Personne n'aime subir le catalogue de ses défauts. François Durvye s'est contenté d'une liste. Le conseiller de Marine Le Pen et DG d'Otium, fonds d'investissement du milliardaire conservateur-libertarien Pierre-Édouard Stérin, a dîné avec la cheffe des députés Rassemblement national le 9 juillet. Le président du parti, Jordan Bardella, est du nombre, encore un peu sonné. Le second tour des élections législatives a eu lieu l'avant-veille. Avec 126 sièges à l'Assemblée nationale, le RN est très loin de la majorité, même relative, qu'il était en droit d'espérer après la vague du premier tour. L'heure est au bilan, non dénué d'aspects positifs. Avec l'apport de son nouvel allié Éric Ciotti, le mouvement fondé par Jean-Marie Le Pen a recueilli plus de 10,1 millions de voix le 7 juillet. Il a presque multiplié par trois son réservoir de suffrages depuis les législatives de 2022.
Cette progression saisissante de l'extrême droite en France masque mal les dysfonctionnements de son principal réceptacle. François Durvye les égrène cash auprès de ses interlocuteurs. Le fameux « plan Matignon », à propos duquel Marine Le Pen assurait encore fin mai qu'il suffisait d'« appuyer sur un bouton » pour le mettre en branle, s'est avéré des plus lacunaires. Une fois de plus, et malgré sa normalisation, le Rassemblement national a fait émerger son lot de candidats ineptes, soit ouvertement racistes ou antisémites soit incapables de défendre un programme politique cohérent. « Qu'on ait eu deux personnes qui fanfaronnent sur ce plan pour se retrouver avec des gens qui portent des casquettes de SS, ce n'est pas normal », résume une tête pensante du parti.
Les individus visés sont Gilles Pennelle et Philippe Olivier. Le premier, opportunément élu eurodéputé le 9 juin, a quitté son poste de directeur général du parti. Le second, beau-frère et proche conseiller de Marine Le Pen, dispose d'un totem d'immunité malgré son mauvais caractère et ses idées diversement applicables. « Ça me paraît sous-optimal », a glissé François Durvye à la patronne, parlant de l'ancien mégrétiste. Sous-optimale, la gestion de Jordan Bardella l'est-elle également ? « Au sommet du parti, niveau com, ça a marché, mais tout ce qui est "déconcentré" a été laissé en jachère », développe un pilier du RN au Palais-Bourbon. Aux dires de Marine Le Pen, son poulain aurait pleinement conscience de la réorganisation à engager, notamment au niveau des délégations départementales. Des annonces doivent être faites en septembre, lors des universités d'été du parti.
« Dès lors, on aura six mois pour combler les failles qui ont pu survenir », résume auprès de La Tribune Dimanche la cheffe des députés frontistes. Qu'importe l'éviction totale du RN des instances de l'Assemblée : Marine Le Pen a surtout en tête la dissolution qu'Emmanuel Macron pourrait déclencher dès l'été 2025, avant les élections municipales. Les parlementaires y pensent aussi. Paniqués à l'idée de perdre leur siège, à l'instar de sortants comme Grégoire de Fournas, certains ont congédié leur collaborateur parisien pour tout miser sur le labourage en circonscription. « Ça ne me paraît pas crédible et, si c'est le cas, je pense que c'est erroné, prévient leur patronne. Nos failles sont liées à trois années consacrées à autre chose que le parti : la présidentielle, les législatives, l'Assemblée. C'est une faute collective. On s'est détournés du mouvement, qui a eu tendance à se relâcher. » Un cadre nous donne une version plus crue : « C'est le défaut des partis bonapartistes. On croit que quand le chef va, tout va. Là, on avait un très bon général, mais au lieu d'avoir des étalons on avait des ânes. »
Depuis deux semaines, le général Bardella se concentre sur ses troupes du Parlement européen. À Paris, Marine Le Pen a annoncé un serrage de vis dès son retour à la chambre basse. Ses fidèles sont coutumiers du repli défensif. Pas de rumination sur la contre-performance du 7 juillet, pas d'expressions personnelles divergeant de la ligne du groupe. Ex-leader du Front national de la jeunesse, Gaëtan Dussausaye - qui a ravi un fief à la Macronie dans les Vosges - se satisfait de cette reprise en main : « On a toujours dit, au parti, qu'on était plus forts unis. C'est une technique assez redoutable. » Elle n'empêche pas complètement les couacs. Le 11 juillet, la cheffe a dû rectifier des propos tenus dans Le Figaro par le secrétaire général du groupe au Palais-Bourbon, Renaud Labaye, sur la marche à suivre pour les motions de censure si un gouvernement de gauche venait à se constituer.
Méthodique et travailleur, le catholique versaillais cumule son poste avec celui de directeur de cabinet de Marine Le Pen. Cette double casquette pourrait évoluer. « Renaud a plein de compétences définies dans son "scope"... et des faiblesses hors de ce "scope" », grince un conseiller, pour qui la candidate à la présidentielle ne peut s'appuyer autant sur une seule personne. L'élue du Pas-de-Calais aurait déjà deux profils en tête pour diriger son cabinet. François Durvye n'en fait pas partie, même si son influence n'ira pas décroissante. A fortiori lorsqu'on sait - grâce aux révélations de L'Humanité - à quel point Pierre-Édouard Stérin, dont il est l'homme de confiance, prépare et finance l'arrivée au pouvoir de la droite nationaliste avec son projet Périclès. Le réseautage entrepris durant les législatives va se poursuivre. Un dirigeant du RN se plaint de ne pas être dans la boucle : « Mais c'est quoi, ce projet de merde ? » La frange socialétatiste, dont Jean-Philippe Tanguy est la figure la plus connue, se méfie d'un ascendant excessif des libéraux. « Je suis pour la polysynodie », affirme le député de la Somme, faisant allusion à la gouvernance collégiale instaurée sous la Régence. Pas ce qu'il y a de plus lepéniste.