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ATR prépare sa mue. N°1 mondial de l'aviation régionale, le constructeur vise l'arrivée à l'horizon 2030 d'une nouvelle génération d'avions encore plus économe en adoptant un moteur hybride. « L'ATR EVO est basé sur l'ATR actuel qui est un avion de 72 places, leader du marché des turbopropulseurs. Ce nouvel avion consommera 20% de carburant en moins qu'un ATR actuel et émettra plus de 50 % de CO2 de moins qu'un jet régional », décrit Daniel Cuchet, directeur technique et head of design organisation d'ATR.
Vers de nouveaux usages ?
L'acteur historique n'est pas le seul à vouloir décarboner l'aviation régionale. Le nouveau constructeur toulousain Aura Aero est en plein développement d'ERA, un avion de transport régional hybride de 19 places qui sera capable de voler 220 km en tout-électrique et jusqu'à 1.600 km en hybride.
« Notre client de lancement est Twinjet pour relier deux aéroports, Toulouse et Marseille, avec le fournisseur d'électricité EDF pour préparer les première mise en service de ces avions. De manière générale, cet avion pourra desservir toutes les lignes transversales où les moyens sol ne sont pas très bons voire inexistants. Il n'est pas question d'entrer en concurrence avec le train », indique Jérémy Caussade, président et co-fondateur d'Aura Aero.
« ATEA nous a permis de développer une technologie qui peut être adaptable à d'autres plateformes en particulier des avions de Daher ou les Cessna Caravan. Nous nous reposons sur un coeur électrique qui distribue du 800 volts et les batteries qu'on va rétrofiter sur des avions existants pour réduire leur consommation de 10 et 45 % de réduction suivant le modèle », précise Stéphane Viala, directeur de l'ingénierie et des programmes au sein Ascendance Flight Technologies.
De son côté, Safran développe Engineus, un nouveau moteur hybride pour l'aviation générale. « Nous avons commencé en 2021 à voler avec le Cassio de Voltaero avec qui nous avons fait un tour de France, nous avons démarré des essais en vol sur un moteur de la société autrichienne Diamond 40. La prochaine étape sera de voler avec Aura Aero et Ascendance Flight Technologies. Nous avons décidé de miser sur ces petites plateformes pour arriver à une technologie mature qui pourra ensuite venir hybrider les moteurs d'avion de l'aviation commerciale comme le moteur Rise (qui doit remplacer le leap sur les monocouloirs de type A320 ou Boeing 737max, NDLR) », résume Florent Nierlich, directeur technique et innovation de Safran Electrical and Power.
Face à cette ruée vers l'hydridation électrique, Olivier del Bucchia, co-fondateur d'Aero Décarbo, et contributeur du rapport Pouvoir voler en 2050 tient tout de même à alerter : « L'électrique est une option évidemment très intéressante et elle aura son rôle à jouer dans la décarbonation mais mon inquiétude, c'est que jusqu'à présent aucune innovation technologique n'a été épargnée par un effet rebond en générant de nouveaux usages. » A cette interrogation, Jérémy Caussade rétorque : « Nous allons développer un mode de vie décent dans des endroits où il n'y a pas vraiment le choix de prendre l'avion en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie-Pacifique et même sur une bonne partie des États-Unis et de l'Europe. »
De nombreux challenges techniques
En attendant que cette décarbonation devienne une réalité, les industriels doivent lever toute une série de challenges techniques. A commencer par le bon équilibre énergétique. « Un avion ATR, déjà très frugal, a une puissance de 4 MW. Cela représente beaucoup d'électricité donc il n'était pas possible de voler avec uniquement des batteries. Nous en sommes venus rapidement à une solution hybride électrique avec un apport de puissance par batterie qui permet dans des phases de vol d'aider le moteur thermique et réduire sa taille. La versatilité est aussi un atout pour beaucoup de nos clients en zone Asie-Pacifique qui n'auront pas accès à de grandes capacités en hydrogène », note Daniel Cuchet.
L'arrivée de ces nouveaux appareils hybrides requiert également de devoir gérer des niveaux de tension inédits à bord des avions. « Aujourd'hui dans l'aéronautique on manipule jusqu'à 540 volts lors des essais pour l'aviation commerciale . Avec notre moteur, cela monte à 800 volts. Cette tension hyper élevée peut créer des dégâts sur le système d'isolation, de l'usure prématurée, donner lieu à des courts-circuits. Il faut apprendre à comprendre les systèmes. Mais aujourd'hui aujourd'hui nous sommes plutôt confiants. Nous avons développé des designs robustes pour opérer de manière fiable en altitude ces systèmes », détaille Florent Nierlich.
Y aura-t-il assez d'électricité ?
Cette haute tension demande d'avoir recours à de nouveaux types de composants, parfois issus de l'automobile. « Des composants électroniques qui distribuent du 800 volts cela n'existe pas forcément dans l'aéronautique. De la même manière, il n'y a pas plus plus efficace qu'un convertisseur automobile, en particulier de Formule 1 », souligne Stéphane Viala. Ascendance Flight Technologies travaille d'ailleurs avec l'EASA, l'agence européenne de sécurité aérienne pour certifier ces nouveaux composants.
Dernier (et pas des moindres) verrou à lever, ces nouveaux avions auront des besoins importants d'électricité pour fonctionner. « Entre la production de SAF (carburants d'aviation durable), d'hydrogène et ces avions hybrides, l'axe principal de décarbonation du transport aérien va faire appel des besoins gigantesques d'électricité. Le dernier rapport de l'Académie de l'Air et de l'Espace signale que le transport aérien aura besoin en Europe d'une production annuelle de 650 TWh d'électricité à l'horizon 2050 sachant que la production électrique française globale est de l'ordre de 500 TWh. Cela ne veut pas dire que c'est impossible mais le secteur aérien ne sera pas le seul à faire appel à de l'électricité décarbonée », conclut Olivier del Bucchia.
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