Au pays malouin, les digues contre le RN ont cédé

Historiquement centriste, le territoire breton a largement basculé en faveur du Rassemblement national dimanche dernier. Un vote souvent justifié par un « ras-le-bol » assez indéfinissable.
Les affiches électorales à Miniac-Morvan, dans l’arrière-pays malouin.
Les affiches électorales à Miniac-Morvan, dans l’arrière-pays malouin. (Crédits : © LTD / FRANCK CASTEL POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Au moment du dépouillement à Saint-Malo dimanche dernier, Pierre-Louis Auffret a très vite senti le vent tourner. « J'étais assesseur dans un bureau d'un quartier réputé aisé. Bulletin après bulletin, on s'est aperçus que Jordan Bardella n'était pas loin de l'emporter », raconte-t-il. Le sentiment de ce fin observateur de la vie politique locale s'est confirmé quelques heures plus tard. Dans une salle municipale, la proclamation des résultats par le maire de la commune, Gilles Lurton, a donné des sueurs froides à la poignée de citoyens présents. Avec trois voix d'avance, le Rassemblement national (RN) de Jordan Bardella arrivait en tête, juste devant la majorité présidentielle. Un séisme pour la commune. Après recomptage, c'est finalement la liste portée par Valérie Hayer qui l'emportait de huit voix.

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Mais le malaise demeure : face à la percée bleu foncé, la cité corsaire ne tient plus qu'à un fil. « Pendant très longtemps, la Bretagne a été réputée imperméable aux idées du RN, analyse Pierre-Louis Auffret, professeur agrégé d'histoire. On parlait de plafond de verre incassable. » La preuve, à Saint-Malo, lors du dernier scrutin présidentiel, Marine Le Pen était arrivée en troisième position, bien loin d'Emmanuel Macron et juste derrière Jean-Luc Mélenchon.

Si c'est le RN qui gagne, ça ne m'empêchera pas de dormir

Gilles, poissonnier à Saint-Malo

Au sein des remparts de la commune, difficile de percevoir les secousses de ce séisme politique. À quelques jours du début de la période estivale, les touristes sont omniprésents. Attablés en terrasse d'un bar, des quinquas « qui ont la culture du bistrot » et « ne parlent pas beaucoup de politique » se risquent tout de même à évoquer les dernières législatives.

Gilles est allé voter pour les européennes et y retournera le 30 juin. « Mais pas pour faire barrage. Si c'est le RN qui gagne, ça ne m'empêchera pas de dormir », confie cet ancien électeur de Nicolas Sarkozy. Veste sans manches et bottes aux pieds, le commerçant poissonnier considère qu'il a été abandonné pendant la campagne. Pourtant il voit ses « factures augmenter » et sa « trésorerie ponctionnée ». « Les guéguerres à Paris, ça nous dépasse... », abonde Richard. Pour la première fois, le marin pêcheur ne s'est pas déplacé. Il n'ira pas non plus aux urnes pour les législatives : « Je suis en mer et je ne compte pas faire de procuration. »

La lutte contre l'immigration

Près des docks de Saint-Malo, les langues se délient plus facilement. Sous le regard interloqué d'un retraité qui tente sa chance avec un jeu à gratter, un groupe refait le monde à coups de blagues sur La France insoumise. Fred ne se cache pas d'avoir mis le bulletin RN dans l'urne. « On n'a pas essayé, pourquoi pas ? » explique le chauffeur routier. « Les autres, on a vu ce que ça a donné », poursuit-il dans une allusion au quinquennat Hollande, qui l'a déçu. Au cœur de ses priorités, la lutte contre l'immigration. Fred en a « ras le bol » et fait le lien avec l'insécurité qu'il juge grandissante dans la commune. Il prend l'exemple d'une épicerie qui a été braquée en bas de chez lui. Une lecture de la société malouine qui tranche avec celle de Gilles Lurton : « Saint-Malo est une ville apaisée, se défend le maire. Je ne pense pas que la situation de la commune soit en lien avec les résultats. »

Assis dans un fauteuil de l'hôtel de ville, l'élu, qui est aussi président de l'agglomération de Saint-Malo, constate les scores inédits du RN dans l'arrière-pays malouin. « Des communes principalement rurales », précise-t-il. Lors des européennes, le RN a dominé le scrutin dans 42 communes sur les 48 que compte le territoire. À 20 kilomètres au sud du littoral, niché entre les champs, Miniac-Morvan a largement voté en faveur du RN. Les panneaux électoraux, pas encore nettoyés, ne trompent pas. Seule l'affiche de Jordan Bardella, dont la liste a recueilli 43,58 % des suffrages, est demeurée intacte. Celles des candidates des Écologistes et de La France insoumise, Marie Toussaint et Manon Aubry, sont taguées. « Islamiste », peut-on lire.

Près d'une voix sur deux

Dans les rues presque désertes, deux collègues qui travaillent à Carrefour expliquent les raisons de la tentation RN. « Quand on fait des apéros, on en parle avec nos proches. On en vient à être tous d'accord. C'est le RN qu'il nous faut pour avoir du changement », justifie Audrey, 40 ans, avant de repartir au travail. En progrès de 14 points par rapport aux précédentes européennes, Jordan Bardella a su convaincre ceux qui ne s'intéressent pas à la politique. C'est le cas de Sophie, de repos ce jour-là et qui en profite pour promener son chien. « On se sent moins en sécurité. Il y a des cambriolages et des vols de voiture », déplore-t-elle. Pour les législatives, elle a déjà fait son choix. Ce sera le même bulletin que sa collègue, même si elle ne prononce pas le nom du parti de Marine Le Pen.

En évoquant le résultat dans sa commune de Baguer-Pican, Mélodie se dit inquiète. « C'est la mort du petit cheval », lance la trentenaire, qui crame une cigarette devant un restaurant qui propose un « menu ouvrier ». Ici, l'extrême droite a recueilli près d'une voix sur deux. Alors, l'opératrice de production dans une usine d'Ille-et-Vilaine, syndiquée CGT et électrice de gauche, compte se mobiliser dans toute la circonscription pour inverser la tendance. « Les gens sont perdus au point d'essayer tous les partis, se désole-t-elle. Sauf qu'ils ne se rendent pas compte des acquis sociaux qu'ils vont perdre en faisant élire le RN. » Il y a deux ans, le candidat Les Républicains, Jean-Luc Bourgeaux, avait été élu député en l'emportant contre une candidate MoDem. En début de semaine, il a annoncé qu'il prenait ses distances avec sa formation politique. Tout comme son mentor, Gilles Lurton, qui a rendu sa carte d'adhérent. « Une ligne rouge a été franchie », regrette le maire en référence à la stratégie nationale d'alliance avec le RN portée par Éric Ciotti.

De son côté, le candidat RN, Dylan Lemoine, affirme avoir enclenché la déclinaison locale du « plan Matignon » de son parti, juste après l'annonce de la dissolution. Il espère transformer l'essai après le raz-de-marée des européennes. Son directeur de campagne, qui le suit partout comme une ombre, ne souhaite donner ni son identité ni son métier. « Professionnellement, c'est compliqué... », lâche-t-il, un poil gêné. Preuve que le Rassemblement national n'est pas encore tout à fait banalisé en terre malouine.

Commentaire 1
à écrit le 16/06/2024 à 8:38
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Ce qui a déclenché cela, c'est le vote sur la loi immigration en Janvier 2024. Les Français se sont sentis trahis. Cette loi était censée faire baisser l'immigration, au final il n'en a rien été

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