisqu'il a fixé lui-même les élections législatives au 30 juin et 7 juillet. L'effet sidération est parfait. Reste maintenant à exécuter la manœuvre pour éviter une Bérézina début juillet et l'humiliation de devoir ouvrir la cérémonie des Jeux Olympiques flanquée de Jordan Bardella comme ... Premier ministre !
« Le président n'a pas voulu que ça se délite davantage »
Dès son annonce, le plan secret du président pour sortir de l'ornière politique vire au cauchemar pour beaucoup de membres de la majorité qui se repasse le film « stupeur et tremblement ». A gauche et à droite, personne ne fanfaronne. Les mêmes qui réclamaient sans y croire la dissolution comparent le président à un dingue. Les élus du Rassemblement national n'exultent pas vraiment. « Ce mec est fou », répètent la plupart des invités politiques sur les plateaux de télévision. « Le président est kamizaze », soupire un ancien ministre.
Au milieu de la soirée, François Bayrou nous souffle le raisonnement qui a conduit Emmanuel Macron à opter pour la dissolution sans attendre l'automne et une éventuelle mise en minorité sur le projet de loi budgétaire : « Il n'a pas voulu que ça se délite davantage pendant l'été. Il veut prendre tout le monde de court avec une large coalition contre le RN. »
Va donc pour trois semaines de campagne avec l'espoir de démontrer que le RN n'a pas les moyens d'obtenir une majorité absolue. Le calcul est simple : mettre tous les élus de l'arc républicain derrière son offensive éclair. A commencer par les LR qui vont devoir choisir entre négocier avec le RN ou rejoindre la coalition anti-extrême droite. Pas gagné quand on connaît les positions du trio Ciotti-Retailleau-Marleix, sans aiguillonner en coulisses par Laurent Wauquiez. En prenant tout le monde de vitesse, il espère aussi empêcher la gauche de refaire le coup de 2022 avec la création de la Nupes, cet attelage électoral imaginé par Jean-Luc Mélenchon pour rassembler des choux et des navets dans une mauvaise soupe mais de faire élire 151 députés Insoumis, communistes, socialistes et écologistes. Sur ce côté-là de l'échiquier politique, la gauche n'a sûrement pas fini de s'emplafonner. Parviendra-t-il à décrocher la gauche réformiste des Insoumis ? Pas gagné.
« Ecrire l'histoire plutôt que la subir »
Reste à résoudre une dernière inconnue dans l'équation présidentielle impossible : qui mènera la campagne ? Emmanuel Macron lui-même sans doute mais, peut-être, y verra-t-on aussi les présidents des assemblées Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, estime un visiteur de l'Elysée. Gabriel Attal ne semblant pas le mieux placé à l'issue d'européennes ratées, selon cette même source. L'heure de la clarification est donc venue à droite mais aussi dans le camp Macroniste qui va probablement perdre ses chevau-légers les plus à gauche.
En tirant une leçon très gaullienne à sa lourde défaite aux européennes, Emmanuel Macron redessine son espace politique. Prend tous les risques. Le 7 juillet, on saura si cette dissolution était un coup de génie ou bien l'erreur fatale d'un président-apprenti sorcier. Un nouveau revers électoral poserait cette fois la question de sa démission. Le président a d'ailleurs conclu son allocution en expliquant qu'il préférait « écrire l'histoire que la subir ». Le voilà au pied du mur. S'il rate son coup, sa dissolution se transformera en immolation.
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