Partout, le long de la bouillonnante Avenida Baralt de Caracas, le même visage moustachu et souriant. Les affiches à l'effigie de Nicolás Maduro ont envahi les rues de la capitale vénézuélienne. Ce n'est pourtant pas suffisant pour convaincre Daisy de voter pour son président. « Je vais choisir l'opposition, affirme la jeune femme, assise à l'ombre de son kiosque. Nous avons besoin de changement pour que l'économie s'améliore. »
À une semaine de l'élection présidentielle, c'est tout un pays ou presque qui se prend à rêver d'un changement de régime, vingt-cinq ans après l'arrivée au pouvoir des chavistes. À l'origine de cet enthousiasme, il y a une femme, figure de l'opposition : María Corina Machado. Pourtant, dimanche, ce n'est pas elle qui a rontera le président sortant, l'indéboulonnable Nicolás Maduro, qui brigue un troisième mandat. Condamnée à quinze ans d'inéligibilité par la justice vénézuélienne pour avoir soutenu les sanctions américaines, la députée de droite de 56 ans a dû céder sa place à Edmundo González Urrutia, un diplomate de dix-huit ans son aîné, jusqu'alors inconnu du grand public.
Pour autant, Machado n'a pas disparu de la campagne. Elle y est même omniprésente, mettant son énergie au service de son discret remplaçant. Depuis des semaines, elle sillonne le pays en compagnie de son binôme, pour appeler ses partisans à voter « Edmundo ». Ses admirateurs marchent parfois plusieurs kilomètres pour rejoindre ses bruyantes caravanes. Même le 6 juillet dans la ville de Barinas, pourtant située dans la région d'origine de l'ex-président Hugo Chávez, sa venue a pris des allures de triomphe romain. « C'est du jamais-vu dans un bastion chaviste », s'étonne encore Jesús Seguías, président de l'institut de sondages Datincorp.
Un candidat plus policé
La stratégie de l'hydre à deux têtes adoptée par l'opposition semble en tout cas porter ses fruits. Selon la dernière enquête du cabinet indépendant OCR Consultores 21, Urrutia récolte près de 60 % des intentions de vote, tandis que le président sortant plafonne à un très maigre 12,5 %. « Le ras-le-bol contre le chavisme est très prégnant, explique Raniero Cassoni, politologue à l'université centrale du Venezuela. La crise économique, la détérioration du niveau de vie, l'exil de millions de Vénézuéliens qui a déchiré les familles... Tout joue contre Maduro. »
L'aura de María Corina Machado fait le reste. Cette popularité, l'ancienne ingénieure l'a acquise à force de confrontations avec le régime chaviste. Dès 2004, la mère de famille avait réuni plusieurs millions de signatures dans le cadre du référendum révocatoire contre le fondateur de la République bolivarienne, Hugo Chávez. Vingt ans plus tard, « elle récolte les fruits de sa cohérence politique », estime Raniero Cassoni.
À l'approche du scrutin, la libérale conserve la même ligne radicale à l'endroit de ses adversaires politiques. « Maduro a fait de la violence et de la répression sa campagne », martelait-elle encore cette semaine, après le placement en détention son chef de la sécurité. Régulièrement, elle qualifie Maduro de dictateur et promet de l'envoyer derrière les barreaux s'il venait à perdre le pouvoir.
Évidemment, ses déclarations ravageuses lui valent une haine viscérale de la part du camp présidentiel. Elles lui ont ainsi coûté son éligibilité, alors qu'elle avait remporté haut la main la primaire de l'opposition en décembre. « Jamais les autorités chavistes n'accepteront qu'elle gouverne », assure Jesús Seguías. Le profil plus consensuel et policé d'Edmundo Urrutia conviendrait mieux à un Maduro défait, qui se verrait contraint de négocier une éventuelle transition démocratique. Au moins pourrait-il tenter de s'assurer une certaine tranquillité politique et judiciaire.
Reste à savoir si María Corina Machado accepterait ou non de se mettre en retrait du pouvoir en cas de victoire de son binôme. « Si le gouvernement sent qu'Urrutia n'est qu'un subalterne qui lui laissera les manettes, il trouvera le moyen d'interdire sa candidature à lui aussi », prédit l'analyste.
Habitués aux stratagèmes de l'exécutif pour se maintenir au pouvoir, les Vénézuéliens peinent d'ailleurs à croire que Maduro puisse laisser sa place au palais de Miraflores. « Cela fait onze ans qu'il est là, pourquoi cette fois il s'en irait ? » lâche Manuel, qui vend du café et des jus de fruits près de la plaza Bolívar. Alors que les arrestations d'opposants se multiplient, les déclarations du président mercredi semblent lui donner raison : il a prévenu que le pays ferait face à « un bain de sang » s'il perdait les élections.