UN ÉTÉ FRANÇAIS (2/8) : « La Constitution, best-seller de l’été » (par Philippe Ridet, écrivain)

Le journaliste et romancier revient sur notre passion nouvelle pour la Constitution et raconte le dépouillement du second tour des législatives dans son village de Tourouvre-au-Perche.
La princesse Élisabeth de Bourbon-Parme, le 6 juillet, jour de son mariage avec Xavier Denis en l’église  Saint-Aubin de Tourouvre-au-Perche (Orne).
La princesse Élisabeth de Bourbon-Parme, le 6 juillet, jour de son mariage avec Xavier Denis en l’église Saint-Aubin de Tourouvre-au-Perche (Orne). (Crédits : © LTD / Frank Rollitz/DNphotography)

On savait qu'en chaque Français sommeillait un entraîneur de l'équipe de France de football. Les Bleus de Didier Deschamps ayant été éliminés en demi-finale de l'Euro, nous allons pouvoir nous adonner à notre nouvelle marotte. En effet, depuis le soir du second tour des législatives et la découverte d'une France découpée en trois parties quasi égales, genre Empire carolingien lors du traité de Verdun en 843, nous sommes tous devenus constitutionnalistes ! Le texte fondamental de 1958 sera notre cahier de vacances. Peu encombrant, il se glisse facilement dans le fourre-tout de plage avec la crème de protection solaire indice 50, le Goncourt offert à Noël mais qu'on n'a pas eu le temps de lire, les mots fléchés et le K-Way. Best-seller inattendu, page-turner de Juan-les-Pins à Bray-Dunes, la Constitution est le must-have de l'été 2024 (tout comme la veste vert Cetelem de Marine Tondelier, mais en plus discret).

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Une belle revanche pour ces 89 articles rédigés en 1958. Moderne et vintage, elle est contemporaine de l'essor du Nouveau Roman (Butor, Robbe-Grillet, Sarraute et Cie) dont elle respecte les règles canoniques : style austère jusqu'à la neutralité, attention aux détails et distanciation. Nous pensions la connaître pour en avoir entendu parler. « Ah oui, la Constitution de V e République... Le rôle du président... Ça me dit quelque chose... » Mais qui, mis à part les étudiants en droit et ceux qui ne sommeillaient pas pendant les cours d'instruction civique, aurait pu en citer un seul article ? Qui aurait songé à soulever le capot d'une voiture tant qu'elle roule bien ? Désormais, la Constitution, c'est notre kif à nous, les Français. Michel Debré, notre auteur de chevet. Aussi nombreux que les infectiologues au temps du Covid, les constitutionnalistes seront lors des jours à venir - et peut-être davantage - nos lampes torches pour cette excursion vers l'inconnu. Au rythme où se déroulent les négociations et les conciliabules, nous devrions atteindre le niveau licence en septembre. Mais déjà nous sommes à même de répondre aux interros surprises.

Désormais, la Constitution, c'est notre kif à nous, les Français. Michel Debré, notre auteur de chevet

Exemple : comment sortir du blocage institutionnel ? Réponse A : dissoudre de nouveau l'Assemblée. Réponse B : un gouvernement de coalition. Réponse C : la démission du président. Envoyez A, B, ou C par SMS au 77 32. Pas de chèque hebdomadaire à gagner pendant un an, seulement la promesse d'une belle pagaille durant la même période.

Aujourd'hui, c'est le 14-Juillet. Notre fête à tous. On nous a assez dit pendant une semaine que nous nous étions montrés, « responsables », « altruistes », « généreux » qu'on a fini par se croire, bulletin de vote en papier recyclé à la main, les égaux de ceux qui, baïonnette au canon, ont sauvé la France. Nul doute que si la tradition existait encore, quelques-uns d'entre nous auraient été invités au titre de « personnalités méritantes » à l'Élysée. Vu la solitude d'Emmanuel Macron, nous lui aurions tenu compagnie. Manque de chance, pour lui comme pour nous, le président ne reçoit plus pour la fête nationale. Les polémiques sur le train de vie de l'État, la crise économique, le devoir d'exemplarité de nos représentants ont eu raison de ces rituels d'Ancien Régime.

Michel Debré, ministre de la Justice, présentant le 6 octobre 1958 le texte de la Constitution revêtu du sceau de la République.

Michel Debré, ministre de la Justice, présentant le 6 octobre 1958 le texte de la Constitution revêtu du sceau de la République. (Crédits : © LTD / AGIP/BRIDGEMAN IMAGES)

Ah, les garden-parties ! Pour paraphraser Talleyrand, disons que celui qui ne les a pas connues ne sait pas « ce qu'est la douceur de vivre ». La pelouse souple et tondue de frais du palais de l'Élysée ; la musique de la Garde républicaine qui joue en sourdine. Il m'est arrivé dans une vie antérieure de fouler ce gazon de mes mocassins à picots. Journaliste politique, j'étais accrédité. Un mot bien pratique pour une position confortable qui autorise les titulaires de la carte de presse à se ruer, en toute déontologie, à l'assaut des buffets sans devoir marquer la moindre gratitude à l'égard de leur hôte.

Alors que les soldats du défilé regagnaient déjà l'ombre de leurs casernes, nous arrivions vers 12 heures devant le 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, l'adresse du palais de l'Élysée, à Paris. Un air de vacances flottait dans l'azur comme lors du dernier jour d'école. Ne restait plus que l'interview du chef de l'État avant que chacun, président, journalistes, députés, spin doctors, petites mains du pouvoir et autres personnalités de l'ombre s'égaillent. À Brégançon pour les mieux lotis, en location pour les autres. À cet égard, la réception du 14 juillet 1998, réunissant sur la même tribune Chirac, Jospin et les footballeurs victorieux de la Coupe du monde, fut la plus remarquable. Tout à mon euphorie, oubliant la règle d'or de ma profession (pas de copinage), je fis provision d'autographes. Euphorique et légèrement pompette, je revins à ma rédaction pour écrire un article que je n'aimerai pas relire un quart de siècle plus tard...

La traditionnelle garden-party du 14-Juillet  à l’Élysée, ici en 2009.

La traditionnelle garden-party du 14-Juillet  à l'Élysée, ici en 2009 (Crédits : © LTD /Miguel Medina/AFP; Frank Rollitz/DNphotography)

Des occasions festives, à Tourouvreau-Perche, nous en avons aussi. Je ne parle pas seulement des brocantes le long de la rue du 13-août-1944, de la Saint-Gilles, du premier dimanche de septembre, du repas des anciens en décembre, de la commémoration de l'exode percheron en Nouvelle-France, du festival de fanfares et autres rendez-vous incontournables de la sociabilité locale, mais d'une fête exclusive avec personnalités « vues à la télé ». C'est ainsi que samedi 6 juillet, veille du second tour des législatives, nous nous sommes retrouvés une trentaine de badauds devant le porche grand ouvert de l'église Saint-Aubin dont le clocher d'ardoise sombre évoque un peu le casque de Dark Vador. À l'intérieur, la jeune princesse Élisabeth de Bourbon-Parme convolait avec un financier. La traîne de la mariée était longue, la cérémonie aussi. « Ils en mettent du temps ! » s'agace ma voisine en serrant son gilet. « Ça y est ils sortent ! »

On perçoit du soulagement sur certains visages, on surprend des soupirs prolongés

Chapeaux à fleurs, hauts-de-forme et fracs, les invités avaient belle allure. Parmi eux, Stéphane Bern, en redingote grise, semble à son aise. Percheron de Thiron-Gardais, bienfaiteur des vieilles pierres et commentateur multicarte (Village préféré des Français, Eurovision, cérémonies royales en tous genres), il est à tu et à toi avec le gratin. Un peu plus en retrait, j'avise un couple d'un certain âge. J'ai la vague impression de les connaître. Un indice ? La dame porte une étole sur l'épaule. « Mais qui est-ce ? » Bon sang mais c'est bien sûr ! Michèle Alliot-Marie, dite MAM, ancienne ministre de la Défense, et son compagnon Patrick Ollier, dit POM, actuel président de la métropole du Grand Paris, se tiennent devant moi aussi surpris  de me voir que le suis de les rencontrer ici. À peine le temps d'échanger trois mots qu'ils repartent vers Paris. Les jeunes mariés, eux, ont pris place à bord d'une puissante Ferrari immatriculée au Luxembourg pour regagner le château familial tout proche.

C'est fort de ces images toutes fraîches de la fracture sociale que je me suis rendu le lendemain, à 18 heures, dans la salle omnisports du stade René-Zunino pour assister au dépouillement. Les visages étaient graves autour des tables. Concentré, le maire veillait au bon déroulement des opérations. Un écran retransmettait les résultats des dix hameaux qui composent la commune nouvelle de Tourouvre-au-Perche. Arrivé largement en tête au premier tour, le Rassemblement national est défait d'une centaine de voix. Ici comme ailleurs, le front républicain a tenu. On perçoit du soulagement sur certains visages, on surprend des soupirs prolongés. Trois personnes, deux hommes et une femme, se tiennent à l'écart. Une voix maugrée : « Les Français veulent rester dans leur merde. » Je m'approche, mû par autant de curiosité que de joie mauvaise : « Vous êtes déçus ? » Trois regards se sont tournés vers moi. Je crois qu'ils m'ont pris pour un imbécile.

Un été français : La semaine prochaine, retrouvez le troisième épisode de notre série.

Commentaire 1
à écrit le 14/07/2024 à 7:26
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On entend quand mêmes des chosesi nteressantes, même les médias masse organisation de propagande massive ne peuvent y échapper grâce à ce grand bazar actuel, et un intervenant précisait que la France avait inventé le compromis entre plusieurs partis ...

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