Récit - Et Emmanuel Macron perdit la confiance des siens...

Le choix d’Emmanuel Macron de provoquer des élections législatives anticipées a suscité le désarroi dans la majorité, où l’on craint le pire. Récit d’une rupture.
Ludovic Vigogne
Le chef de l’État lors de la conférence de presse du 12 juin.
Le chef de l’État lors de la conférence de presse du 12 juin. (Crédits : © LTD / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Emmanuel Macron a toujours aimé le public du Borussia Dortmund. Il le juge merveilleux. S'il est un grand fan de l'Olympique de Marseille, le chef de l'État est aussi lucide sur la dureté de ses supporters. « Quand ils prennent un dirigeant ou un joueur en grippe, c'est très dur. Demandez à Deschamps ! », lui est-il arrivé de concéder. Depuis dimanche 9 juin, 21 heures, et son choix surprise au soir des élections européennes de dissoudre l'Assemblée nationale, c'est exactement comme s'il portait un maillot de l'OM. Avec sa majorité, désormais tout a changé. Quoi qu'il se passe, un lien est cassé, une rupture s'est opérée.

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Mardi, Assemblée nationale. Élisabeth Borne prend parmi les premiers la parole lors de la réunion du groupe Renaissance. L'ambiance est lourde. Personne n'a envie de se lancer dans une campagne que chacun pressent comme une possible hécatombe. « Je ne laisserai pas dire que l'Assemblée ne fonctionnait pas », assène l'ancienne Première ministre, très affectée. Le soir, lors du bureau exécutif du parti présidentiel, elle réédite sa sortie. L'ex-locataire de Matignon n'accepte pas un des arguments mis en avant par l'Élysée pour justifier ces législatives anticipées - « un désordre parlementaire qui rend difficile l'action ». Elle a fait part directement au chef de l'État de tout le mal qu'elle pense de sa décision. Combien d'autres sont, comme elle, en colère ? « Je ne veux plus avoir de contact avec lui », dit un de ses anciens ministres. « Pour la première fois, je doute de lui », confie un autre, qui l'a pourtant tant aimé. « On va au casse-pipe, prédit un membre de l'équipe Attal, candidat les 30 juin et 7 juillet. Ça va être un carnage. »

« Une dissolution d'inconfort »

Dimanche, quand ils ont appris la volonté du chef de l'État de dissoudre alors que la liste Renaissance-MoDem-Horizons, conduite par Valérie Hayer, ne récoltait que 14,6 % des voix, tous dans la majorité ont été sidérés. « La dynamique et le mouvement sont dorénavant de notre côté », fait part le président, satisfait de l'effet de souffle que son initiative a provoqué chez ses adversaires, devant son gouvernement convoqué en urgence à 22 heures à l'Élysée. Face à lui, Gabriel Attal, qui a tenté de s'opposer à cette solution quand le chef de l'État l'en a informé en fin d'après-midi, ne décroche pas un mot. Bruno Le Maire reste lui aussi mutique.

Durant la réunion, il a eu droit à une égratignure présidentielle. « Ce n'est pas comme si vous vous étiez bousculés pour tirer la liste [aux européennes] », a glissé le président, quand il a commenté le revers subi ce soir-là par la majorité, visant le patron de Bercy, qu'il aurait aimé voir mener le combat. Autour de la table, Roland Lescure, ministre délégué à l'Industrie, est celui qui exprime le plus son inquiétude. C'est pourtant un éternel fidèle.

« Irrationnel », c'est le qualificatif qui reviendra le plus les jours suivants pour qualifier ce coup de poker présidentiel, annoncé alors que nombre de bulletins n'étaient même pas encore dépouillés. « C'est une dissolution psychologique, analyse un député, qui connaît bien le chef de l'État. C'est le fruit de nombreuses audaces frustrées. Tant de fois il a été tenté par des coups sans oser passer à l'acte. » À l'Élysée, on se félicite de renouer ainsi avec « l'audace, le dépassement, la prise de risque qui a toujours été au cœur du macronisme ». « En 1997, Jacques Chirac avait décidé une dissolution de confort. Quand il l'avait lancée, il pensait gagner. Emmanuel Macron, lui, invente la dissolution d'inconfort, juge un de ses anciens collaborateurs à l'Élysée. Le président ne s'inspire jamais du passé. Il aime le nouveau. » Cet hiver, il a un temps envisagé d'innover en organisant un référendum le jour des européennes, mais cela s'est révélé techniquement trop compliqué.

 « Le président est moins gérable qu'avant »

Comment en est-on arrivé là ? « En réalité, depuis janvier, rien de ce qu'il fait n'a de sens », assène un ministre, faisant allusion au choix du président de congédier de Matignon Élisabeth Borne pour nommer à sa place Gabriel Attal, quand il aurait pu conserver dans son jeu la carte du changement de Premier ministre au lendemain des européennes. « Le président est moins gérable qu'avant », rapporte un député, qui l'a beaucoup fréquenté. Qui écoute-t-il vraiment, alors qu'il ne voit quasiment plus aucun ministre en tête à tête et rencontre les députés une fois par an ?

Depuis janvier, rien de ce que le président fait n'a de sens

Un ministre

Ce printemps, le chef de l'État a beaucoup interrogé les uns, les autres, sur ce qu'il pouvait faire pour sortir du marasme dans lequel se trouve son quinquennat du fait de l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale. Dans son entourage, la crainte, surtout, que celui-ci vire à une longue agonie est permanente. Emmanuel Macron, qui juge qu'au fond, dans l'esprit des Français, les mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande finissent par se confondre, se dit que le sien court lui aussi le risque d'y être associé.

Comment éviter qu'au bout du compte tout cela finisse, en 2027, par une passation de pouvoir avec Marine Le Pen sur le perron de l'Élysée ? Comment, dès le lendemain des européennes doit-il reprendre la main si celles-ci tournent mal ? L'ex-sénateur LR Pierre Charon, devenu un de ses familiers, estime que si les résultats sont mauvais, il doit réagir le soir même et être là où on ne l'attend pas. Bruno Roger-Petit, son très influent conseiller mémoire, a toujours jugé que les marges de manœuvre étaient celles que l'on se créait...

Le président du MoDem est stupéfait

D'une manière générale, procéder un jour à une dissolution n'a jamais été un scénario qui a effrayé le chef de l'État. Le 11 avril, il est à Bergerac. « Motion de censure, dissolution. Il faut qu'ils le sachent », répète-t-il trois fois à des élus locaux qu'il connaît bien, alors que Les Républicains menacent de plus en plus de faire tomber le gouvernement Attal à l'automne, à l'occasion de l'examen des textes budgétaires. Avec François Bayrou, qui plaide pour qu'une initiative soit prise, il évoque aussi régulièrement un tel scénario. À l'arrivée, le président du MoDem est néanmoins stupéfait. S'il défendait l'idée d'une dissolution, c'était pour qu'elle ait lieu en septembre, le temps que l'on puisse la préparer. Pourquoi soudain se précipiter ainsi, alors que le RN connaît une telle dynamique ? Pour masquer une cruelle défaite ? À un député LR avec qui il s'est entretenu ce printemps, François Bayrou a confié que, pour lui, désormais l'orgueil l'emportait sur l'imagination chez Emmanuel Macron.

Dimanche, à l'Élysée, Rachida Dati a pris la parole. « Ça doit être comme une présidentielle », a plaidé la ministre de la Culture. « C'est exactement cela », a opiné Emmanuel Macron. Ce soir-là, il explique à ses troupes qu'il fera trois interviews par semaine durant la campagne qui s'ouvre. Lundi, encore sonné, Gabriel Attal a un entretien avec le chef de l'État. Les yeux dans les yeux, le Premier ministre lui explique qu'il doit se tenir en retrait s'il veut se donner la moindre chance d'obtenir une majorité. Le soir, lors d'un dîner organisé par le locataire de l'Élysée avec Stéphane Séjourné, le délégué général de Renaissance, Édouard Philippe, qui choisira de courir uniquement sous les couleurs de son parti Horizons, et François Bayrou, ce dernier lui fait passer le même message (l'après-midi, il a conseillé aux députés MoDem de « démacroniser » leurs affiches et tracts). « C'est pour cela que je fais mercredi une conférence de presse », réplique le chef de l'État. L'ambiance est à couper au couteau.

« Autoentrepreneurs »

En début de semaine, face à un de ses fidèles, qui lui répète à quel point il ne comprend pas sa décision, Emmanuel Macron confie : « Ce n'est peut-être pas un pari gagnant mais c'est la seule solution. » En a-t-il vraiment évalué tous les tenants et les aboutissants ? La constitution si rapide du Nouveau Front populaire a été une surprise. « La gauche n'arrivera pas à se rassembler », assure au téléphone lundi matin Gérald Darmanin, un des rares favorables au choix du chef de l'État à Xavier Bertrand. « Depuis 2017, l'obsession du président est de casser la droite. Il doit être content de lui », acte un ministre, constatant l'explosion de LR. Mais l'alliance d'Éric Ciotti avec le Rassemblement national n'a-t-elle pas apporté un peu plus de carburant à Jordan Bardella et Marine Le Pen ? Mercredi, lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron déclare souhaiter dorénavant pour gouverner une « fédération de projets ». Qui y a répondu favorablement ?

Pour les candidats de son camp, le vrai enjeu sera la qualification au second tour face à deux blocs puissants. Pour ceux qui s'en sortiront, plus rien ne sera comme avant. « Les députés qui reviendront seront des autoentrepreneurs, prédit un candidat en lice. Ils considéreront ne devoir leur élection à personne. » En mai, Emmanuel Macron est allé voir avec Brigitte, au théâtre Antoine, à Paris, l'adaptation du Cercle des poètes disparus. « O Captain ! My captain ! » C'est un titre que ses troupes ne lui reconnaîtront plus.

Ludovic Vigogne
Commentaires 7
à écrit le 17/06/2024 à 16:24
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SEPT ans pour s'apercevoir de l'incompétence d'un personnage ? .....on ne peut pas dire que la réactivité soit au rendez-vous !

à écrit le 17/06/2024 à 16:24
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SEPT ans pour s'apercevoir de l'incompétence d'un personnage ? .....on ne peut pas dire que la réactivité soit au rendez-vous !

à écrit le 16/06/2024 à 20:42
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Diriger au 49.3 n'est pas un fonctionnement normal Mme Borne...

à écrit le 16/06/2024 à 19:12
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Macron aime souvent dynamiter les autres!!! Maintenant il s'est dynamité lui-même!!! Son parti construit de toutes pieces á l'aide des propagantes médiatiques vole en éclat.....Son égo surdimensionné ne supporte pas les critiques et les votes démo...

le 16/06/2024 à 19:43
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Je ne suis pas un expert de la situation politique en France. Mais mon impression est qu’un gouvernement de gauche ou de droite en France n’arrêtera pas l’expansion de la dette nationale. Elle échouera rien qu'en essayant. Financer des vœux politique...

à écrit le 16/06/2024 à 14:37
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Macron a dissout LREM.

à écrit le 16/06/2024 à 8:22
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« Le président est moins gérable qu'avant » LOL ! ^^ Vous parlez quand même 'un gars qui s'est noyé dans l'affaire Benalla et qui nous a dit tout énervé "Qu'ils viennent me chercher !" Ben si de nos jours c'est pire que ça ça doit pas être beau à voi...

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