Les socialistes dans le piège des Insoumis

Les tractations s’enlisent au sein du Nouveau Front populaire. En soutenant la proposition pour Matignon d’Huguette Bello, les mélenchonistes sidèrent le PS. Récit d’un bras de fer.
Les nouveaux députés PS à l’Assemblée nationale, le 9 juillet.
Les nouveaux députés PS à l’Assemblée nationale, le 9 juillet. (Crédits : © LTD / ALAIN JOCARD/AFP)

Ces derniers jours, plusieurs socialistes ont été surpris de recevoir un appel de Julien Denormandie, ancien ministre de l'Agriculture et très proche d'Emmanuel Macron. La présidente de la Région Occitanie Carole Delga, le maire de Montpellier Michaël Delafosse, la présidente du Conseil national du PS Hélène Geoffroy ont tous été sondés sur leur vision des choses dans cette nouvelle ère politique qui s'ouvre. Le ministre délégué chargé des Transports, Patrice Vergriete, a aussi appelé certains élus socialistes, dont le président du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner. Au bout du fil, l'ancien maire de Dunkerque a brocardé auprès de ses interlocuteurs ces Insoumis « islamo-gauchistes et antisémites » avec qui les socialistes n'ont rien à faire.

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Ce que cherchent à savoir ces émissaires du président, c'est si une coalition avec une partie de la gauche est envisageable. De manière plus insidieuse, il s'agit de jauger jusqu'où les socialistes seront fidèles aux Insoumis. La première réunion du groupe PS mardi à l'Assemblée nationale a apporté un début de réponse. Les interventions des 65 députés fraîchement élus disaient la même chose : Jean-Luc Mélenchon a été « un boulet » à porter pendant cette campagne, qui a valu à certains de gagner de justesse, quand d'autres, comme Valérie Rabault, ont été balayés. Les élus des territoires ruraux ne veulent plus entendre parler des mélenchonistes. De retour au milieu des siens, François Hollande souscrit : « Il est impossible qu'une personnalité de La France insoumise soit nommée par le président. Quand bien même il le ferait, ça ne tiendrait pas trois jours. »

« Parties de poker menteur »

Quelques heures plus tard pourtant, les socialistes se retrouvent à nouveau face aux Insoumis dans un salon d'hôtel du 10e arrondissement. C'est désormais dans des salles feutrées, à l'abri des regards, que les représentants des quatre partis du Nouveau Front populaire se retrouvent des heures durant, avec cette question : qui proposer pour Matignon ? Quel gouvernement former ? À la table des négociations, les protagonistes décrivent tous des « parties de poker menteur », des « coups de bluff », dans une ambiance à peine cordiale, plutôt tendue.

Depuis le début des négociations, les socialistes proposent le nom de leur premier secrétaire, Olivier Faure. Tous l'ont soutenu, même ceux qui l'ont longtemps accusé de trahir la social-démocratie en s'alliant avec les Insoumis. À commencer par François Hollande, qui le considérait jusqu'alors comme l'un des principaux fossoyeurs du PS avant de lui donner mardi son onction : « J'appuie entièrement la démarche d'Olivier de gouverner et de constituer une équipe ! Tout autre nom est un renoncement à gouverner. »

Dans le bras de fer qui s'engage à gauche, les socialistes tentent de convaincre les Insoumis qu'ils peuvent légitimement prétendre à Matignon parce qu'ils auraient le plus gros bataillon. À ce stade, le groupe PS compte pourtant 65 députés contre 75 pour LFI. Mais, pour appuyer sa démonstration, Olivier Faure, demande aux chefs de file des députés et des sénateurs PS, Boris Vallaud et Patrick Kanner, de l'épauler à la table des négociations. Objectif : montrer aux mélenchonistes qu'ils comptent à eux seuls 129 parlementaires. Lorsque Boris Vallaud avance ce chiffre, Manuel Bompard, le bras droit de Jean-Luc Mélenchon, est furieux. Ce ne sont pas les règles qu'ils ont fixées jusqu'alors. Il faut dire que les Insoumis sont inexistants au Sénat. Mieux que ça, les socialistes prévoient aussi de faire une photo en commun en début de semaine, ceints de leurs écharpes d'élus, pour appuyer par l'image leur supériorité numérique.

Il est impossible qu'une personnalité de LFI soit nommée par le président. Ça ne tiendrait pas trois jours

François Hollande

Si les discussions s'éternisent autant, c'est aussi parce que socialistes et Insoumis ne parlent pas le même langage. Les premiers veulent gouverner quand les seconds veulent renverser la table. « Peu importe si on est censurés très vite, l'important, c'est le message envoyé aux Français », lâche un Insoumis face à des socialistes médusés. Un ténor du PS n'en revient pas de « leur culture insurrectionnelle ». Les socialistes s'étonnent aussi de la dureté de la task force mélenchoniste - Manuel Bompard, Clémence Guetté et Paul Vannier - dont certains sont décrits comme des « staliniens sans concession ». LFI met sur la table quatre noms pour Matignon : Manuel Bompard, Mathilde Panot, Clémence Guetté et... Jean-Luc Mélenchon. Rien d'acceptable pour leurs alliés socialistes puisqu'ils sont tous Insoumis.

Au milieu de tout cela, les écologistes tentent de faire le liant, ne fermant aucune porte. « Si vous trouvez une femme socialiste, on votera pour elle », assurent-ils, proposant le nom de la maire PS de Nantes, Johanna Rolland, qui fait partie des négociatrices. Mais cette dernière refuse, plus préoccupée par les municipales de 2026 que par un bail précaire à Matignon. Les écologistes brandissent aussi plusieurs tableurs Excel avec des propositions de répartition du nombre de ministres par force politique, variables en fonction du nom du Premier ministre. Les scénarios et les noms fusent, laissant penser à certains que tout cela n'est pas très sérieux. Un acteur des négociations dit avoir le sentiment de se retrouver à une « AG de l'Unef » plus qu'à une discussion entre responsables politiques.

Mercredi, alors que la réunion touche à sa fin, que le patron du PCF, Fabien Roussel, a quitté la salle, le communiste Christian Picquet soumet un nom : Huguette Bello. Cette inconnue du grand public est présidente du conseil régional de la Réunion. À 73 ans, elle en a passé vingt-trois sur les bancs de l'Assemblée nationale. Et voilà que cette proposition inattendue, lancée à la cantonade, devient, au fil des heures, l'objet d'un consensus sérieux entre communistes, écologistes et Insoumis.

Barrage à l'hypothèse Bello

Les socialistes peinent à y voir une proposition crédible tant elle sort de nulle part. « Huguette Bello, c'est sympathique, mais vous avez vu le nombre de casseroles qu'elle traîne ? » questionne un proche d'Olivier Faure, en référence à une condamnation en avril dernier par le tribunal administratif de la Réunion. Les socialistes digèrent mal aussi son opposition au mariage pour tous et son vote en 2004 contre la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques. Ils considèrent enfin qu'elle est, de fait, Insoumise, puisqu'elle figurait en avant-dernière position sur la liste de Manon Aubry aux européennes. Même si la députée de la Réunion a son propre parti, elle était auparavant membre du PCF avant de soutenir Ségolène Royal en 2007 puis Jean-Luc Mélenchon.

Pour eux, cette proposition est la goutte de trop et bien la preuve qu'ils ont face à eux « des gens qui ne veulent pas gouverner ». Vendredi, alors que les discussions doivent reprendre en fin de journée, les socialistes annulent la réunion dix minutes avant. Plus question de continuer à négocier. Se trame par la voix de la présidente du Conseil national du parti, Hélène Geoffroy, l'idée de soumettre le nom d'Olivier Faure au vote le lendemain, pour démontrer l'unité du PS derrière lui et mieux construire le barrage à l'hypothèse Bello.

Sortir de la nasse

Les Insoumis, eux, ne voient pas le problème. « C'est très méprisant de considérer que le nom d'Huguette Bello n'est pas sérieux. Pourquoi ? Parce c'est une femme issue des outre-mer ? Je ne comprends pas les arguments, s'étonne Manuel Bompard. La proposition convient à tout le monde sauf aux socialistes, on ne peut pas tous faire des pas sauf eux. » Samedi, c'est Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon, qui pousse ses alliés à la faute. « Le PS ne peut pas être l'obstacle à cet événement historique. Il se rendrait complice du coup de force d'Emmanuel Macron. » Le piège tendu semble trop gros. « Dans ces moments-là, celui qui est le premier à rompre est considéré à jamais comme le traître », soupire un sénateur PS.

Alors, comment sortir de cette nasse ? Au fil des jours, les socialistes en viennent peu à peu à cette idée de dénouer les liens qu'ils ont scellés avec ces Insoumis qui ne leur ressemblent en rien. Et si, pour ce faire, il fallait proposer un gouvernement quitte à ce qu'il soit renversé, pour ensuite légitimer la rupture avec les Insoumis ? « Laissez-nous au moins la chance de nous planter », plaide dans un demi-sourire un député PS. Mais Emmanuel Macron accepterait-il seulement la proposition du Nouveau Front populaire, quelle qu'elle soit ? Beaucoup ont intégré l'idée que tout ce mal qu'ils se donnent pourrait être vain, comme le résume un responsable socialiste : « On va finir avec un gouvernement technique dirigé par un Jean Castex de gauche comme Didier Migaud. Tout ça pour ça. »

Commentaires 11
à écrit le 14/07/2024 à 17:58
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Nous n'entendons plus beaucoup le FN/RN de Jordan Bardella. Vivement que la sourdine soit mise du côté du LFI de Melanchon. La France en dépit des extrêmes veut être gouvernée au Centre. Un centre social democrate dont les extrêmes ne veulent pas et...

le 15/07/2024 à 16:35
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La droite "sociale" c'est quoi? Celle qui soutient 56% de dépenses publiques et le tout-sauf-le-travail et une bureaucratie qui rend impossible entreprendre? Dans les années 60 quand les dépenses publiques représentaient 35% du pib le concept de ...

le 16/07/2024 à 8:50
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@AdieuBCE : la droite "sociale", c'était ce que pouvait faire De Gaulle, car à cette époque, les dépenses publiques ne servaient pas essentiellement comme aujourd'hui à acheter le vote de l'électorat retraité... La vraie droite française n'est pas ce...

le 16/07/2024 à 9:14
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Ceci dit, il y a de grosses réserves par rapport à l'époque des années 60 : à cette époque, la France était en reconstruction et le marché français était à l'abri de la concurrence et privée de ces facilités, l'industrie a commencé à s'affaisser dans...

à écrit le 14/07/2024 à 16:56
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Pourquoi proposer un premier ministre à Macron; c'est lui qui doit choisir !!

le 16/07/2024 à 8:36
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pour créer un désordre pire que 68 et que le president quite sa fonction melenchon en fonction mais qui des force de l'ordre acceptera puis des pays riverain qui risque d'etre contamine

à écrit le 14/07/2024 à 14:05
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"Les socialistes dans le piège des Insoumis" ! Pour survivre, ils ont préféré rester groupés (ou "groupir". NFP est un puzzle dont les pièces ne s'imbriquent pas. Qui vivra verra (cela ne devrait pas être très long).

à écrit le 14/07/2024 à 12:49
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Quel panier de crabes...is se foutent de la france Qui a pu voter pour ca!

à écrit le 14/07/2024 à 11:10
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Il ne fallait pas favoriser les candidatures des LFI et s'allier avec eux. C'est une faute grave que les socialistes et les écologistes n'ont pas fini de payer. Idem pour ceux qui se sont désistés pour eux même sans signer d'alliance...

à écrit le 14/07/2024 à 9:31
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Qui piège l'autre ? Ce sont les français qui se font balader par une marionnette McKinsey aux ordres d'une coalition bruxelloise !

à écrit le 14/07/2024 à 6:46
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Vous amalgamez trop les ménechonistes avec les insoumis pour être crédibles tandis que même sur lesp lateaux télé j'ai entendu de la part de chiens de garde néolibéraux, que Mélenchon et ses lieutenants sabotaient leur propre parti. Ce serait bien de...

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