L'aviation d'affaires peut-elle être le fer de lance de la décarbonation du secteur aérien ?

PARIS AIR FORUM 2024 - Fortement décriée pour son utilité sociale comme son impact écologique, l'aviation d'affaires tente de combattre cette image en se postant à l'avant-garde de la décarbonation de l'aviation. De premiers résultats se font sentir, mais il faudra encore bon nombre d'étapes pour qu'elle devienne un véritable accélérateur de la transition du secteur.
L'aviation d'affaires se doit d'être le premier de cordée dans la décarbonation de l'aviation.
L'aviation d'affaires se doit d'être le premier de cordée dans la décarbonation de l'aviation. (Crédits : Groupe ADP)

Régulièrement mise en cause pour son impact sur le climat, l'aviation d'affaires, parfois décrite de manière simpliste comme réservée à une élite, pourrait détenir certaines clefs de la décarbonation de l'aérien. Elle pourrait même, selon certains, poser les jalons d'une nouvelle façon de voler, en mettant en oeuvre les premiers avions conçus spécifiquement pour répondre à l'urgence climatique.

« On pense qu'il est faisable que le secteur soit le premier de cordée dans la décarbonation du secteur aérien », déclare Jérôme du Boucher, responsable aviation France au sein de l'association Transport & Environnement. « Et pour ça, il doit avoir des objectifs plus ambitieux, plus rapides, plus forts que le reste de l'aviation. »

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« Ce que l'on propose, c'est que, dès 2030, des avions zéro émission soient obligatoirement utilisés pour les vols de moins de 1.000 km », et au-delà, « viser 50% et même 100% de carburant de synthèse », pousse Jérôme du Boucher.

« On a un secteur dont les usagers ont plus de capacité de payer. On pense que c'est vraiment une bonne solution pour "dérisquer" les premiers projets de développement de carburant de synthèse, qui sont le plus durs (à mettre au point), et faire sauter un verrou qui va permettre à l'aviation commerciale de vraiment s'engager dans cette décarbonation », propose-t-il.

Des effets déjà visibles au sol

Loin des clichés sur les « jets » qui seraient dédiés aux stars et autres milliardaires, l'aviation d'affaires (environ 0,04% des émissions mondiales de CO2) a pour objectif premier d'être un outil pour les entreprises dans leur développement et leur croissance - 70% des vols d'affaires ont un caractère professionnel - et servent aussi pour les transports sanitaires.

C'est notamment le cas de l'aéroport du Bourget, près de Paris, qui permet de desservir les grands hôpitaux d'Île-de-France, rappelle Sébastien Couturier, son directeur. Le premier aéroport d'affaires en Europe s'est donné pour objectif de parvenir au « zéro émission nette au sol » d'ici 2025 et fait office de « laboratoire » pour les autres plateformes aéroportuaires du groupe ADP, Roissy-Charles-de-Gaulle et Orly.

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« L'aviation d'affaires peut et doit se décarboner avant l'aviation commerciale » sur laquelle elle dispose déjà de 10 ans d'avance, affirme-t-il. Le Bourget vise 100% d'électrique pour l'assistance au sol des avions, alors qu'elle était traditionnellement effectuée par des engins diesel. « L'essentiel des émissions d'un aéroport, c'est l'activité "air-side", donc côté piste et les opérations au sol », explique Sébastien Couturier.

Selon lui, le taux d'électrification des équipements côté piste était de 15 à 10% il y a deux ans contre 55% aujourd'hui. « C'est une réalité, on voit la trajectoire », se félicite-t-il.

Les SAF sont incontournables

Les carburants d'aviation durables (SAF, sustainable aviation fuel) sont l'autre levier sur lequel s'appuie l'aéroport. Les groupes pétroliers présents au Bourget offrent des taux d'incorporation de 35%, soit le maximum qu'il est possible de commercialiser aujourd'hui, et les volumes sont en augmentation, de 500.000 litres en juin 2021 à 3,2 millions de litres fin 2023.

Reste que la différence de prix entre le kérosène classique et le SAF est importante même si elle se réduit. Selon Margaux Bodard, responsable régionale des ventes pour Embraer Executive Jets, elle est d'un euro ce qui, sur un vol transatlantique, représente 20.000 euros sur la facture finale pour un jet d'affaires.

L'avionneur brésilien, présent sur le segment de l'aviation d'affaires et de l'aviation commerciale, travaille sur de nouvelles architectures pour réduire l'empreinte carbone de ses avions, mais « à court terme, sur le net carbone qu'on vise pour 2040, on privilégie nos opérations qui seront majoritairement SAF », indique Margaux Bodard. « On attend des entités européennes et mondiales qu'elles incitent les constructeurs et les consommateurs à voler avec du SAF », ajoute-t-elle.

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La perspective électrique

Fondateur de Voltaero, qui développe Cassio, un avion à propulsion électrique-hybride de cinq à douze places selon les versions, Jean Botti tente de repousser les contraintes physiques qui empêchent le passage à l'électrique en raison du poids des batteries.

« C'est pas comme une automobile. Dans une automobile, il faut défier la résistance au roulement, dans l'aviation, il faut dépasser la gravité », pointe-t-il. « Il est hors de question de faire 500 km sur des batteries. Si on arrive à faire 100-120 km en tout électrique, on sera très content ».

Pour Jean Botti, « il est clair que pour des vols de 500-600 km, il faut passer à l'hybride ».

Cette configuration répondrait parfaitement à une partie des besoins de l'aviation d'affaires : la liaison vers Genève (environ 400 km) est la plus fréquente depuis Le Bourget et selon Jérôme Du Boucher, 50% des vols d'affaires intra-européens sont inférieurs à 500 km aujourd'hui.

Voltaero travaille également sur des biocarburants plus verts. Selon Jean Botti, un biocarburant fourni par TotalEnergies à partir de résidus de grappe de raisin a permis, sur une heure de vol, d'obtenir 80% de réduction d'émissions.

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Commentaires 5
à écrit le 18/06/2024 à 9:42
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Nous allons vers un système où seuls ceux et celles qui "font des affaires" auront le droit de voler. Les autres (même ceux qui travaillent mais ne font pas d'affaires!) seront assignés au sol. Il faudra sûrement créer une entreprise pour prendre l'a...

à écrit le 18/06/2024 à 8:17
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Les SAF ne seront jamais produits en quantité suffisante pour l'industrie aérienne, même restreint à l'aviation d'affaire ça parait impossible, il faudrait faire x10 000 sur les volumes.

à écrit le 17/06/2024 à 23:20
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On sait parfaitement bien que "les carburants d'aviation durables" ne seront pas. Et pour M. du Boucher qui veut que "des avions zéro émission soient obligatoirement utilisés pour les vols de moins de 1.000 km" ca veut dire qu'une société doit se ...

à écrit le 17/06/2024 à 13:51
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Le SAF est produit en UE ? Il parait qu'aux USA, ils accélèrent pour en produire beaucoup (mais ça demande des investissements notables). Pourquoi aime-t-on tant les réacteurs et pas les hélices ? Ça serait plus économique, un moteur à hélice, mais ...

le 18/06/2024 à 8:13
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Parce que les réacteurs permettent d'aller beaucoup plus vite et sont plus fiables.

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