Législatives : pourquoi Ciotti s’allie au RN

L’alliance passée, en catimini, par le président des Républicains avec Marine Le Pen et Jordan Bardella a fait exploser son camp.
Marine Le Pen et Éric Ciotti lors de la visite du roi Charles III le 20 septembre 2023.
Marine Le Pen et Éric Ciotti lors de la visite du roi Charles III le 20 septembre 2023. (Crédits : © LTD / OLIVIER CORSAN/LP/MAXPPP)

Mercredi, Éric Ciotti a appelé Nicolas Sarkozy. Il y avait longtemps qu'il ne l'avait pas fait. Depuis six mois, les deux hommes sont en froid. Alors en rendez-vous, l'ancien chef de l'État a décroché et lui a dit : « Je te rappelle. » Il ne l'a pas fait.

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Cet autre appel-là a été plus fructueux. Cette fois-ci, c'est le portable d'Éric Ciotti qui a sonné. Au bout du fil, Marine Le Pen. « J'aimerais qu'on se voie », propose, dimanche soir, la cheffe des députés RN au président des Républicains. Comme tout le monde, celle-ci a été prise de court par le choix d'Emmanuel Macron, à peine le résultat des élections européennes tombé, de dissoudre l'Assemblée nationale. Il lui faut sans tarder se retourner. Si elle a depuis longtemps un vif mépris pour Les Républicains, qui pour elle ne sont, pour la plupart, qu'un ramassis de lâches, elle a des relations très correctes avec leur président. Au sein du Palais-Bourbon, ils se croisent souvent. Ces derniers temps, ils se mettent même à échanger de plus en plus régulièrement.

Éric Ciotti ne réfléchit pas longtemps

À l'Assemblée, Éric Ciotti est un des trois questeurs, un poste qui le rend incontournable. Et puis c'est un homme très affable. Dans la classe politique, ils sont nombreux à le trouver sympathique. « C'est quelqu'un de bien ; entre Ciotti et Estrosi, je choisis immédiatement Ciotti », a coutume de dire François Bayrou, tandis que le maire de Nice et le président de LR se haïssent. Quand, en janvier, le patron du MoDem s'est vu claquer la porte du gouvernement par Gabriel Attal après sa relaxe dans l'affaire des assistants parlementaires de son parti, l'élu du Sud-Est l'a appelé pour savoir ce qui s'était passé.

Après le coup de fil de Marine Le Pen, Éric Ciotti ne réfléchit pas longtemps. Dans la nuit, il voit Alexandre Loubet, le directeur de campagne du RN pour les élections européennes, qui sera également celui de ces législatives précipitées. Le lundi, il rencontre la triple candidate à la présidentielle, Jordan Bardella et le député RN de Moselle Kevin Pfeffer, le trésorier du parti. Mardi, ils ont de nouveau rendez-vous. Dans la nuit qui suit, accompagné de Guilhem Carayon, le président des Jeunes Républicains, il tient réunion par visio, jusqu'à 3 heures du matin, avec, côté RN, Sébastien Chenu et Kevin Pfeffer, pour déterminer les 70 circonscriptions qui lui seront accordées. Si tout se passe bien, cela doit lui permettre de décrocher une trentaine de députés.

Selon lui, il est temps de se rendre à l'évidence : LR n'a plus d'espace

Quelques heures plus tôt, au 13 Heures de TF1, il a officialisé son « alliance » avec le Rassemblement national. Le député des Alpes-Maritimes a fait ainsi exploser sa famille. Gérard Larcher, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, Valérie Pécresse..., tous les hauts gradés du parti condamnent fermement le franchissement du cordon sanitaire qui existait depuis des années entre la droite et Marine Le Pen. Ils sont indignés de la manière dont Éric Ciotti a opéré, camouflant toutes ses tractations. Ils organisent la résistance afin de ne pas voir LR leur échapper. Sur fond de bataille judiciaire, c'est désormais un parti coupé en deux.

Le nouvel allié de Marine Le Pen n'en a cure. Il estime que c'est ce que les électeurs veulent. Selon lui, il est temps de se rendre à l'évidence : Les Républicains n'ont plus d'espace. Les européennes en ont été l'ultime illustration. Le macronisme s'est effondré, et pourtant LR n'a rien récupéré malgré la campagne sans raté de François-Xavier Bellamy. Ce printemps, Éric Ciotti pensait pourtant que la dénonciation par sa formation de l'aggravation brutale des déficits leur profiterait. « On peut penser que le RN n'en tirera pas les bénéfices, espérait-il alors. Dans les études qu'on a faites, l'étiquette de parti de gouvernement est toujours un élément mis à notre crédit. Cela peut nous faire connaître la dynamique qui est celle de Raphaël Glucksmann en ce moment. » Finalement, la liste Bellamy a récolté 7,2 % des voix. Si les LR ne bougent pas maintenant, ils disparaîtront définitivement, en déduit-il.

La stratégie à suivre

À cette conclusion politique s'ajoute, pour expliquer son cheminement, un facteur géographique. Dans les Alpes-Maritimes, la liste de Jordan Bardella a tout emporté. Éric Ciotti est inquiet pour sa réélection dans la première circonscription, qu'il détient depuis 2007. « Chez moi, je fais les comptes : cela ne passe pas, ça fait 50-50 », assure-t-il au téléphone, juste avant de s'exprimer sur TF1, à Laurent Wauquiez, qui veut l'empêcher de commettre le pire. Et puis il y a aussi une raison psychologique. Au fond, le Niçois ne s'est jamais senti reconnu à sa juste valeur. Il n'a jamais digéré le second tour de la primaire organisée par LR en 2021 pour désigner son candidat à la présidentielle de l'année suivante. Alors qu'au premier il était arrivé à la surprise générale en tête, tous les gradés du parti ont soutenu son adversaire, Valérie Pécresse. Il a une revanche à prendre.

Ces derniers mois, Éric Ciotti s'est beaucoup interrogé sur la stratégie à suivre. Au sein de son camp, le débat sur le dépôt d'une motion de censure à l'automne pour dénoncer notamment le bilan budgétaire de la Macronie n'a cessé d'enfler. Que faire ? François Baroin préconise de faire tomber le gouvernement pour imposer un dialogue à Emmanuel Macron et s'entendre non pas sur une alliance, mais sur quatre ou cinq réformes à mettre en œuvre. Le député des Alpes-Maritimes trouve l'idée de son ami intéressante. D'un autre côté, il a noué une relation privilégiée avec Gabriel Attal. Le Premier ministre, multipliant les contacts au sein de LR pour qu'une motion de censure ne soit pas votée, le consulte régulièrement. À Matignon, un de ses proches s'interroge sur l'après-européennes : « Ciotti peut-il venir au gouvernement ? C'est lui qui peut tout faire exploser. » Ministre, le quinqua ne l'a jamais été. Beaucoup savent qu'il rêve de le devenir.

Cette semaine, le faible nombre d'élus LR qu'il a entraînés dans son sillage a frappé. A-t-il payé là sa difficulté à accorder sa confiance ? Éric Ciotti aura malgré tout porté un rude coup aux siens. L'autre branche de LR, désormais présidée par la députée Annie Genevard, a dû désigner ses candidats aux législatives dans un chaos terrible. Au soir du second tour, qui aura le plus d'élus ?

Commentaires 2
à écrit le 16/06/2024 à 17:01
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Pour une fois, on peut être d'accord avec NS. Chiotti: un tapis brosse pour le FN. Cela risque d'être drôle lors des municipales...

à écrit le 16/06/2024 à 16:35
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"Ils sont indignés de la manière dont Éric Ciotti a opéré, camouflant toutes ses tractations" : mais les mêmes indignés ont passé, via Gérard Larcher, des accords locaux avec Renaissance, sans rien révéler au président LR élu par les adhérents. Avant...

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