Législatives  : les agriculteurs face à la crainte d'être sacrifiés

ANALYSE. Après avoir été au centre de l'actualité pendant des mois, les préoccupations des agriculteurs sont aujourd'hui négligées dans la campagne des législatives, regrettent leurs représentants. Le caractère flou des propositions comme du calendrier fait craindre une mise aux oubliettes.
Giulietta Gamberini
« On n'a pas beaucoup parlé de l'agriculture lors du débat de hier », regrettait le président de l'Association des chambres d'agriculture, Sébastien Windsor, lors d'une conférence de presse le 26 juin, au lendemain du débat organisé par TF1 entre Gabriel Attal, Jordan Bardella et Manuel Bompard.
« On n'a pas beaucoup parlé de l'agriculture lors du débat de hier », regrettait le président de l'Association des chambres d'agriculture, Sébastien Windsor, lors d'une conférence de presse le 26 juin, au lendemain du débat organisé par TF1 entre Gabriel Attal, Jordan Bardella et Manuel Bompard. (Crédits : BENOIT TESSIER)

Depuis le vote aux européennes du 9 juin, et la décision du président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, les agriculteurs craignent que, pour eux, le vent ait radicalement tourné. Non seulement, au grand dam des syndicats agricoles majoritaires qui les avaient négociées pendant des mois, les réformes promises voire engagées par le gouvernement actuel sont tombées aux oubliettes, leur avenir restant suspendu à l'issue d'un scrutin historique. Aussi, au goût des agriculteurs, les campagnes négligent trop leurs préoccupations.

« On n'a pas beaucoup parlé de l'agriculture lors du débat de hier », regrettait le président de l'Association des chambres d'agriculture, Sébastien Windsor, lors d'une conférence de presse le 26 juin, au lendemain du débat organisé par TF1 entre Gabriel Attal, Jordan Bardella et Manuel Bompard.

« Dans un contexte d'hystérisation très rapide des sujets politiques, on voit bien que, sauf dans certaines circonscriptions rurales, nos revendications ne font plus partie des priorités affichées par les candidats », convient le président des Jeunes Agriculteurs, Pierrick Horel.

De forts espoirs

Une frustration d'autant plus forte qu'en début 2024, après plusieurs mois de protestations à bas bruit dans les campagnes, les agriculteurs avaient finalement réussi à secouer la classe politique et l'opinion publique française d'une manière inédite. Leurs barrages des routes et leurs tracteurs dans les rues avaient fait la Une des médias pendant plusieurs semaines, en leur permettant d'obtenir, de la part du gouvernement français comme de l'UE, des concessions qualifiées d'inespérées par leurs propres syndicats.

Fin février, les jours suivant la tumultueuse inauguration du Salon de l'Agriculture par le président de la République, tous les principaux personnages politiques, Jordan Bardella en tête, en avaient arpenté pendant des heures les allées, dans la tentative de récupérer la colère agricole. Puis, au printemps, les débats sur l'avenir de l'agriculture avaient chauffé les rangs de l'Assemblée nationale, notamment à l'occasion de discussions tendues autour de la loi d'orientation agricole, qui élevait ce secteur économique à « intérêt général majeur du pays ».

Cette séquence avait suscité de forts espoirs, rappelle Sébastien Windsor. Elle avait aussi partiellement répondu à un besoin d'écoute et de nouvelle dignification du métier, observe Patrick Horel.

Grand flou sur les « prix planchers »

Or aujourd'hui, les agriculteurs ne savent plus à quoi s'attendre. « Il y a très peu de propositions agricoles dans les programmes des candidats », ou alors « elles sont très vagues et très généralistes », analyse Sébastien Windsor. Certaines, en plus, inquiètent.

Rien n'est clair notamment concernant la principale revendication agricole, celle de prix rémunérateurs. Le programme d'Ensemble ressort les « prix planchers par filière » déjà évoqués par Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture, mais dont les contenus n'avaient jamais été précisés. Salués par les syndicats agricoles minoritaires, ils avaient été désavoués par ceux majoritaires ainsi que par le ministère de l'Agriculture et de la souveraineté. Il ne sont d'ailleurs pas mentionnés dans les conclusions partielles de la mission parlementaire, suspendue, censée proposer une révision des lois Egalim. On découvre qu'ils seraient censés entrer en vigueur dès 2025, sans plus de précisions.

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Le Rassemblement national (RN) compte pour sa part mettre en place des « prix minimums garantis », assurant aux agriculteurs de vendre leurs produits à des prix supérieurs aux coûts de revient plus les marges, déclare à La Tribune Grégoire de Fournas, ancien député de la 5e circonscription de la Gironde et candidat à sa propre réélection. Pour les instaurer, il n'envisage toutefois qu'une « amélioration des outils juridiques existants », sans nouvelle loi. Quant au Nouveau Front Populaire (NFP), il  promet d'« engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution » dès les premiers 15 jours après les législatives. Une approche qui sèmerait sans doute la discorde dans la chaîne agro-alimentaire.

Des visions opposées des phytosanitaires

Les produits phytosanitaires et l'eau, que tous les syndicats agricoles, sauf la Confédération paysanne, considèrent comme des « moyens de production » aujourd'hui incontournables, font pour leur part l'objet d'une opposition radicale qui brouille toute prévision. Le NFP assume de souhaiter les réduire, « soutenir la filière du bio et l'agroécologie » et promet immédiatement « un moratoire sur les méga-bassines ».

« Nous voulons en finir avec l'écologie punitive, qui nuit aux coûts et à la compétitivité de la production française. Nous voulons désormais nous aligner sur les normes européennes, sans 'surtranspositions' », plaide pour sa part Grégoire de Fournas, également vent debout contre le Pacte vert européen et « sa stratégie de décroissance ».

Quant à la majorité, elle avait reproposé en mai l'objectif de réduire de 50 % l'utilisation des phytosanitaires à l'horizon 2030, mais avait modifié l'indicateur utilisé pour mesurer l'atteinte de cet objectif. Elle soutenait aussi une réduction des contentieux contre les réserves d'eau de substitution. Deux choix critiqués par les défenseurs de l'environnement.

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Quelle vision de la souveraineté et du libre échange?

Autre sujet sensible et clivant, le sort des accords de libre-échange, pointés du doigt par les agriculteurs comme sources de distorsions de la concurrence entre les produits européens et ceux provenant de pays tiers. Si la majorité présidentielle prône une approche au cas par cas en fonction des équilibres des intérêts en cause (oui au Ceta avec le Canada, mais non au Mercosur), le NFP et le RN y sont radicalement opposés, malgré la crainte d'une partie du secteur agricole des effets du renoncement à certains marchés. L'agriculture française a « besoin de rester dans un monde ouvert », ainsi récemment plaidé Arnaud Rousseau, président du premier syndicat agricole, la FNSEA.

Le RN, le NFP et Ensemble ne partagent d'ailleurs pas la même vision de la souveraineté alimentaire, dont le projet de loi d'orientation agricole, approuvé par l'Assemblée nationale avant sa dissolution, avait tenté une première définition. Ni des contours de la prochaine Politique agricole commune (PAC), dont le parti présidé par Jordan Bardella affirme explicitement vouloir « nationaliser et simplifier les modalités d'attribution d'aides ». Un « détricotage » qui, selon Sébastien Windsor, serait « un signe extrêmement compliqué et probablement assez dévastateur pour l'agriculture françaises ».

« Pour éviter des distorsions de concurrence », il faut aussi « de la régulation, des normes, des règles communes », estime-t-il.

A l'opposé, le NFP veut  réorienter les crédits de la PAC au profit de la transition agroécologique.

Le risque de se retrouver « en dessous de la pile »

Les inquiétudes concernant les contenus des débats sont aggravées par celles sur le timing. Même si la majorité actuelle devait de nouveau remporter les législatives, la loi d'orientation agricole, qui satisfaisait quelques demandes des agriculteurs, et qui avait des chances d'être approuvée par le Sénat et par la Commission mixte paritaire avant la mi-juillet juillet, devra être réexaminée par les deux chambres. De nouveaux députés devront en outre être briefés, regrette Sébastien Windsor.

La mission parlementaire censée proposer une nouvelle réforme des négociations commerciales annuelles entre les grands distributeurs et leurs fournisseurs, dont dépendent aussi les prix payés aux producteurs, a été interrompue. Les chances qu'elle puisse reprendre et aboutir avant la prochaine session de tractations l'hiver prochain sont quasi-inexistantes.

Ensemble ne prévoit de surcroît aucune mesure agricole parmi celles promises pendant les premiers 100 jours. Celle du NFP d'« engager les négociations commerciales » en juillet semble complètement déconnectée de la réalité juridique et de l'organisation des acteurs actuelle.

« Le sujet agricole ne doit pas repasser en dessous de la pile », plaide Sébastien Windsor, tout en appelant les candidats à « ne pas faire de promesses inatteignables au monde agricole pour ne pas se remettre dans une situation compliquée ».

Les syndicats en lice pour les Chambres d'agriculture

Malgré ces incertitudes, les syndicats agricoles comme les Chambres d'agriculteurs refusent de donner des consignes de vote à des agriculteurs en moyenne plus à droite que le reste des Français, mais globalement moins enclins à voter RN que les ruraux, bien que de plus en plus divisés, selon une étude du centre de recherches politiques Cevipof réalisée avant les européennes.

La probabilité toutefois que les agriculteurs réinvestissent à l'automne, une fois les moissons et les vendanges passées, l'espace public, est élevée. D'autant plus que la perspective des élections des Chambres d'agriculture en janvier va raviver la compétition entre les syndicats.

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Remettre en cause ce qui a été obtenu par les agriculteurs en début d'année « serait scabreux », met en garde le président des Jeunes agriculteurs, particulièrement attachés aux dispositions du projet de loi agricole qui s'attaquaient à la question de la transmission des exploitations. « Si on se retrouve à devoir reformuler exactement les mêmes revendications que l'année dernière, on se réserve de retourner dans la rue », admet Pierrick Horel.

Giulietta Gamberini
Commentaires 7
à écrit le 28/06/2024 à 14:03
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Ecoutez "le gros paysan" de Pierre Perret

à écrit le 28/06/2024 à 13:30
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et bien oui le RN leur a fait un bébé dans le dos en voulant baisser de 2 milliards d euros la contribution de la France au budget européen donc moins de PAC aux agriculteurs francais, qui sont les dindons de la farce ?

à écrit le 28/06/2024 à 8:13
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L'unique problème des agriculteurs c'est l'agro-industrie et tout ces farouches collaborateurs mais ils ont trop de sueur dans les yeux pour le voir.

à écrit le 27/06/2024 à 22:22
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Ils iront bientôt tout le loisir d'aller demander des subsides à leur mentor (si...si, leur mentor!) Jordan Bardella. Après s'être fait "enfler" par la FNSEA, le FN/RN finira le travail de sape. Amis agriculteurs, vous misez sur les mauvais chevaux.

à écrit le 27/06/2024 à 21:22
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Ce qui reste encore d' agriculteurs pratiquant une agriculture extensive n' a toujours pas compris : 1 / qu' ils auront beau augmenter leurs surfaces d' exploitation ( le plus souvent en quasi mono-culture ) ils ne pourront jamais rivaliser avec par...

le 27/06/2024 à 22:21
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leur ministre reste silencieux ! a t il fait le choix de s exonérer des difficultés rencontrées. CTEA ET MERCOSUR et tout reporter un gouvernement qui ne protège pas son agriculture court à sa perte

le 27/06/2024 à 22:25
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@ Heteroi - Pour le vin c'est déjà en partie réalisé, ce qui n'est point tant stupide vu le niveau de standardisation des méthodes de vinification.

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