Mobilités : l’interconnexion ferroviaire reste encore à bâtir au sein de l'UE

SPECIAL EUROPEENNES - 8/15. Après un mandat marqué par l'importance prise par les transports et la mobilité - au-delà des clivages politiques -, les élections européennes pourraient bien rebattre les cartes. Et menacer la réalisation de certains projets pourtant majeurs dans la décarbonation de l'UE dont 30 % des émissions de CO2 sont issues des transports.
Léo Barnier
La composition du futur Parlement européen et donc de la Commission pourraient influer sur la réalisation des grands projets de transports.
La composition du futur Parlement européen et donc de la Commission pourraient influer sur la réalisation des grands projets de transports. (Crédits : DR)

La mobilité et les transports sont désormais incontournables dans la politique européenne. Ce constat était unanimement partagé par les représentants des différentes instances européennes présents lors d'un débat organisé mi-mai par l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) à l'approche des élections du 9 mai, que ce soit Karima Delli, présidente de la commission des transports du Parlement européen, Georges Gilkinet, vice-Premier ministre et ministre de la mobilité belge, présent au nom de la Présidence belge du Conseil de l'Union européenne ou encore Mona Bjorklund, directrice de la direction « Coordination des politiques » au sein de la direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne (DG MOVE). Pourtant, certains programmes majeurs tels que le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) doivent encore accélérer pour livrer leur plein potentiel, notamment pour tenir les objectifs européens en matière de décarbonation.

Ils faisaient ainsi écho aux propos de Marie-Ange Debon, présidente de l'UTP et du directoire de Keolis (groupe SNCF) : « Au cours de ces dernières années, nous avons eu une vraie reconnaissance du fait que le secteur de la mobilité est un secteur clef. [...] Les trois instances européennes, la Commission, le Conseil et le Parlement ont, chacun à leur façon, à différentes dates reconnues de manière effective la place de la mobilité et la place des transports publics comme des éléments majeurs des politiques. »

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La présidente de l'UTP note des évolutions positives en la matière, notamment sur le plan réglementaire avec l'intégration des nœuds urbains dans le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) ou la réforme du système d'échange de quotas d'émission de l'UE (ETS). Des initiatives intervenues dans le cadre du paquet législatif « Fit for 55 », qui pose l'objectif d'une réduction de 55 % des émissions de l'UE d'ici 2030 en application du pacte vert pour l'Europe (Green Deal). Cela a ainsi été « un élément de traction » pour les transports publics.

La révision du RTE-T largement saluée

Parmi les évolutions positives, la révision réglementaire du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), dont la dernière version datait de 2013, a été saluée à plusieurs reprises dans les débats. Il apparaît ainsi comme un élément central pour moderniser l'infrastructure de transports européenne, en particulier ferroviaire, et atteindre les ambitieux objectifs de durabilité posés par le paquet « Fit for 55 ».

Le nouveau texte renforce la gouvernance du RTE-T, avec une meilleure coordination des projets aux niveaux européen et interétatique. Surtout, il donne la priorité aux modes de transport décarbonés, notamment au rail face à la route. Il intègre enfin les nœuds urbains, avec plus de 400 villes qui devront élaborer des plans de mobilité durable.

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Partie prenante de cette révision proposée par la Commission, en tant que directrice de la Coordination des politiques de la DG MOVE, Mona Bjorklund prévient néanmoins que le chemin est encore long avant que ce texte - comme d'autres - atteigne son plein potentiel.

« Tous ces législations vont vraiment demander des transformations très importantes de la société de nos secteurs. Nous avons la direction, nous avons des ambitions très claires, mais cela va prendre du temps maintenant à mettre tout ceci en œuvre. Il faut aller vers l'avant ensemble et financer beaucoup d'investissements », déclare-t-elle ainsi.

Une remise en cause possible après les élections

Pour Georges Gilkinet, la possible évolution des rapports de force au sein du Parlement européen, et donc de la Commission, ne va pas remettre en cause directement les grands projets de transport déjà actés par les institutions européennes. D'où l'importance de sécuriser la révision du règlement RTE-T avant la fin de la mandature, ou encore celle du Ciel unique européen dans le domaine du transport aérien.

Pourtant, il exprime une certaine inquiétude pour l'avenir de la politique environnementale européenne et les conséquences possibles pour les transports : « La principale crainte concerne l'avenir Green Deal, et notamment d'avoir un Green Deal 2.0 qui inclut des politiques d'investissement européennes qui permettent de renforcer les infrastructures ferroviaires comme nous l'avons fait avec le budget du Green Deal sous cette législature. Ce qui permet aussi aux Etats d'investir sur fonds nationaux. »

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Le vice-Premier ministre belge insiste sur la dimension budgétaire et la sécurisation des financements pour mettre en œuvre ces investissements. Convaincu qu'il y a « encore pas mal de choses à réaliser dans la filière transport », il prend comme exemple l'avenir du budget Connecting Europe Facility for Transport, qui aide au financement de projets d'infrastructures - notamment ferroviaires et intermodales - pour faciliter les connexions transfrontalières. Doté de 26 milliards d'euros entre 2021 et 2027, il contribue ainsi largement à la réalisation du RTE-T.

Il est rejoint par Karima Delli qui qualifie la révision du règlement RTE-T comme « l'un des plus grands textes » adopté pendant cette mandature, mais aussi comme « l'un des plus révélateurs ». La députée européenne s'inquiète ainsi de sa mise en œuvre. Elle appelle à lancer un « Green Deal du ferroviaire », à « un choc d'offres » et à «un nouveau pacte réel sur un crédit ferroviaire » pour accélérer le déploiement de ces infrastructures. Elle pointe tout particulièrement la France, très en retard sur la mise en place du système de signalisation commun européen ERTMS, nécessaire pour faire circuler les trains d'un pays à l'autre et donc pierre angulaire du RTE-T.

La question centrale du budget

Isabelle Boudineau, conseillère régionale de la Région Nouvelle-Aquitaine et membre du Comité européen des Régions, pointe aussi cette différence d'un Etat membre à l'autre. Mentionnant l'exemple du Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), avec notamment une ligne à grande vitesse devant relier Bordeaux à Toulouse et au-delà relier le réseau espagnol, elle souligne l'importance d'avoir un échelon européen puissant pour mener ces projets d'infrastructures à bien par rapport à des États membres « qui n'ont pas forcément une vision européenne » et « qui ont tendance à compter leurs sous ».

Et elle ramène, elle aussi, cette question à celle du budget européen, qui représente seulement 1 % du PIB des Etats membres. « Nous avons un budget de l'Union européenne qui n'est absolument pas à la hauteur pour remplir (nos ambitions) », déplore-t-elle.

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L'incertitude vient en premier lieu l'interprétation du nouveau cadre budgétaire européen, avec la réforme intervenue en début d'année pour une application à partir de janvier 2025. Ces nouvelles règles sont censées garantir le redressement des finances publiques tout en préservant les investissements. Ce qui fait craindre à Georges Gilkinet un retour à la rigueur après la période du Covid qui a vu les dépenses publiques se multiplier.

« Si nous en revenons à un agenda conservateur qui insiste sur la rigueur budgétaire et l'industrie de l'armement, je crains qu'il n'y ait pas d'ambitions pour les enjeux de mobilité collective et décarbonée », déclare-t-il à La Tribune.

Clivage gauche-droite ou menace eurosceptique ?

Le ministre belge (parti Ecolo belge, affilié au groupe européen des Verts) n'exclut donc pas que les questions environnementales et de transports soient à nouveau l'enjeu d'un affrontement gauche-droite classique. Ce qui trancherait avec la Commission sortante au sein de laquelle Ursula von der Leyen, « issue du Parti populaire européen (PPE, estampillé à droite), mais qui avait un agenda vert » selon lui, a su dépasser ce clivage pour poser une politique environnementale ambitieuse.

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Il met également en garde contre les conséquences possibles d'une arrivée d'un commissaire eurosceptique, alors que l'extrême-droite, portée par des discours souverainistes, nationaux-conservateurs ou même climatosceptiques, apparaît comme le principal facteur de remise en cause des équilibres politiques européens actuels. C'est aussi l'avis de Karima Delli (Europe Écologie Les Verts), qui se montre bien plus vindicative.

« Le Parlement européen ne ressemblera pas au Parlement actuel. Nous allons avoir le retour des climatosceptiques. Nous allons avoir des anti-européens, dont le seul but sera de détricoter le pacte du Green Deal. Il va falloir s'armer de patience et de détermination, être présent à Bruxelles pour défendre nos intérêts et le Green Deal », prévient la présidente de la commission des transports du Parlement européen.

Elle met aussi en garde la Commission européenne, dont « la composition va être déterminante alors que certains pays ne veulent pas de nouvelles législations et parlent même de faire des pauses environnementales ».

Toutes les parties prenantes de cette réunion espèrent donc la nomination d'un commissaire aux transports et à la mobilité porteur d'un projet ambitieux et doté d'un poids important au sein du futur exécutif européen. Pourquoi pas avec le statut de vice-président.

Léo Barnier

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Commentaires 7
à écrit le 03/06/2024 à 12:13
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Il aurait peut-être fallu commencer par ça dans les années 1950, juste après la CECA. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.

à écrit le 03/06/2024 à 7:34
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Mais comment ferait le transport routier si le train fonctionnait correctement ? Alors il ne fonctionne pas correctement.

à écrit le 03/06/2024 à 7:28
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Bonjour, bon ils est claire que ce chantier voulus par l'union européenne n'as pas beaucoup avancé... Les grandes ligne de chemin de fer s'arrête au frontières des etat membres ( sauf quelque rare exception ). D'ailleurs je ne suis pas certain que...

le 03/06/2024 à 8:57
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"y a des efforts a faire" en Espagne, les rails n'ont pas le même espacement que chez nous, faudrait-il remplacer tous les rails espagnols ou tous les rails français ? Sachant que ça demanderait des efforts énormes (& coût élevé, maintenir les voies ...

le 03/06/2024 à 13:39
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Bonjour, bon nous ne sommes plus en 1936 , ou chaque état se prépare a une guerre ( l'un contre l'autre ) . Donc ils est temps de commencer l'uniformisation du système complet.... A moins que certains souhaitent favoriser le transport routier...

le 03/06/2024 à 13:46
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@ rogger : une harmonisation est plus que souhaitable : ce n est pas que l Espagne qui a un écartement de rail différent de la France il y a aussi le Portugal.. de même les matériels, les procédures de signalisation , de sécurité, de gestion des véhi...

le 03/06/2024 à 13:46
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@ rogger : une harmonisation est plus que souhaitable : ce n est pas que l Espagne qui a un écartement de rail différent de la France il y a aussi le Portugal.. de même les matériels, les procédures de signalisation , de sécurité, de gestion des véhi...

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