« Liberté, liberté ! » est le cri de ralliement des opposants au président Maduro, dont la réélection le 28 juillet dernier pour un nouveau mandat est largement contestée. Alors que des émeutes dans les rues de Caracas ont déjà fait douze morts, la situation de ce pays de 28 millions d'habitants risque de dégénérer en « bain de sang ». En proie à une profonde crise économique depuis des décennies, en dehors de la capitale Caracas, le Venezuela fait face à des pénuries de carburant, au rationnement de l'électricité, à des hôpitaux délabrés et souvent mal reliés par des routes vétustes. Un paradoxe pour cet Etat qui est aussi le premier détenteur au monde de réserves de pétrole.
Jusqu'à présent, le premier producteur de pétrole d'Amérique du Sud et 21ème au niveau mondial, est parvenu à compenser les déséquilibres de son économie par une augmentation régulière des prix du baril au cours des 14 années de mandat du président Hugo Chavez (1999-2013). Mais son successeur, Nicolas Maduro, soucieux de poursuivre le socialisme « chrétien et marxiste-léniniste » de son prédécesseur, et qui brigue un troisième mandat jusqu'en 2031, peine à redresser les indicateurs économiques de son pays.
L'exode des Vénézuéliens
Alors que le Venezuela tente de désétatiser son économie au début des années 1990 sous le président Perez, l'élection de Nicolas Maduro en 2013 poursuit, lui, l'héritage d'Hugo Chavez, avec la nationalisation des principaux secteurs de l'économie : le pétrole, l'agriculture et les produits manufacturés. Lorsque Maduro arrive au pouvoir, 200.000 entreprises ont ainsi disparu, 1.600 ont été nationalisées et les investisseurs les plus actifs ont fui le pays, rappelle l'AFP.
Dans le même temps, les chiffres de la productivité d'une économie totalement administrée sont inédits : entre 2013 et 2022, le PIB s'est effondré de 80% provoquant, selon l'ONU, l'exode de quelque 7,7 millions de Vénézuéliens, soit un quart de la population, vers les pays voisins comme la Colombie et ailleurs dans le monde.
Le président socialiste impute souvent la crise économique aux sanctions imposées en 2019 par les Etats-Unis pour contester sa réélection décriée de 2018. Après un assouplissement de six mois de novembre à mai 2024, Washington a réimposé des sanctions estimant que le scrutin présidentiel ne présentait pas suffisamment de garanties démocratiques.
Défauts de paiement partiel
Pour autant, le président Maduro s'est targué d'afficher une croissance économique de plus de 5% en 2023.
« Pour l'année 2024, nous prévoyons une croissance du produit intérieur brut de notre pays de l'ordre de 8% de l'économie nationale », a-t-il ajouté. Il a assuré que la croissance avait été de 15% en 2022.
Mais les données précises et vérifiées sont rares. Le cabinet Albus Data a, lui, estimé la croissance en 2023 à 2%. Un autre cabinet, Ecoanalotica, estime que le PIB a stagné avec un léger recul de -0,7%.
Ultra-dépendante des revenus du pétrole, l'économie bolivarienne oscille donc entre croissance faible et récession. Fin 2017, le pays est même déclaré en défaut partiel en raison du recul des prix du baril. Le 2 janvier 2018, le Venezuela est de nouveau déclaré en défaut de paiement partiel. L'allié russe vient d'ailleurs épauler Caracas en restructurant un crédit. Lors de la crise Covid de 2020, alors qu'il regorge de pétrole dans son sol, le pays ne parvient pas à approvisionner la population en carburants. Le prix du gazole y reste aussi très cher. Et ses exportations d'or noir diminuent en raison de l'embargo américain. Toutefois, les Etats-Unis restent un des principaux clients du Venezuela, derrière la Chine.
En crise de productivité, le pays de Maduro est contraint d'importer de nombreux produits américains, essentiels à l'économie.
La corruption systémique
Le revenu principal de l'Etat reste la vente de pétrole. Mais au sommet de celui-ci, les entreprises publiques sont gangrénées par une corruption systémique qui ronge les finances publiques. Les détournements passaient notamment par l'usage de la cryptomonnaie centralisée et étatique, le Petro. Avec le Soudan du Sud, la Syrie et la Somalie, le Venezuela fait partie du quatuor de tête de l'indice de perception de la corruption de l'ONG Transparency International.
Dans le même temps, la dette publique s'accumule. Parmi les pays en développement ou émergents ayant la plus importante dette, le Venezuela se classe dans le peloton de tête puisqu'elle pèse 240,5% de son PIB en 2021.
Jusqu'à +234% d'inflation en 2023
Qui dit dette publique, dit aussi augmentation artificielle des liquidités en circulation pour financer l'Etat, via la banque centrale qu'il contrôle.
Résultat, malgré un récent reflux, l'inflation vénézuélienne reste difficilement soutenable. En glissement annuel, elle est tombée à 59,2% en mai 2024, restant l'une des plus élevées au monde, a révélé vendredi la Banque centrale du Venezuela (BCV). Or le pays a enregistré une inflation de 189,8% en 2023, contre 234% en 2022 et 686,4% en 2021, après quatre années d'hyperinflation. En 2018, la BCV estime même qu'elle a atteint +130 000% en raison de la chute des revenus pétroliers créant un déficit colossal.
Pour les Vénézuéliens, les dévalutations récurrentes de la monnaie nationale (le bolivar) pour tenter de stopper la spirale de l'inflation, n'ont que peu d'effets. La dollarisation progressive de l'économie a toutefois ralenti le phénomène.
Mais le salaire minimum, de 130 bolivars par mois (5,25 dollars) est inférieur à celui de Cuba (17,5 dollars) et loin derrière des voisins comme la Colombie (285 dollars) ou le Brésil (264 dollars), selon les agences. L'argent envoyé par la diaspora vénézuélienne vers le pays joue donc un rôle important pour les foyers.
Un narco-Etat
Si le pays n'est plus un coupe-gorge selon l'ONU, l'insécurité perdure néanmoins. Avec un chômage de plus de 35% en 2021, selon le FMI, des gangs tentaculaires se concentrent encore sur l'extorsion, en hausse comme l'estiment des criminologues.
Surtout, le Venezuela joue un rôle actif dans le trafic de drogues. « Traditionnellement, le Venezuela a toujours servi d'escale à la drogue colombienne, en grande partie en raison de leur frontière commune de 2.200 kilomètres qu'il est impossible de contrôler efficacement, car elle est couverte majoritairement par la jungle », explique le Centre français de Recherche sur le Renseignement. En 2005, le président Hugo Chavez a rompu toutes les relations avec la Drug Enforcement Agency (DEA) sous prétexte d'« espionnage » américain ce qui a grandement permis aux trafiquants d'augmenter le flux de drogue, principalement de la cocaïne, détaille-t-il encore.
En 2022, la pauvreté est tombée à 50,5 % de la population, grâce à la fin de la crise Covid qui a porté à la hausse les revenus du pétrole. Mais l'inégalité des revenus entre les habitants a, elle, continué de se creuser, selon une étude de l'Enquête nationale sur les conditions de vie (ENCOVI).
(Avec AFP)