Agriculture : la dépendance aux engrais azotés difficile à éradiquer

Les importations d'engrais azotés en France ont toujours été massives, et celles de Russie croissent. Mais les solutions sont limitées et de longue haleine.
Giulietta Gamberini
Déjà en 2019-2020, la ferme France importait chaque année deux tiers de ses besoins. 38% de ces importations provenaient de pays tiers, dont la Russie.
Déjà en 2019-2020, la ferme France importait chaque année deux tiers de ses besoins. 38% de ces importations provenaient de pays tiers, dont la Russie. (Crédits : Reuters)

Comment adresser le problème de la dépendance de la France des engrais azotés, qui remet en cause sa souveraineté alimentaire ainsi que son indépendance face à des pays peu fiables comme la Russie ? Le ministère de l'Agriculture commence à travailler sur le sujet. Le cabinet de la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher assure vouloir présenter « les grands axes d'un plan souveraineté des engrais » avant l'été. Elaboré ensuite par des groupes de travail interministériels, il devrait être finalisé début 2025.

Le problème est toutefois atavique, et les solutions, limitées comme de longue haleine. Le premier volet sur lequel le gouvernement affirme vouloir miser est en effet la « sobriété » des usages. Mais le changement de modèle agricole que cela implique, en outre de ne pas être consensuel, demandera beaucoup de temps.

Lire aussiLa France finance Moscou en important de plus en plus d'engrais produits avec du gaz russe

Plusieurs millions de tonnes importés chaque année

La dépendance de l'agriculture française des engrais azotés est en effet massive.

« Appliqués le plus souvent trois fois par an autour du printemps, ces intrants sont indispensables pour la production agricole française », explique Alexandre Willekens, consultant analyste des marchés des grains chez Argus Média (ex-Agritel).

Déjà en 2019-2020, la ferme France en importait chaque année plus de 4,5 millions de tonnes : deux tiers de ses besoins, reconnaît le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. 38% de ces importations provenaient de pays tiers, dont la Russie.

Miser sur la diversification des pratiques agronomiques, par exemple en accroissant les cultures de légumineuses - qui en plus de fixer l'azote dans le sol, contribueraient à la souveraineté protéique de la France -, pourrait affecter les rendements, craignent les agriculteurs. La « meilleure mobilisation locale de toutes les sources potentielles d'engrais, organiques et minérales », sur laquelle travaille aussi le ministère, implique pour sa part de s'attaquer à la spécialisation actuelle de l'agriculture française, très ancrée.

La solution de l'hydrogène

Quant à la production d'engrais décarbonés, qui sera aussi incluse dans le plan, elle représente aujourd'hui la principale solution mise en avant, notamment par les producteurs d'engrais. Elle consiste dans la fabrication d'ammonitrate « décarboné », grâce au remplacement du gaz par de l'hydrogène issu de l'hydrolyse de l'eau et de l'énergie électrique.

Début mai, à l'occasion du sommet « Choose France », le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure, a d'ailleurs annoncé dans La Tribune Dimanche l'implantation d'ici 2030 en France d'une usine destinée à produire « 500 000 tonnes d'engrais azoté décarboné » par an, soit « 15% de la consommation française » et 30 % des besoins européens. Le projet, porté par un consortium européen créé en juin 2023, FertigHy, est estimé à 1,3 milliard d'euros.

Mais la concrétisation de cette alternative va aussi prendre du temps. La décision finale d'investissement de FertigHy n'est d'ailleurs attendue que fin 2026, et l'implantation de l'usine pas avant 2030. C'est à la même échéance que le géant européen des engrais azotés Yara affiche un objectif de 30% de sa production en décarboné.

Une nouvelle dépendance

« Cela ne diminuerait en outre pas la dépendance économique des agriculteurs », observe Lorine Azoulai, ingénieure agronome et chargée de plaidoyer pour l'ONG CCFD-Terre Solidaire.

Au contraire, en raison de coûts de production élevés, les engrais décarbonés seront très probablement plus chers que ceux d'origine fossile, et leur compétitivité dépendra essentiellement de la mise en place du mécanisme européen d'ajustement carbone aux frontières, qui pénalisera ces derniers.

Et l'ingénieure d'ajouter : « Les agriculteurs resteront en outre exposés à la volatilité des prix de l'énergie électrique, ainsi que dépendant des producteurs d'engrais, des acteurs économiques aujourd'hui déjà très concentrés  ».

Giulietta Gamberini

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Commentaires 4
à écrit le 30/05/2024 à 19:29
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Bonjour, bon ils y a 200 ans , ons arrivé a cultiver du blé sans engrais... Incroyable, ons se demande comment ils arrivaient a faire cette exploits... Nous souhaitons une agriculture plus durable, sans pesticides, sans produits chimiques.... Tous l...

le 30/05/2024 à 19:43
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Il y a deux cents ans les rendements n'étaient pas les mêmes , de l'ordre de 10 quintaux à l'hectare pour aujourd'hui 130 qtx et comme les cours n'augmentent pas les rendements permettent de maintenir un revenu à l'hectare équivalent .Pour en reveni...

le 31/05/2024 à 14:17
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"sans pesticides" même pas bio ? Si le rendement est faible les prix vont exploser dans les boutiques ! Avec de forts rendement on exporte énormément de blé, pour nourrir divers pays (et importe divers produits qu'on ne peut pas produire en quantités...

à écrit le 30/05/2024 à 19:09
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Avec la permaculture nous serions aussi souverains.

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