Mission réussie pour l'Agence France Trésor. L'État français a levé de l'argent via quatre emprunts, qui devront être remboursés entre 2033 et 2066, ce qui lui a permis de récupérer 10,5 milliards d'euros, le haut de la fourchette visée, a annoncé cette dernière ce jeudi.
L'opération est habituelle. La France doit lever au minimum 285 milliards d'euros à moyen et long terme en 2024 pour couvrir à la fois le déficit et emprunter pour rembourser les emprunts précédemment émis qui arrivent à échéance.
Jeudi, les investisseurs ont répondu avec une demande plus de deux fois supérieure à l'offre pour chacun des quatre emprunts, selon le tableau de l'AFT récapitulant l'opération. C'est une proportion en ligne avec des précédents emprunts, même si l'Agence France Trésor ne fait pas de commentaire sur le déroulé.
« Le rendement attire toujours les investisseurs, c'est une donnée qui ne change pas », expliquait mercredi à l'AFP François Rimeu, stratégiste senior chez Crédit Mutuel AM.
La France a, par exemple, emprunté 3,6 milliards d'euros à rembourser dans 10 ans, au taux de 3,23%. Ce taux est fixe et la France payera des intérêts à ce taux pour cet emprunt quelle que soit l'évolution sur le marché obligataire. Lors du dernier emprunt à cette échéance, en mai, le taux était de 3,03%.
Un contexte politique tendu
La demande des investisseurs pour la dette française est davantage regardée dans le contexte de la dissolution de l'Assemblée nationale. La décision a mis sous pression les taux d'intérêt français, qui se sont fortement écartés de la référence en Europe, le taux allemand, sur le marché obligataire. Pour rappel, le marché obligataire est l'endroit où les investisseurs s'échangent des titres de dettes déjà émis, et qui influence fortement les taux auxquels la France émet ses emprunts.
Par ailleurs, les incertitudes des investisseurs quant à la politique des banques centrales en Europe et aux États-Unis, ainsi qu'un mouvement de hausse des taux américains après l'avantage pris par Donald Trump lors du récent débat présidentiel américain, ont amené la référence française, le taux à 10 ans, à monter jusqu'à plus de 3,30%. C'est son plus haut niveau depuis novembre. Jeudi, vers 11h20, le taux à 10 ans français sur le marché obligataire tournait autour de 3,27%, en légère hausse par rapport à la veille (3,25%), un mouvement similaire à son équivalent allemand (2,60%).
L'écart entre le taux allemand et le taux français s'est néanmoins nettement réduit depuis le début de semaine, dans le sillage des résultats du premier tour des élections législatives. Alors que l'écart avait atteint 0,84 point de pourcentage vendredi, le plus haut niveau depuis 2012 et la crise de l'euro, il est tombé jeudi à 0,67 point de pourcentage. Il demeure toutefois largement au-dessus de ses niveaux avant la dissolution, inférieurs à 50 points de base.
Autre signe d'apaisement des tensions, la Bourse de Paris rebondit de 2,8% sur la semaine par rapport à sa clôture de vendredi, les investisseurs estimant désormais moins probable la possibilité que le Rassemblement national obtienne la majorité à l'Assemblée nationale.
Le fardeau de la dette française
Cette émission de dette est d'autant plus un succès que le gouvernement actuel a été pointé du doigt pour sa mauvaise tenue des finances publiques. En effet, après avoir vu sa note souveraine dégradée par l'agence de notation S&P Global Ratings fin mai, la France a été épinglée en juin par la Commission européenne qui a ouvert la voie à une procédure pour déficit public excessif.
D'après les derniers chiffres de l'Insee, la dette publique de la France a grimpé à 110,7% du PIB à la fin du premier trimestre, contre 109,9% (revu en baisse) à la fin de 2023. L'endettement public du pays, qui s'est massivement accru depuis la crise sanitaire, a augmenté de 58,3 milliards d'euros pour atteindre 3.159,7 milliards d'euros, a précisé l'Institut national de la statistique.
Pour réduire la dette et ramener le déficit public sous le seuil européen de 3% du PIB, le gouvernement prévoyait, avant l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin, un effort budgétaire de 20 milliards supplémentaires en 2024, puis encore 20 milliards en 2025.
Les finances publiques au centre des législatives
Le mauvais état des finances publiques est devenu un des sujets centraux de la campagne des législatives anticipées, où le deuxième tour doit avoir lieu ce dimanche. Les promesses électorales souvent dispendieuses se sont multipliées, de la gauche à l'extrême droite, en passant par le gouvernement.
Jordan Bardella, président du Rassemblement national, compte par exemple lancer un grand audit « chargé de faire la lumière sur les finances publiques et les dérives budgétaires sans précédent du pouvoir sortant ». Les mesures sur le pouvoir d'achat seront financées par des « économies », a-t-il expliqué. Le RN propose notamment la « rationalisation des agences publiques de l'Etat », avec « la suppression des Agences régionales de santé » à l'horizon 2025. Il souhaite également s'appuyer sur la « priorité nationale » pour « réduire la dépense sociale », ou encore « simplifier drastiquement le millefeuille territorial ». Autre source d'économies promise : la privatisation de l'audiovisuel public.
De son côté, le Nouveau Front populaire, qui rassemble plusieurs forces de gauche, a proposé d'enclencher « un cercle vertueux » économique en dévoilant un projet de financement de son programme à l'équilibre, répondant à ses adversaires qui l'accusent de fuite en avant budgétaire. Selon son chiffrage, les dépenses publiques supplémentaires atteindraient 150 milliards d'euros fin 2027 en cas d'élection, pour des recettes évaluées également à 150 milliards d'euros, grâce surtout à une hausse de la fiscalité.
Enfin, le gouvernement a, lui, réitéré son ambition de ramener le déficit public sous le seuil de 3% du PIB en 2027, dans les clous européens.
(Avec AFP)