Le secteur bancaire fait de la résistance sur le front de l’emploi

Le nombre de salariés en France dans le secteur est resté stable ces dernières années et a même légèrement progressé en 2023. Une situation atypique en Europe. Le secteur devrait continuer de bénéficier d’une pyramide des âges favorable, avec 70.000 départs à la retraite estimés d’ici 2032, selon les derniers chiffres de l'Observatoire de la Fédération bancaire française (FBF).
La Société Générale finalise un immense chantier de réorganisation de ses réseaux avec 3.700 suppressions de postes  à la clé d'ici 2025.
La Société Générale finalise un immense chantier de réorganisation de ses réseaux avec 3.700 suppressions de postes à la clé d'ici 2025. (Crédits : Reuters/Gonzalo Fuentes)

C'était il y a presque un demi-siècle. En 1978, le célèbre rapport Nora-Minc annonçait des suppressions massives d'emplois dans le secteur bancaire à l'ère nouvelle de la télématique. « La banque sera la sidérurgie de demain », soutenaient alors les auteurs, avec un sens certain de la formule.

La vision s'est avérée complètement erronée. En 2023, le secteur bancaire reste l'un des principaux employeurs privés de France avec 355.000 salariés. En 1977, les effectifs de la banque étaient de 255.000 salariés. Loin d'être le bain de sang social redouté par Simon Nora et Alain Minc, à l'image de la sidérurgie des années 70, le secteur bancaire a donc vu ses effectifs progresser de 40%.

Pacte social

Mieux, après un tassement pendant une dizaine d'année, les effectifs sont même repartis (légèrement) à la hausse l'an dernier (+ 0,2%), grâce à 44.500 recrutements (hors 20.000 contrats d'alternance), moitié dans le secteur des banques commerciales, moitié chez les mutualistes, selon les derniers chiffres de l'Observatoire des métiers de la banque de la Fédération bancaire française (FBF).

En réalité, la vraie révolution du secteur est ailleurs : alors que les cadres représentaient à peine 10 % des effectifs en 1977, ils pèsent désormais 71,2% des effectifs. Cette mutation d'un secteur d'emplois peu qualifiés à un secteur de cols blancs qualifiés explique d'ailleurs, pour une large part, la résilience des effectifs : depuis des années, chaque départ à la retraite est remplacé par un recrutement pour renforcer ou trouver des compétences dans l'informatique, le commercial, le numérique, la conformité.

La banque, qui fût très longtemps un secteur largement administré, a également hérité d'un ancrage syndical très puissant, à l'image de certaines entreprises publiques. La domination des réseaux mutualistes sur le marché de la banque de détail est également un élément constitutif à un pacte social tacite entre le secteur, ses salariés et les pouvoirs publics.

Chacun se souvient du long combat pour l'abrogation du fameux décret de 1937 sur l'organisation du temps de travail dans la banque (qui empêchaient notamment l'ouverture d'une agence le samedi), finalement obtenue en échange de la mise en œuvre des 35 heures.

Baisse de 20 % des effectifs en zone euro

Depuis 2018, les effectifs de la banque en France sont quasiment stables. Mais cette stabilité recouvre des réalités différentes : les emplois dans les banques commerciales (relevant de la convention collective de l'Association des banques françaises) se sont effrités de 7 % à 182.000 salariés sur la période alors que les effectifs des banques mutualistes ont cru de 6 %, à près de 193.000, dépassant désormais ceux des banques « AFB ».

Et encore, les baisses d'effectifs dans les banques AFB ont été très concentrées chez Société Générale, qui a fusionné son réseau d'agences avec celui du Crédit du Nord, avec 3.700 suppressions de postes à la clé (d'ici 2025). BNP Paribas a également annoncé des suppressions d'effectifs et plusieurs banques en ligne, Orange Bank, ING Direct ou bien My French Bank (La Banque Postale) ont décidé d'arrêter les frais.

Mais ce tableau tranche de stabilité singulièrement avec la situation du secteur bancaire chez nos voisins. Après des premières vagues de licenciements aux lendemains de la crise financière, Deutsche Bank annonce, en 2019, 18.000 nouvelles suppressions de postes sur trois ans, le groupe sino-britannique HSBC envisage la suppression de 35.000 emplois en 2020 dans le cadre de son recentrage sur l'Asie, ou plus récemment, Santander qui prévoit de réduire ses effectifs de 15% en Espagne, soit 4.000 postes.

Selon les données de la Banque centrale européenne (BCE), le secteur bancaire de la zone euro a perdu 20% de ses effectifs depuis 2009 et 5 % de ses effectifs depuis 2018. Principal employeur de la zone euro, la France a joué un rôle d'amortisseur dans la baisse des effectifs globaux de la zone euro.

Une densité bancaire parmi les plus élevées

Cette situation atypique de la France, hors normes pourrait-on dire, se retrouve dans la densité bancaire, parmi la plus élevée d'Europe, soit une agence pour 2.400 habitants. Une densité deux fois plus élevée qu'en Allemagne.

Alors que nombre d'agences bancaires dans la zone euro a plongé de plus de 40 % depuis 2009 à 106.000 agences, le secteur bancaire français a réduit son maillage de seulement 12% (à 33.526 agences), un effort entrepris presque uniquement par les banques commerciales qui ont accéléré les fermetures ces dernières années. Depuis 1999, le nombre d'agences bancaires a même augmenté de 30 % en France ! Toutefois, l'organisation des agences a été profondément modifiée, à la fois dans ses missions et dans ses formats, avec une disparition de la « petite agence » avec 4/5 personnes et un distributeur.

A titre de comparaison, le secteur bancaire espagnol a fermé 60 % de ses agences depuis 2009, le réseau allemand a été divisé par deux (à 19.488 agences) et 40% des agences bancaires en Italie ont disparu en quinze ans.

Cette résistance s'explique, une fois de plus, par le poids des mutualistes sur le marché de la banque de détail en France, qui ont largement développé leur présence au tournant du XXIe. Le discours est toujours le même : le réseau d'agences permet de préserver les parts de marché.

« Nous avons l'un des réseaux les plus denses de France et c'est ce qui fait notre force. Et c'est aussi ce qui correspond aux besoins des clients qui souhaitent avoir le choix entre un mode de relation 100% numérique ou 100 % en agence », avait ainsi rappelé Nicolas Namias, président du directoire de BCE lors de la présentation du plan stratégique 2030 en juin dernier. En précisant néanmoins « que l'on s'adaptera en fonction des besoins qui seront exprimés par nos clients ».

Une pyramide des âges favorable

En parallèle, les banques françaises sont confrontées à une lente érosion de leur chiffre d'affaires sur les activités de détail, en raison notamment d'un modèle de crédit à taux fixe. Résultat, la banque de détail en France affiche un coefficient d'exploitation (coûts sur chiffre d'affaires) record de 73% en 2023, selon les données compilées par le cabinet de conseil Kearney, contre des coefficients qui oscillent entre 58 % en Allemagne ou 41% en Espagne. Pour l'heure, les banques françaises s'en sortent en raison d'un coût du risque relativement bas.

Cette situation, combinée à la montée en puissance des services numériques et du « self care », accentue la pression sur le modèle de distribution des banques. Selon une étude de Kearney sur la rentabilité des banques de détail en France, « les efforts des banques de détail en France doivent donc être intensifiés dans un contexte de baisse des revenus et de hausse du coût du risque ».

Or, soulignent les auteurs de l'étude, « les opportunités liées aux départs naturels risquent d'être encore significatives sur les dix prochaines années et probablement dans les mêmes ordres de grandeurs que sur la période 2016-2023, sous réserve du maintien du turn-over ».

Selon les prévisions de Kearney, le secteur bancaire fera face à environ 70.000 départs à la retraite d'ici 2032 (sans compter 190.000 turn-over en cumulé). Ces départs pourront favoriser une nouvelle vague de réorganisation des réseaux à l'heure numérique (avec le renouvellement de la clientèle) et déjà les banques multiplient les projets de mutualisation

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Commentaire 1
à écrit le 20/07/2024 à 7:02
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