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Si le RN était au pouvoir : les scénarios du chaos

Remise en question des valeurs de la République, risque de faillite, sortie prévisible de l’Union européenne… Le RN défend toujours un projet de rupture radicale.
Une fresque peinte par Banksy, à Douvres, en Angleterre.
Une fresque peinte par Banksy, à Douvres, en Angleterre. (Crédits : © LTD / Dan Kitwood / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP)

Depuis quinze jours le Rassemblement national a reporté ses promesses les plus coûteuses. Mais son programme nationaliste et populiste induit une sortie de la voie républicaine empruntée par le pays depuis la Révolution. Explications.

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La négation de cinq cents ans d'histoire de France

Sans surprise, Jordan Bardella a érigé l'immigration en sujet prioritaire, indiquant qu'il agira dans ce domaine dès l'été s'il accède à Matignon. Pour réduire au minimum les entrées sur le territoire, restreindre les droits des étrangers et freiner la mixité - le cœur de son projet depuis sa création -, le RN a réitéré ses propositions : suppression de garanties juridiques sur les expulsions, durcissement du regroupement familial, suspension de la régularisation des travailleurs sans papiers par les préfets (circulaire Valls), instauration d'un délit de séjour irrégulier, réforme de l'aide médicale d'État, interdiction d'emplois dits « stratégiques » (sans précision) aux binationaux... Dans le même temps, les dérapages sur les réseaux sociaux de plusieurs dizaines de candidats ou suppléants investis sous l'étiquette RN ont rappelé dans le débat public la nature du parti fondé par Jean-Marie Le Pen.

Le RN le sait, de nombreuses mesures seront à coup sûr invalidées par le Conseil constitutionnel. Parce qu'elles dérogeraient aux textes fondamentaux et aux traités internationaux, notamment ceux qui protègent les familles (on ne sépare pas un parent de ses enfants) et la dignité humaine (on vient en secours à tout être humain malade ou en danger vital, par exemple). Les sages ont retoqué en avril un projet de LR (identique à celui du RN) visant à interdire le versement des aides sociales aux étrangers vivant en France depuis moins de cinq ans, jugeant que cette condition portait une « atteinte disproportionnée » aux garanties constitutionnelles.

En outre, s'agissant de l'acquisition de la nationalité, le RN veut supprimer le droit du sol. Ce droit permet aujourd'hui à des enfants nés en France de parents étrangers d'obtenir la nationalité à leur majorité, voire à partir de l'âge de 13 ans, sous condition de résidence. Ce droit remonte à l'Empire romain, il est consacré dans le royaume de France en 1515 puis dans le Code Napoléon. Et finalement inscrit dans la loi de la République en 1889. Sa remise en question constituerait donc une rupture profonde. Il n'est toutefois pas sûr, là encore, que le Conseil constitutionnel l'autorise. Car, bien qu'il ne figure pas dans la loi fondamentale, le droit du sol pourrait être considéré comme un élément constitutif de la nation.

Pour faire sauter ces garde-fous, le Rassemblement national veut donc s'en prendre à la Constitution et sortir des traités signés par la France, des textes qui traduisent pourtant dans la loi les principes élémentaires de la civilisation occidentale. La Cour européenne des droits de l'homme, l'une des gardiennes de l'État de droit sur le Vieux Continent, est de longue date dans son viseur.

Dans son programme, Jordan Bardella prévoit donc, « si nécessaire », un ou deux référendums constitutionnels, notamment pour instaurer la « priorité nationale ». Or le parcours juridique pour y parvenir est incertain. L'initiative devrait venir du Parlement, ce qui suppose un accord avec le Sénat, et le président de la République pourrait alors transformer le référendum en réunion du Congrès. De quoi contrarier les plans de l'extrême droite. Sauf à violer les textes et à procéder par un coup de force.

Écologie, le grand bond en arrière

Maintien de la vente des voitures à essence neuves après 2035, « moratoire » sur les éoliennes, renoncement aux mesures visant les passoires thermiques... Le RN a épousé les réactions les plus pavloviennes des opposants à la transition écologique. Sans rien proposer en substitution que le tout-nucléaire. Pour atteindre ses objectifs en matière d'émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030, la France doit pourtant doubler le rythme de réduction actuel. L'application du programme du RN l'en éloignerait sévèrement.

Et cela tout en enterrant les engagements de la France vis-à-vis de ses partenaires européens (lire ci-contre) et, plus largement, de l'accord de Paris et des COP. « On s'écarterait complètement de la trajectoire européenne visant à réduire de 55 % les émissions en 2030 par rapport à 1990, déplore Christian de Perthuis, professeur d'économie et fondateur de la chaire d'économie du climat à l'université Paris-Dauphine. On peut s'attendre à plusieurs années de reprise des émissions. »

S'agissant de l'énergie, l'hypothèse d'un arrêt de l'éolien n'a été étudiée par aucun cabinet d'expertise ni aucun producteur d'électricité tant elle semble indigente. Il n'est qu'à lire les scénarios à l'horizon 2050 de RTE, le gestionnaire du réseau de transport de l'électricité, qui font référence dans le secteur. Dans le cas le plus favorable à l'atome, RTE établit que deux nouveaux réacteurs devraient être construits tous les quatre ans à partir de 2035 : le nucléaire représenterait 50 % du mix énergétique français au milieu du siècle. Mais, même dans cette situation, les capacités en éolien terrestre devraient nécessairement progresser de 140 % et celles des parcs en mer seraient multipliées par quinze. Sans ces efforts, la France dépendrait de l'étranger puisqu'elle devrait importer son électricité ou acheter du gaz ou du pétrole pour la produire.

Dans le secteur des transports, où les émissions de gaz à effet de serre restent supérieures à celles de 1990, le RN autoriserait la vente des véhicules neufs à moteur thermique après 2035, reniant l'interdiction prévue à cette date par les membres de l'UE. La consommation d'essence, de diesel et de gaz serait encouragée dès cet été par une baisse de la TVA. L'impact négatif de telles mesures sur la pollution de l'air et le réchauffement planétaire va de soi. Par ailleurs, une telle volte-face bouleverserait la stratégie des constructeurs français et européens engagés dans le développement des véhicules électriques. Elle risque de remettre en question les investissements et emplois anticipés dans les gigafactories.

Autre élément notable du projet de l'extrême droite, les propriétaires des 4,8 millions de passoires thermiques ne seraient plus tenus de procéder à la rénovation énergétique de leurs logements. Outre l'impact climatique, ce choix empêcherait les ménages qui y vivent de réduire leur consommation de gaz, de fioul ou d'électricité, les privant d'un gain en pouvoir d'achat.

De nombreuses mesures seront à coup sûr invalidées par le Conseil constitutionnel

Les comptes publics au bord du gouffre

S'agissant des comptes publics, une victoire du RN - cas jugé le plus probable par les marchés financiers - est d'ores et déjà perçue comme une circonstance aggravante aux yeux des investisseurs. Endettée à hauteur de 120 % du PIB, la France semble promise à la sanction des créanciers et, à terme, à de sévères mesures de redressement.

Depuis la dissolution, les traders réclament une prime de risque plus élevée lorsqu'ils rachètent des titres de la dette tricolore. Vendredi, l'écart de taux d'intérêt (le spread) entre la France et l'Allemagne a brusquement atteint son niveau le plus élevé depuis 2012 après avoir dérapé au lendemain de la dissolution. Cet indicateur permet de mesurer le degré de confiance des marchés. Il ne peut être plus mal orienté.

Sans avoir présenté de chiffrage complet, le RN assure pourtant, avec la foi des convertis, qu'il respectera la trajectoire budgétaire de la France. C'est le leitmotiv du député sortant Jean-Philippe Tanguy, le « Monsieur Finances » du parti. L'objectif serait de réduire le déficit sous la barre de 3 % du PIB en 2027, la même promesse que Bruno Le Maire. Des économies seraient faites.

Mais rien ne permet de s'en convaincre. D'un côté, le projet de Jordan Bardella, même révisé à la baisse, va amputer les recettes de l'État et faire bondir les dépenses : baisse de la TVA, exonération des cotisations sur les augmentations de salaires, révision de la réforme des retraites, suppression des impôts pour les moins de 30 ans, instauration d'une pleine part fiscale dès le deuxième enfant, etc. La facture dépassera sans doute 50 milliards d'euros annuels. Le parti présidentiel Renaissance l'imagine à 90 milliards, hors nationalisation des autoroutes (dont le RN ne parle plus).

On peut s'attendre à plusieurs années de reprise des émissions de gaz à effet de serre

Christian de Perthuis, professeur d'économie

De l'autre côté, les ressources envisagées par le parti de Marine Le Pen sont hypothétiques ou parcellaires. Seuls 7 milliards d'euros ont été documentés, sachant que certaines recettes dépendent fortement de la conjoncture (niche fiscale des armateurs, taxe sur les énergéticiens...). Pour le reste, il s'en remet de manière habituelle à la lutte contre la fraude (avec des objectifs supérieurs aux évaluations de référence) et aux dépenses liées à l'immigration, qui ne sont plus chiffrées.

Par ailleurs, les marchés ne se sont pas rassurés en lisant le programme du Nouveau Front populaire. L'alliance de gauche a estimé ses dépenses à 25 milliards d'euros cette année et 150 milliards à terme. Celles-ci seraient couvertes par des hausses d'impôts d'une ampleur inégalée (plus de 100 milliards d'euros).

Quelles que soient les hypothèses, les comptes semblent assurés de plonger dans le rouge - alors que le RN ne cesse d'accuser le gouvernement de les avoir plombés. Or Bruxelles vient de lancer une procédure à l'encontre de Paris pour déficit excessif. Bercy doit présenter aux partenaires européens d'ici au 20 septembre un nouveau calendrier de désendettement et des engagements plus précis de réformes, sur quatre à sept ans. N'y croyant plus, certains économistes évoquent un scénario « à la grecque », rappelant qu'en 2010 les finances d'Athènes avaient été mises sous tutelle de la BCE et du FMI.

Un « Frexit » inéluctable

Bien que Marine Le Pen assure désormais qu'elle maintiendra la France dans l'UE, une sortie de l'Union européenne (ou sa désintégration de l'intérieur) paraît inéluctable si le programme du RN est mis en œuvre. Dans plusieurs domaines, les desseins nationalistes heurtent les principes communautaires ou le modus vivendi avec nos partenaires.

« La première crise sera budgétaire », anticipe Yves Bertoncini, ancien président du Mouvement européen - France et fin connaisseur des arcanes bruxellois. D'une part, l'aide financière à l'Ukraine décidée par les Européens doit être validée par un vote, qui serait remis en question par une majorité d'extrême droite. D'autre part, la baisse de la TVA sur l'énergie promise dès l'été par Jordan Bardella creusera le déficit de la France et, juridiquement, elle outrepassera la voie normale, à savoir une négociation préalable avec les États membres sur les taux réduits (qui durerait plusieurs années).

Par ailleurs, un refus de paiement de 2 milliards d'euros au budget européen devrait conduire l'UE, en réplique, à réduire les montants versés à la France. « Là encore, une décision unilatérale ne peut que froisser nos partenaires », souligne Yves Bertoncini. Le précédent de Margaret Thatcher (« I want my money back ») est parfois cité à tort : la Première ministre britannique avait certes obtenu un rabais en 1984 au sommet de Fontainebleau, mais après plus de quatre ans de négociations.

Autre cas de divorce, le non-respect du pacte vert entraînerait des procédures pour infraction, tout comme la non-application des mesures sur l'immigration ou des règles de Schengen. Les litiges peuvent se terminer devant la Cour européenne de justice, et les éventuelles atteintes à l'État de droit peuvent priver la France de son vote au Conseil. Il n'existe certes pas de processus d'exclusion de l'UE, mais le délitement reviendrait au même résultat : briser la construction européenne.

Commentaires 24
à écrit le 01/07/2024 à 22:09
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L'auteur paraît verser dans la prévision apocalyptique. Par exemple, concernant le dossier de l'énergie, la solution n'est pas de baisser la TVA pour aggraver le déficit du pays, mais cela ne signifie absolument pas qu'il faille rester "en l'état"...

à écrit le 01/07/2024 à 13:39
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Le chaos ce sont les 40 dernières années au service du 1%

à écrit le 01/07/2024 à 10:40
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Se prendre une vraie gamelle suffirait 'il pour ensuite franchement se relever, inverser les pensées négatives et trouver les bonnes solutions pour régler les vrais problèmes? Un peu moins de politique politicienne, d'agitations, de double-jeux, pou...

à écrit le 01/07/2024 à 10:08
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Analyse peu contestable, mais des questions subsistent et je n'ai entendu aucune réponse dans les débats : - pourquoi et comment en est on arrivé là ? - pourquoi cette vague populiste est elle généralisée en Europe ? - pourquoi, alors que cette va...

à écrit le 01/07/2024 à 9:32
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"Si le RN était au pouvoir : les scénarios du chaos" Mais nous y sommes et ce n'est ni la faute du RN ni du réchauffement climatique: 3200 milliards de dette, une enfant de 12 ans sauvagement violée par 3 ados, Combat à la Kalach dans les quartiers, ...

à écrit le 30/06/2024 à 20:54
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Rappeler le passé historique de la France à des gens envoûtés par le discours du FN/RN de Jordan Bardella est pure perte. C'est comme demander aux aficionados de Trump de penser autrement (intelligemment), decerebres par des discours populistes, Apr...

à écrit le 30/06/2024 à 20:46
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Droit du sol... Rien d'idéologique. En général, les pays immigrationnistes sont pour le droit du sol. Les pays émigrationnistes sont pour le droit du sang. Simple question de logique !

à écrit le 30/06/2024 à 19:38
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Et le devoir de réserve journalistique imposé par l'ARCOM en période d'élection vous en faites quoi La Tribune ?

à écrit le 30/06/2024 à 17:06
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Peux-t-on donner le pouvoir et les clés du coffre-fort à un parti déja condamné pour détournement de fonds pulics et qu'un autre procès pour le même motif esr prévu à l'automne prochain ?

à écrit le 30/06/2024 à 12:45
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La trouille les éditorialistes ???? La macronie c'est fini !!!!!

le 30/06/2024 à 14:02
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@Micfra26. Ouaip, ca sent le sapin. La micronnie ne comprend plus rien sans son leader. Il les a drolement roules dans la farine et nombre d'entre eux vont devoir traverser ka rue. Une chose est assuree, le RN s'il parvient aux commandes va "nettoy...

à écrit le 30/06/2024 à 12:30
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La France n'a pas de matières premières. Tout doit être importé. Mais qui acceptera d'être payé en francs ? A quoi sert donc une réduction de la TVA sur les carburants, quand n'y plus? Comme c'est une bonne pratique, et une forme de lâcheté, en suite...

à écrit le 30/06/2024 à 12:20
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Quand ils parlent de "valeurs de la République" ils pensent au monopole du pouvoir d'une caste de hauts-fonctionnaires qui ont ruiné le pays pour maintenir leur pouvoir en transformant la France en guichet automatique pour nuls et assistés

à écrit le 30/06/2024 à 12:09
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Que faites-vous de la neutralité éditorialiste la veille des élections et durant le jour des élections ? De plus, votre comédie " Remise en question des valeurs de la République par le RN ", vous mentez, en n'étant pas neutre dans cette article le j...

le 30/06/2024 à 12:22
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Bah le journal appartient à Monsieur Saadé franco-Libanais qui va perdre les avantages fiscaux des armateurs si le RN arrive au pouvoir... Il va falloir payer des impôts Monsieur Saadé. Et réjouissez-vous, ce sera pire si c'est le front populaire qui...

à écrit le 30/06/2024 à 11:45
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Vu l'état du pays, le RN au pouvoir, vous l'aurez de toutes façons. Soit aux législatives, soit à la présidentielle.

à écrit le 30/06/2024 à 10:08
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Certains changements seront bloqués par le conseil constitutionnel !

à écrit le 30/06/2024 à 9:37
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Remise en question des valeurs de la République : Les valeurs officielles de la République sont - LIBERTE - EGALITE - FRATERNITE. Je n'en connais pas d'autres. Ce sont justement les valeurs défendue par le RN. Risque de faillite : nous y sommes déjà,...

le 30/06/2024 à 12:00
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L'Europe ? Quelle Europe ? Celle où les Allemands viennent de choisir SpaceX plutôt que Ariane ? Celle où les Polonais achètent toutes leurs armes aux USA et en Corée du Sud ? Celle où la France donne 10 milliards d'euros en pure perte chaque année ?...

à écrit le 30/06/2024 à 8:51
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la dette du pays france est une petouille la securite des personnes n'a aucune importance tend quelle ne touche pas les hautes autorites pas de probleme du service sante qui n'est pas a l'ordre du jour pour le grand bien des francais pas de revend...

à écrit le 30/06/2024 à 8:26
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il met les valeurs à toutes les sauces. les valeurs de ma République se trouvent en Seine Saint Denis les Mureaux Trappes Marseille Nord..les delocalisations à la Macron.. l interdiction de chaîne de tv qui ne pensent pas comme vous .voltaire se reto...

à écrit le 30/06/2024 à 7:48
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On a du mal à comprendre cette crainte tandis que ça fait plus de 20 ans que les médias de masse font de publicité à ce parti, j'ai grandi avec Le Pen à la télé, alors soit on questionne le fond, qui là est intéressant, pourquoi ce parti a été portée...

le 30/06/2024 à 10:15
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Au départ, Mitterrand s'en était servi pour semer la zizanie à droite, surtout à l'UDF ayant son lot d'anciens d'Occident. Et puis c'est commode, car pendant qu'on parle du FN/RN, on ne parle pas des problèmes des Français (pouvoir d'achat, logement,...

le 30/06/2024 à 10:33
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En effet cela occulte complètement al dette, la crise économique, le covid, la guerre en europe, la guerre au moyen orient et-c... leurs maux sont nombreux, cela évacue d'emblée leurs gigantesques échecs à tous là.

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